Mâle nécessaire

Poète, slameur, amateur de philosophie et de littérature, il pense que l'écriture est un appel à l'âme pour exprimer son ressenti. Elle est une nécessité pour donner sens à une vie qui peut ... [+]

« Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. La vie prit d’autres trajectoires depuis que je l’observais à travers ma fenêtre. Dehors m’excitait plus que jamais. La recette du temps n’avait plus les mêmes ingrédients. Tout l’alphabet épuisé à force d’utilisation. Plus de papiers pour écrire les instants lourds d’un demain presqu’incertain. Pas même du papier de toilettes. Tout autour de moi fut une espèce de tourbillon d’un vent qui ne dit pas son nom. Je me reposai la même question de départ. Je me touchai les paupières pour m’assurer de n’être pas dans un rêve. L’obscurité dessinait l’avenir. Mes yeux pourtant grands ouverts, mais rien n’avait le même sens habituel. Alors, je regardais à travers la vitre, en quête de sociabilité. Pas de balcon. Ma fenêtre. Mon nouveau monde.

Qui ose vivre dans le noir ? Encore moins, les yeux fermés ? Passèrent les jours sombres et ces nuits en manque de conseils. Insomniaque. Entre quatre murs, je me parlais tout seul, ceux-là n’avaient plus d’oreilles malheureusement. Alors, seul dans mes atermoiements à me questionner sur l’existence. Je ne savais plus quel livre lire. Je sentis la lenteur du temps dans mes longs réveils matinaux. « Que me reste-t-il d’espérer si ce n’est de croire en l’ordre naturel des choses ? », je me dis avec une assurance plutôt fragile parce qu’éphémère. Étais-je devenu spirituel d’un coup ? Avec tous mes rituels de méditation quotidiens pour prendre soin de l’esprit au détriment d’un corps qui se permettait de manger sans souci nutritionnel. J’avais l’impression de m’arnaquer à trop vouloir me faire ma propre idée des choses que j’ignorais. Comme un vieux charlatan. C’est par réflexe humain ou par peur, me dirait-t-on. Comme si c’était normal de transcender le réel par un dédoublement d’instinct de conservation. Alors, je me persuadai sur l’acceptation de l’instant présent. Je ne voulus plus ouvrir ma vielle radio que m’avait empruntée mon amie lors de son déménagement. Je fus son aide-déménageur ce jour-là. Nous avions travaillé sans complexe, je ne pus m’empêcher de rire quand elle devait conduire ce gros camion loué pour la tâche. Ce fut à la fois inhabituel et drôle. Nous n’avions pas vu l’heure passer. Elle était à sa vitesse maximale qu’on ne pouvait plus la rattraper. Ce temps d’alors ne faisait plus tic-tac sous les verrous des espaces moites. Temps mortel qui porta un masque parce qu’il y avait du virus dans l’air. Temps de CONFINEMENT. Tant de basculement ! J’appris tout le sens de ce mot nouvellement populaire et de toute sa charge émotionnelle. Je fus confiné donc j’écrivais.

Plus d’espace pour mettre ce vieil appareil tombé dans la désuétude du temps moderne, cette amie me dit :

-As-tu un espace chez toi pour mettre cette radio ?
-Oui, ça trouvera sûrement un espace
-La veux-tu ?
-Oui, aucun problème, répondis-je
-Je pourrais te l’emprunter
-Ça marche


Je voulus tout le temps me rappeler que ce fut un emprunt. Un important devoir de mémoire. Un bel après-midi ordinaire, fin du déménagement. Quelques bouteilles de bières fraiches trinquées au bonheur de l’amitié. Celle-ci est aussi faite pour cela. Pour s’entraider. Et je la laissai fermée toutes les saintes journées, cette radio prenait assez d’espace sur ma petite table de chambre. Par peur d’entendre des nouvelles de nouveaux décès dans ma pleine conscience humaine. Pas du cynisme, mais un excès de sensibilité. Je choisis la vie pour sanctuaire.

