Ma nuit Covid

« Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. » Non ! C’est certain que je suis tout simplement dans un rêve, un de ces rêves insoutenables dans lequel l’on se retrouverait, indépendamment de la volonté au crépuscule de sa vie, inexorablement sur la trajectoire du trépas, fertilisant l’esprit, essayant de capter, ne serait-ce qu’une infime lueur d’espoir de survie à laquelle s’agripper. A ce stade, l’être humain devient généralement capable de tout, quitte à aller décrocher la lune pour venir la déposer aux pieds du pourvoyeur de la vie afin d’obtenir de lui une audience ; histoire de marchander la possibilité d’un renouvellement du bail de vie pour quelques années supplémentaires. Lorsqu’adviennent souvent ces moments fatidiques, l’on se retrouve aux prises avec un sentiment de fragilité mêlée d’impuissance ; et c’est à cet instant que même le plus fervent adepte du satanisme peut devenir croyant. « ô Dieu de Bonté et de Miséricorde, sans Toi ma vie tombe en ruines, viens vite à mon secours ma citadelle ! ». C’était la dernière psalmodie que je me souviens avoir exclamé avant d’être progressivement englouti dans les flots de l’obscurité la plus totale. Comme le disait un sage : « sans avoir connu les affres de la nuit, un homme ne peut jamais savoir à quel point est douce et chère pour l'œil et le cœur la lumière du matin ». Je l’ai appris à mes dépens.

Je commence à retrouver mes esprits petit à petit pour constater que mes paupières sont lourdes. J’ouvre les yeux, j’entrevois la lumière, des bruits de machines et sons d’alarme me parviennent à l’oreille. Je me rends compte que je suis sur un lit d’hôpital. J’aperçois une sorte de tableau de bord sur lequel on peut lire : PIGNAT Patapouf, 39 ans, 102 kg pour 1 m 80, IMC > 30 (obèse) ; antécédents de diabète de type 2, tabagisme actif, embolie pulmonaire, HTA maligne. Mon attention est captivée ensuite par une information qui a fini par réveiller tous mes sens restés latents. Diagnostic : SARS-CoV-2 (Covid-19) +. Putain ! Je n’en crois pas mes yeux ! Comment cela est-il possible ? J’ai donc chopé ce foutu virus. C’est alors que je réalise que je suis en salle de réanimation. Tous les événements qui ont précédé se sont mis à défiler dans mon esprit :

Nous sommes un certain vendredi du mois de mars. Je suis assistant en ressources humaines au sein de l’entreprise Bamelek. Comme à l’accoutumée ce jour, après quelques heures de travail, je me suis mis en route pour l’hôpital de l’Amitié situé à quelques encablures de mon lieu de travail, plus précisément dans le quatrième arrondissement de la ville de Bangui. La crise militaro-politique qu’avait traversée mon pays m’avait rendu de facto orphelin. Je n’ai donc pour seule famille que ma grand-mère maternelle Anna, pour qui je suis la seule raison de vivre. Célibataire endurci malgré mon âge, j’ai aussi mon petit rayon de soleil secret, la jeune Rosita, cette ravissante voisine du quartier qui a ébloui mon cœur mais qui m’a toujours littéralement désarçonné à chaque fois que je tentais de l’aborder. De nature réservé et très introverti, à part quelques collègues du boulot et mon médecin traitant, le Docteur Cédric, ce maître à penser que j’allais voir d’ailleurs pour ma visite médicale du mois, je n’avais pas beaucoup d’amis dans la vie ; disons que mon cercle était assez fermé. La visite de ce jour chez mon médecin traitant tombe à pic car depuis deux jours, je suis en proie à une forte fièvre, à une fatigue indescriptible ainsi qu’une toux sèche s’accompagnant d’une congestion nasale. Pas plus tard qu’hier nuit, j’ai aussi ressenti quelques douleurs dans tout le corps ainsi que des courbatures. Ces symptômes sont assez nouveaux pour moi. J’espère seulement qu’il ne s’agit pas de cette vilaine grippe qui défraie la chronique dans les médias. Je n’y crois pas un seul instant ! De toutes les façons, je suis assez vigoureux et chanceux de rester en vie nonobstant cette panoplie de maladies dont me parle souvent mon médecin sans faire abstraction des événements tragiques auxquels j’ai assisté par le passé. Je me sens comme immunisé.

