Je m’appelle Gaby, je viens d’avoir quarante ans et la vie est belle, mais ça n’a pas été toujours le cas... Ceux qui m’ont connu à vingt ans disaient que j’étais un perdu, un de ces... [+]
MADELEINE
Madeleine était une fille sage et disciplinée. Elle avait passé une adolescence discrète et après son bac elle avait déniché un poste de réceptionniste dans un cabinet dentaire. Elle avait ensuite rencontré Pascal dans une soirée chez des amis, elle avait aimé sa pudeur et la sécurité qu’il dégageait. Madeleine s’était glissée à ses côtés sans se poser de questions.
Cinq ans avaient passé. Cinq ans d’une égale platitude, sans relief ni éclats. Le matin de ce premier janvier 2007, alors que Pascal était allé courir au parc, elle réalisa qu’elle s’était trompée. Trompée jusqu’à l’ennui, jusqu’à un état de mort discrète. Elle regarda autour d’elle. Leur appartement lui parut soudain étranger. Les posters de paysages et les toiles criardes achetés chez Ikea, qui nous font croire que l’art est à la portée de tous, lui donnèrent la nausée. Dans le frigo bâtons de surimi et yaourts au bifidus reflétèrent le même désastre, la même fadeur conventionnelle.
Elle décida d’appeler Odile, son amie de toujours, qui avait décroché tout de suite.
- Madeleine ? pourquoi tu déménages ? et Pascal il est d’accord ? Mais pourquoi si vite ? Oh ben, si je m’attendais à ça !
Odile avait déroulé une litanie de platitudes angoissées que Madeleine avait interrompues en raccrochant. Elle se sentait polluée par la logorrhée d’Odile même si au fond elle ne s’était pas attendue à autre chose.
Dix heures sonnèrent à l’horloge du salon. Dix ponctuations qui la réveillèrent tout à fait. Un café bien fort plus tard, elle remplissait de quelques vêtements un sac à dos. La symbolique du sac l’amusa : elle se chargeait d’un poids pour mieux s’en soulager.
Madeleine ne laissa pas de mots. Elle claqua la porte et resta en apnée pendant la courte descente en ascenseur. Son souffle suspendu se libéra lorsqu’elle poussa la porte de l’allée. Une expire longue et salutaire pour vider et lâcher, une inspire neuve et fraiche pour aller de l’avant, un pas après l’autre.
Un taxi jusqu’à la gare, un coup d’œil au panneau digital, acheter au hasard un billet simple pour Vesoul. Le couinement terrible des roues sur les rails précéda le bercement du train en marche. Une nouvelle respiration joyeuse et libérée s’échappa de ses lèvres. Putain !! Mais combien de temps il lui avait fallu pour se secouer ?
Premier janvier 2017, 11h30 et la promesse d’une belle année. Madeleine a 45 ans, quelques rides fines au coin des yeux, rien que de très normal. Pourtant une inquiétude sournoise lui serre les tripes. Ces dix dernières années étaient passées bien plus vite que prévu, elle s’en rend compte tout à coup. Comment il se démerde, le Temps, pour passer à toute vitesse et nous laisser aussi peu de délai pour cocher les cases de notre liste ? Madeleine regarde autour d’elle. Son « deux pièces » moderne est un appartement de fille libérée, avec ce léger désordre étudié qui le rend sympathique. Son ordinateur portable reste ouvert en permanence sur le bureau.
A son arrivée à Vesoul, Madeleine s’était jetée dans le travail comme on se jette dans l’eau de la rivière. Elle était rapidement devenue l’assistante de direction presque indispensable d’une PME de la ville. Elle avait voyagé pour le travail, pris des vacances avec son équipe, organisé des weekends avec les collègues. Elle avait aimé des hommes parce que leur situation l’attirait. Son désir était intimement lié à la réussite. Adrénaline, orgasme, orgueil.
Madeleine ouvre son frigo américain. Sa main hésite, lait d’avoine ou muscat sec ? Le liquide doré glougloute en glissant dans le verre puis s’enroule dans sa gorge avant de plonger dans l’estomac. Flash de l’alcool à jeun. Décharge électrique jusque dans le plus profond de l’âme. Chaleur dans le corps.
Elle ne débarrassera pas son petit déjeuner, elle ne lira pas les derniers mails, ne fera pas de sac à dos et n’appellera pas non plus Odile. D’ailleurs, ça fait bien longtemps qu’Odile n’est plus son amie.
Une grande inspiration presque automatique et libératrice la cueille au passage, gonfle ses poumons. Madeleine monte dans sa voiture et roule jusqu’au grand virage mais elle ne prend pas la courbe, elle va tout droit. Elle saute le parapet pour plonger dans le fleuve. Une expire lente vide sa tête. Elle ne pense plus, elle ne fait plus de plans, Madeleine tire sa révérence.