Je pris un téléphone. Vieux de quatre ans avec des applications qui demandaient des mises à jour à chaque commande. Embarrassant par moment, mais tant mieux pour s’échapper de l’emprise des écrans. Je sentis l’angoisse de la feuille blanche. Difficile de trouver l’idée du déclic, qui sert d’accroche à tout processus d’écriture. L’urgence de dire m’empara. Je me réfugiai dans la virtuosité de l’amour. Ce dernier se fit briller par sa réticence. Il ne manifesta plus aucune patience parce que trop conditionné dans l’ère numérique. Éprouvé par la distance, il prit forme dans des mots trop usés pour devenir fade. L’amour dure trois ans, disait l’autre. Et un autre nous rappelait ce qu’il faut faire quand l’amour est desservi. Je ne veux surtout pas croire à l’idée du désamour. Je veux rester à sa table jusqu’à ce qu’il me dégoute. Mais, pour combien de temps ?

Je défilai le répertoire du téléphone de haut en bas pour chercher qui appeler. Recroquevillé dans un vieux fauteuil donné en cadeau, je n’appelai personne. J’aime mieux écrire des lettres aux gens. Je reçus l’appel de mon ami Boukayo. Encore une complainte, me demandai-je ? Ah mon vieil ami ! Toujours la bonne humeur avec lui malgré tout.

-Allo mon frère, on dit quoi ?
-On est là, on tient l’équilibre, ma formule de réponse presque magique à chaque fois que cette question surgit.
-Ayons un débat là, j’ai un constat
-Parlons-nous en mon frère !

Désolé pour mon cher ami qui voulut fustiger l’amour d’un coup. Il remit toute son ossature en question. Qui ose ne plus croire en l’amour ? Boukayo pense être perçu comme un mâle nécessaire. Presque comme une proie pour servir à satisfaire un besoin de sexe. Pour assouvir des fantasmes. Son orgueil mis en cause. Réduit à sa simple fonction de mâle, laquelle est nécessaire pour absorber la libido de l’autre. Largué après les ébats une fois la satisfaction au comble. Il pense que l’autre ne s’intéresse pas à l’humain en lui, mais d’un mâle fonctionnel. Lui qui veut être plus qu’une complaisance à l’égard de l’autre. Comment se reconquérir ? La question dont la réponse est une suite de questionnements. Suis-je un mâle nécessaire ?

Combien de fois l’autre est juste un mâle nécessaire ou simplement une femelle ? je me demandai à mon tour.

Un sentiment différent refit surface dans mes souvenirs d’enfance. Élevé par ma mère en absence d’un père parti en quête de mieux-être, la présence d’un mâle m’était nécessaire dans mon processus d’individuation. Du moins, c’est ce que j’avais toujours cru avant de me fier au sens naturel de la vie. Tout ce qui est important vient au moment le plus adéquat, et c’est peut-être lorsqu’on s’y attend le moins parfois. Tel fut ma compréhension du sens naturel. Si la vie est une question de perspective, pas autant que la mer. Il fallut traverser celle-ci au bon moment pour donner de direction à ma vie. J’appris à apprivoiser la mer par la peur que j’éprouvais à son égard. L’aimer m’était plus qu’un besoin de vie pour transcender mon mal de mer. La mer fut mon mal nécessaire.


C’est difficile d’appréhender la fascination. J’aime voyager à travers ma fenêtre. Dans le temps. Dans l’air. Sans pouvoir magique. Je ne suis pas Harry Potter. J’aime écrire la nuit, et je peins la nuit dans mes écrits. Parce que les idées viennent plus facilement dans un mélange de bruit de silence qui s’agite ; quoi d’autre à part la nuit pour capter cette énergie qui m’habite. Lorsque jaillira la lumière, j’aurai déjà fini mon voyage pour contempler cette merveille. La lumière me fascine toujours. S’il y a des ratures dans ces lignes, c’est parce que j’écris dans le noir. Les yeux fermés.