Je commence à monologuer ainsi, chemin faisant, tout en dépiéçant l’hamburger que je viens d’acheter quand tout à coup, je me suis mis à toussoter, à tousser ensuite de plus belle au point de perdre haleine. Puis, survient une sensation d’essoufflement qui se dégrade de plus en plus en détresse respiratoire. Bon Dieu qu’est ce qui m’arrive ? Tout est allé vraiment à une vitesse infernale que je n’arrive pas à comprendre. Instinctivement, je range le reste de l’hamburger dans mon sac tout en essayant de prendre mon téléphone pour composer le numéro du Docteur Cédric. C’est à cet instant précis que sous le regard hagard et médusé des passants, je m’écroule à la renverse sur le sol tel un sac de farine, perdant progressivement tous mes moyens. Je réalise alors que je suis fragile moi aussi et que ma vie ne tient qu’à un fil. Mon esprit commence à errer ; mes yeux progressivement se ferment tandis que mon cerveau essaye de se déconnecter de mon corps. Je réussis tout de même à m’évader. Je me suis imaginé traversant déjà l’autre rive pour aller rejoindre mes parents car j’en ai marre de cette vie après tout. Mais une partie de moi riposte : « A qui vais-je abandonner ma pauvre grand-mère qui n’a que moi ? C’est une fuite de responsabilité », me suis-je dit. As-tu oublié Rosita ? Comment peux-tu être stupide à ce point ? Ne t’es-tu pas promis que tu lui avoueras tes sentiments d’ici la fin de ce mois et alea jacta est ? Que penserait-t-elle de toi si tu abdiques maintenant ? Non, tu es plus fort que ça, éveille ta vaillance Patapouf ! Tu es un jeune homme d’une intrépidité inégalable, j’essaie de me convaincre. En même temps, dans mon for intérieur je me rends bien compte qu’il y a ici bien plus qu’une question de détermination ; ce qui se passe là me prend vraiment de court et la possible issue qui s’offre à moi est d’essayer de recourir au Très Haut qui, j’ose croire, n’abandonnerait pas l’un de ses petits à la mort. C’est effectivement ce que ma grand-mère se plaisait à me répéter en longueur de journée mais que j’avais du mal à admettre. Je me disais bien qu’Il était où ce Bon Dieu quand toute ma famille avait été froidement assassinée. Toutefois, avec un peu de recul, je pense qu’à l’instant, j’ai plus à gagner qu’à perdre en sollicitant la bienveillance du Créateur. D’ailleurs, les secours prendraient du temps à arriver, et nul ne sait si j’arriverais à l’hôpital à temps. La miséricorde divine est sans borne disait-on. Si elle pouvait me sauver de cette situation pourquoi alors toute cette cogitation ? En l’espace d’un instant, j’avoue être devenu fervent croyant. A travers ces rêveries, je tente là de m’accrocher à la vie. Mais je reviens à moi aussitôt pour constater la triste réalité qui est bien là sous mon nez. Je ne peux pas me mouvoir et ma détresse respiratoire s’amplifie de plus en plus. Rassemblant toute ma réserve d’énergie, j’implore le Seigneur...

Je perçois la suite des événements dans un souvenir lointain étant donné que je n’arrive plus à déchiffrer avec exactitude tout ce qui se passe autour de moi. Il m’a semblé avoir entendu des cris, ensuite des bruits de pas, des gens qui accourent, un bruit d’ambulance puis plus rien du tout. Mon esprit s’est mis à planer dans le noir...