Madeleine verte

Le bruit des klaxons au loin, le voisin du dessus qui rentre et sa manière presque joyeuse de claquer sa porte...nous sommes un samedi soir à la fin des années quatre-vingt. J’ai neuf ans, je suis au fond de mon lit, je ne connais pas toute l’histoire et pourtant je souris, faisant grandir en moi une fierté léguée par mon grand-père, mon père, mes oncles...les verts ont gagné, nous avons gagné et sur toutes les collines que compte la ville on sait que le dimanche matin on ne parlera que de ça !
Je ne joue pas au foot, en tout cas pas en club, moi c’est le tennis et surtout le basket qui me fait rêver. Larry Bird, Magic Johnson et Michael Jordan...leurs posters recouvrent la tapisserie et même le plafond de ma chambre. On m’a parlé de la grande époque, de Platini, des frères Révelli, de Rocheteau, de ses satanés poteaux carrés, du stade Geoffroy-Guichard, de 1976. A la télé, sur la « une » un des deux commentateurs étaient parait-il un ‘grand » de l’épopée des verts.
_ « Toute la France était verte, je descendais en Solex depuis le Col de la République, c’était fou... » me disait mon papy. Assis devant sa machine SINGER au fond de son petit commerce de bourrelier-sellier, l’air était chargé d’odeurs de cuirs et il semblait revivre chaque action de Johnny Repp ou de Santini.
J’ai vu des photos avec le « M » de Manufrance sur le devant du maillot et j’ai entendu Coluche en parlé à la radio dans un sketch, là aussi j’étais fier ! Mais c’est comme la mine ils ont dû fermer et je crois que beaucoup de gens en ont soufferts ! Comme de grandir à l’ombre de Lyon, je n’ai jamais trop compris pourquoi mais on ne doit pas aimer les lyonnais, c’est comme ça, c’est fourni avec notre acte de naissance !
Puis j’ai grandi, j’ai voyagé, j’ai gardé en moi cette fierté stéphanoise, comme si la dureté de la vie de mes aînés me donnait le droit à une reconnaissance, comme si les victoires passées étaient un peu les miennes...les gens trouvent Saint-Etienne moche, noir comme le charbon, remplie de descendants d’ouvriers incultes sans même prendre le temps de s’y arrêter. Alors je leur dis de venir passer un weekend dans la plus belle ville de France, je me mets à décrire par le menu l’incroyable hospitalité du peuple forézien, notre sens de la fête, l’air de la montagne à moins de quinze minutes, la simplicité inscrit dans notre ADN. Le chaudron vibre toujours, la ville s’habille de design et de nouvelles technologies, les montagnes enneigées autour forment un écrin blanc pour la ville...les coureurs et les cyclistes se font les jambes au parc de Montaud, à la Métare, jusqu’au Bessat puis la Croix de Chaubouret. Je ne suis pas objectif je le sais bien mais mon pays c’est la Loire, le 4-2 comme on disait au lycée à l’époque d’NTM.
J’ai 40 ans et pourtant lorsque la nuit j’entends des bruits de klaxons, je ferme les yeux un instant et je me revois dans les bras de mon père. Faisant semblant de dormir en rentrant de chez mes cousins pour qu’il me porte jusqu’à mon lit. J’entends sa voix « Ah ! les verts ont dû gagner ». Car c’est ce soir-là que j’ai compris cette coutume locale. Je me rappelle avoir ouvert les yeux, nous n’étions qu’a quelques mètres de la voiture, d’avoir demandé à mes parents si je pouvais moi aussi klaxonner...ils se sont mis à rire, surement face à ma comédie d’enfant ensommeillé et m’ont laissé appuyer une fois. Le son dans notre rue déserte m’a semblé assourdissant et tellement transgressif que j’ai eu peur un instant. Puis une voiture d’où l’on voyait tournoyer des écharpes vertes passa très vite musique à fond...Six dans une Supercinq, sans ceintures et des bières à la main...Il faisait chaud ce soir là car je me rappelle avoir senti des frissons sur mes bras nus.
Demain mon fils aîné à 9 ans. Avant le coup d’envoi nous chanterons ensemble « Qui c’est les plus forts évidemment c’est les verts... », et lorsque nous remonterons le cours Fauriel après le match et que les klaxons se répondront aux 4 coins de la ville je jetterai un œil dans mon rétroviseur...mon fils endormi aura la tête penchée sur sa ceinture – car nous ne sommes plus dans les années 80- et je le verrais sourire aux anges...aux anges verts du Chaudron.