L'obsédée de justice

« Moi je suis différente Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre. »
Je me fichais que personne ne me comprenne, car je n'étais pas prête à les laisser briser cette belle et concrète illusion qu'était devenue pour moi la vie. Oui, personne, même pas mon copain pour qui je portais un amour profond et intense. Lui, comme tous les autres, ne cessait de me demander d'être réaliste. Je me rappelle un soir, après lui avoir fait l'amour passionnément, sa voix encore étouffée me ronronna, « abandonne tes idées utopiques mon trésor, je crains que tôt ou tard cela ne finisse mal ».
Ces paroles m'avaient fait rougir jusqu'aux oreilles, comme si j'ai été chauffée par un courant solaire. Mais avant que je n'aie le temps de piquer une crise, il m'avait tenu le visage et m'a déclaré sa flamme. Je t'aime, me dit-il. Tu es ma vie, je brûle d'amour pour toi comme tu es, avec tes pensées idéalistes. Finalement, continua-t-il, quand je te fais l'amour comme tout à l'heure, je suis dans un autre monde, notre monde. Celui où personne ne domine, cette symbiose qui nous unit ignore l'injustice ou l'inégalité. Je crois qu'au bout du compte, peu importe que je te comprenne ou pas, quand je te caresse, quand je te regarde, je suis incapable de te juger.
Je pense que ce sont ces mots qui m'ont retenu auprès de lui. Depuis cette nuit où j'ai découvert le plaisir des sens dans ses bras, il est devenu mon miracle.
De toute façon, j'avais déjà accepté mon imperméabilité, j'en étais arrivé à une indifférence complète de ce que les autres pensent de mes rêveries. Je me disais que la double limitation des prétentions des uns et de l'ignorance des autres pouvait être source d'incompréhension.
Perdu dans mes pensées, je me demandais pourquoi le monde était si injuste, à quand la fin de cette belle aberration ?
- Tant que dureront les discriminations socio-économiques, les stigmatisations, et les violences sexuelles, me répondit brusquement une voix, comme si quelqu'un lisait dans mes pensées.
C'était mon copain. Cela nous arrivait très souvent de penser aux mêmes choses, au même moment. Mais, je ne démêle pas si son pessimisme était douloureux ou satisfait. J'en conclus qu'il était social.
Peut-être que finalement, il était question de résilience. Ou peut-être que comme disait Emmanuel Kant, la nature à ses premiers débuts n'a été ni meilleure ni pire que nous la trouvons aujourd'hui. Ou, plus on a vécu moins on est impressionné devant les atrocités du monde. Mais je continuais de nourrir une lueur d'espoir qui me permettait de croire encore et encore en un monde meilleur. Ne dit-on pas que tant qu'il y a une lueur d'espoir, des bras, un cœur et une volonté, rien n'est définitivement perdu.
Il était si beau et si parfait que j'avais toujours eu du mal à croire qu'il soit le mien. Mais ce matin, il était si craquant que j'ai eu du mal à respirer. Il était si sensationnel dans sa chemise Cavani décontractée et son Bermuda stylé. C'était le retour du soleil en ce début de l'été. Ces pieds poilus m'ont donné un emportement irrésistible. Avide de son étreinte, j'essayais de me retenir quand ma mère a annoncé qu'elle allait sortir. Mon frère était déjà parti pour l'école.
Il marchait dans la chambre soulevant un objet après un autre faisant à chaque fois des commentaires. Je n'entendais rien de ce qu'il dit tant que la commissure de ses lèvres me captivait. Je me suis alors approché lui mettant le droit sur la bouche comme pour l'indiquer de se taire et qu'il avait mieux à faire de ses belles lèvres que de commenter des objets qui sur le moment me paraissent sans importance. J'ai commencé à lui caresser l'orifice en exécutant avec la pointe de mes doigts de petites caresses sur sa lèvre inférieure. Je lui ai ouvert délicatement la bouche en laissant ma langue faire le reste. Il m'emmena discrètement dans le lit. Il y avait une telle synchronisation passionnelle, une alchimie avec une telle intensité qui ferait exploser n'importe quelle baromètre. L'échange de désir et de sentiments sincères que nous partageons à chaque fois avait fait accroître mon amour pour lui.