Madeleine était une fille sage et disciplinée. Elle avait passé une adolescence discrète et après son bac elle avait déniché un poste de réceptionniste dans un cabinet dentaire. Elle avait ensuite rencontré Pascal dans une soirée chez des amis, elle avait aimé sa pudeur et la sécurité qu’il dégageait. Madeleine s’était glissée à ses côtés sans se poser de questions.
Cinq ans avaient passé. Cinq ans d’une égale platitude, sans relief ni éclats. Le matin de ce premier janvier 2007, alors que Pascal était allé courir au parc, elle réalisa qu’elle s’était trompée. Trompée jusqu’à l’ennui, jusqu’à un état de mort discrète. Elle regarda autour d’elle. Leur appartement lui parut soudain étranger. Les posters de paysages et les toiles criardes achetés chez Ikea, qui nous font croire que l’art est à la portée de tous, lui donnèrent la nausée. Dans le frigo bâtons de surimi et yaourts au bifidus reflétèrent le même désastre, la même fadeur conventionnelle.
Elle décida d’appeler Odile, son amie de toujours, qui avait décroché tout de suite.
- Madeleine ? pourquoi tu déménages ? et Pascal il est d’accord ? Mais pourquoi si vite ? Oh ben, si je m’attendais à ça !
Odile avait déroulé une litanie de platitudes angoissées que Madeleine avait interrompues en raccrochant. Elle se sentait polluée par la logorrhée d’Odile même si au fond elle ne s’était pas attendue à autre chose.
Dix heures sonnèrent à l’horloge du salon. Dix ponctuations qui la réveillèrent tout à fait. Un café bien fort plus tard, elle remplissait de quelques vêtements un sac à dos. La symbolique du sac l’amusa : elle se chargeait d’un poids pour mieux s’en soulager.
Madeleine ne laissa pas de mots. Elle claqua la porte et resta en apnée pendant la courte descente en ascenseur. Son souffle suspendu se libéra lorsqu’elle poussa la porte de l’allée. Une expire longue et salutaire pour vider et lâcher, une inspire neuve et fraiche pour aller de l’avant, un pas après l’autre.
Un taxi jusqu’à la gare, un coup d’œil au panneau digital, acheter au hasard un billet simple pour Vesoul. Le couinement terrible des roues sur les rails précéda le bercement du train en marche. Une nouvelle respiration joyeuse et libérée s’échappa de ses lèvres. Putain !! Mais combien de temps il lui avait fallu pour se secouer ?
Premier janvier 2017, 11h30 et la promesse d’une belle année. Madeleine a 45 ans, quelques rides fines au coin des yeux, rien que de très normal. Pourtant une inquiétude sournoise lui serre les tripes. Ces dix dernières années étaient passées bien plus vite que prévu, elle s’en rend compte tout à coup. Comment il se démerde, le Temps, pour passer à toute vitesse et nous laisser aussi peu de délai pour cocher les cases de notre liste ? Madeleine regarde autour d’elle. Son « deux pièces » moderne est un appartement de fille libérée, avec ce léger désordre étudié qui le rend sympathique. Son ordinateur portable reste ouvert en permanence sur le bureau.
A son arrivée à Vesoul, Madeleine s’était jetée dans le travail comme on se jette dans l’eau de la rivière. Elle était rapidement devenue l’assistante de direction presque indispensable d’une PME de la ville. Elle avait voyagé pour le travail, pris des vacances avec son équipe, organisé des weekends avec les collègues. Elle avait aimé des hommes parce que leur situation l’attirait. Son désir était intimement lié à la réussite. Adrénaline, orgasme, orgueil.
Madeleine ouvre son frigo américain. Sa main hésite, lait d’avoine ou muscat sec ? Le liquide doré glougloute en glissant dans le verre puis s’enroule dans sa gorge avant de plonger dans l’estomac. Flash de l’alcool à jeun. Décharge électrique jusque dans le plus profond de l’âme. Chaleur dans le corps.
Elle ne débarrassera pas son petit déjeuner, elle ne lira pas les derniers mails, ne fera pas de sac à dos et n’appellera pas non plus Odile. D’ailleurs, ça fait bien longtemps qu’Odile n’est plus son amie.
Une grande inspiration presque automatique et libératrice la cueille au passage, gonfle ses poumons. Madeleine monte dans sa voiture et roule jusqu’au grand virage mais elle ne prend pas la courbe, elle va tout droit. Elle saute le parapet pour plonger dans le fleuve. Une expire lente vide sa tête. Elle ne pense plus, elle ne fait plus de plans, Madeleine tire sa révérence.
C'est fort!
Récit très bien mené et force à la révérence!
Bonne continuation.
Je vous invite à soutenir :
« DIGOINAISES… » qui est en finale.
https://short-edition.com/fr/oeuvre/tres-tres-court/digoinaises-corps-et-ame
Dernier délai : aujourd'hui avant 15H
Merci d'avance.