- Je t'adore mon trésor, je suis tellement comblé à tes côtés, me murmura-t-il tremblotant.
Ces yeux brillaient et étincelaient d'un tel éclat. Je sentais l'odeur de sa peau pendant que mon pouls reprenait son rythme. C'était un partenaire si aimant et si encourageant. A cet instant précis, dans ce lit à ses côtés, après ce moment de passion, j'avais la sensation que le monde était juste. Je me disais que c'était la chose sur laquelle le pouvoir de l'argent n'avait aucun contrôle réel.
Allongé dans le lit, je le regardai se dépêcher de se rhabiller avant le retour de ma mère. Il m'envoya une de mes petites robes qu'il préfère puis m'a tiré du lit. On allait se mettre gentiment dans le canapé pour discuter mais je n'étais pas très barbare. J'étais en train de penser au pouvoir de l'amour. Cet aimant qui l'a conduit chez moi de si beau matin. Ce pouvoir qu'il a de me faire oublier tous mes soucis.
Puis, je me suis prise de remords, je me demande si les riches n'étaient pas tout aussi avantageux en amour. Ne dit-on pas que quand la misère entre par la porte, l'amour sort par la fenêtre ? Être riche doit certainement être un avantage en amour, il m'était inutile de me voiler la face. Quand on est riche, on peut plus facilement faire plaisir à son partenaire. Je n'ai pu m'empêcher de penser à leurs vacances romantiques sous les tropiques pendant que les pauvres ne peuvent reposer l'ouvrage de leur main. Surtout ceux qui vivent au quotidien et qui n'ont aucune prestation sociale. Qui n'avaient ni assurance maladie, ni allocations de chômage. J'ai aussi pensé aux cadeaux, oui, aux bijoux en pierre précieuse qui ravit le cœur de madame. Mes sourcils se fronça un peu comme les rides du lion quand il me demanda ;
- A quoi tu penses, ? tu ne serais pas en train, non je préfère ne pas y penser.
Il avait tout compris. Je culpabilisais parce qu'on était heureux. Mais de quel droit pouvons-nous être heureux pendant que d'autres souffrent les martyrs. Il savait qu'au-delà de mon amour pour lui, la justice était ma première obsession. Mais il avait décidé de ne pas se battre contre ce qu'il appelle le fantôme de l'injustice. Il l'enlève de nouveau et me fait un baiser au front. Entretemps, ma mère est entrée. Comme elle était femme au foyer, elle n'allait jamais trop loin encore moins un week-end. Elle n'appréciait pas beaucoup mon copain. Elle pense qu'il m'encourage à nourrir mes pensées idéalistes. Quand on a commencé à sortir ensemble, elle trouvait qu'il était le gendre parfait. Enfant de bonne famille et bien élevé, elle avait tout de suite donné son accord pour qu'on sorte ensemble. Mais depuis qu'il a refusé de s'allier à elle pour me convaincre d'abandonner mes idéaux, il s'est fait un ennemi. Et cela me faisait ressentir beaucoup plus d'admiration pour lui.
Soudain, je n'ai pu m'empêcher de penser à ces extravagances audacieuses que doivent faire certains. Ces habits hors prix qu'ils s'achètent et qu'ils ne portent qu'une seule fois mais inatteignable pour le commun des mortels privés des nécessités vitales. Ces gens qui ne peuvent ni manger ni boire, les sans-abri qui errent dans les espaces publics dormant dans les rues, gare et métro. C'était surtout le sort des enfants qui m'attristent le plus.
Pourtant je devais être heureuse. En fait, j'avais tout pour être heureuse. J'avais des parents qui se souciaient de moi, un petit ami adorable, un travail et une super copine. J'avais achevé mes études et la virtuosité avec laquelle j'exécute les tâches qui m'ont été confiées au travail montre bien que je méritais mon titre de lauréate. Mais mon inquiétude allait au-delà de mon petit confort quotidien. Je voulais voir un jour un monde juste et égalitaire. Ce sera mon combat jusqu'à mon dernier souffle.