L'obscurité

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. L'excès de la lumière est très proche de l'obscurité. Tous cela n’est qu’un jeu de mot. Un jeu de mot presque trop symbolique où, comme le dit Rotrou, j'ignore mon rôle. Ou le disait-t-il à propos de la vie ? Quelle-est la vraie différence entre la vie et un jeu de mot ? Un dramaturge qui préfère un dieu dogmatique qui ne fait que présenter deux éternités absolues et un monde noir et blanc aux dieux grecques - et surtout à Dionysos – et leurs diversités de couleurs peut-il avoir raison concernant quoi que ce soit ? Concernant la vie ?
Cela fait peut-être trop de questions ? En plus qui croit au dieux grecques au XXIème siècle ? N’est-ce pas ? Nous, nos valeurs à nous, nos croyances à nous, nos vérités à nous et nos jolies sciences à nous sont beaucoup plus logiques, beaucoup plus certaines. N’est-ce pas ?
Je ne sais pas. Je ne sais plus. Je n’arrive pas à me distinguer des personnages de Dostoïevski. Je n’arrive pas à ne pas réfléchir devant une page blanche. Tous ceci n’est qu’un jeu. N’est qu’une fiction. Dans toutes les fictions que je lis y a une femme. Ce n’est pas toujours le cas dans la vie. Un homme n’aime pas toujours une femme avec des sentiments suprêmes. Il ne la maltraite pas forcement, mais parfois, et peut être le plus souvent, ce qu’il ressent n’est pas suprême. Il l’aime, mais voilà. Parfois c’est tout. C’est peut-être pour cela que j’aime lire Camus. Bref. Malgré moi, je suppose que tous les récits ont quelque chose à avoir avec une femme.
Je rêve d’ouvrir les yeux pour voir cette femme que j’aimerai comme un chevalier de Moyen-Age. Que je vénèrerai divinement. Une femme pour laquelle je serais prêt de surmonter des épreuves chevaleresques. Toute sortes d’épreuves. Pour enfin recevoir un baisé peut-être ? Quelle nativité ! Je l’imagine, au-dessus de moi, apparaitre d’une mer de nuages que je contemple. Elle tient ses seins entre ses bras, transpirant. Sa respiration est en parfaite harmonie avec la mienne.
J’ouvre les yeux.
Je me retrouve couché dans mon lit. Dans le noir. L’obscurité efface ce tableau allemand qu’a formé mon esprit mais pas d’un coup. Le tableau romantique s’efface très doucement. Comme si mon subconscient avait pitié de moi. Je me dresse pour m’assoir au bord du lit. Je reconnais cette chambre que je vis maintenant depuis quelques années. Je saisis la bouteille de vin posé sur la table de nuit et je mouille mes lèvres avec le liquide inspirateur. Je ne mange pas de pain. Je ne mange jamais du pain avec le vin. J’ai peur de la punition, du blasphème, de la damnation de Dionysos. Je pose la bouteille par terre et je regarde l’heure. Pourquoi le regarder ? Chronos n’est-il pas mort ? 04 :14. Cela ne veut rien dire. Rien ne veut plus rien dire depuis les milieux du siècle dernier.
Je ne décrirai pas la chambre. J’ouvre la fenêtre. Un ivrogne cri des mots insensé. Je pense à « ces gens-là ». Jaques Brel. Il ressemble à « l’ainé ». Je sens la même pitié que ma subconscience avait ressenti pour moi il y a quelques minutes. Je ferme la fenêtre avec la même lenteur que l’illusion de cette femme transitoire avait disparu. Cela fait peut-être un peu trop de ressentiment.
J’ai toujours eu trop de choses à dire, trop d’idées. Ils étaient sans fondements et transitoires. J’aurais bien voulu des changements d’esprit perpétuel soutenu avec des maladies physiques et mentaux de niveau graves qui me mènera à la folie puis à la mort. Mais un deuxième Nietzsche ne traversera pas ce monde. Et de toute manière je n’ai jamais eu une histoire pour ses idées. La seule question philosophique est en effet le suicide. Et je ne sais plus que répondre. L’histoire me manque. Le rocher est l’existence elle-même. Nous la portons toute notre vie et pour certains d’entre nous ceci est plus difficile, plus affligeant que pour d’autre.
Je rêve de voir toute cette angoisse dans les coins de cette chambre, de cette maison obscure et occupé maintenant d’un silence plus profond que mon être. J’ai souvent tendance à penser que si je voyais cette angoisse, elle me serait plus supportable. Mais je n’ai jamais réussi à être aussi intéressant que n’importe quel personnage de roman et surtout pas Requentin. D’ailleurs je ne m’y connais pas autant en Histoire.
Si un récit dure assez longtemps, tous les personnages meurent. Voila ce que je pense de la fiction. Je n’ai jamais eu d’histoire à écrire. Dans aucun de mes écrits un homme bien décrit n’a jamais surmonté des « péripéties » pour atteindre un certain but. Je n’ai jamais surmonté de péripéties pour quoi que ce soit. J’ai fui. J’ai toujours fui. Et maintenant je fais face à la seule réalité de mon existence : avoir vécu un néant.
Je m’assois sur la chaise en bois et je pose mes deux bras sur la table.
J’ai toujours eu des grands mots à dire. Je ne les ai jamais accompagnés de mes actes. Voilà maintenant le pistolet me regarde.
Mon père s’est suicidé avec ce pistolet. On l’a retiré de la bouche de son cadavre. Je me souviens de la scène. On dirait que le pistolet ne voulait plus sortir de cette bouche qui appartenait à mon père. Il ne voulait plus tuer personne. Il avait effectué son chef-d’œuvre. Cela lui suffisait. Je l’ai toujours gardé à côté de moi. Parfois même, je le prenais dans mes promenades, au cas où je tuerais un certain arabe à cause du soleil et que je tirerai quatre coups de plus sur son cadavre sans raison. J’aurais eu peut-être la possibilité de m’exprimer aux tribunaux qui m’aurais jugé. Du moins j’aurais fait quelque chose, une action, une seule action qui justifierai mon existence ! Mais non. On ne m’a même pas donné cette opportunité.
Maintenant je suis face à face avec le canon du pistolet de mon père. Il ne me reste plus rien d’intéressant à dire. De toute manière on ne peu rien dire d’intéressant dans une époque où tout le monde parle et que personne n’écoute. Je ferme mes yeux et j’essaye de me souvenir du cadavre de mon père tel que je l’ai trouvé et je me pense à sa place.
J’ouvre mes yeux et vois mon père en face de moi. Le pistolet n’est plus dans sa bouche mais le troue perdure. Il tend vers le pistolet. Le saisit. Je transpire. Ai-je peur ? Non. C’est une excitation. C’est une hâte. Voilà que je sais que je vais mourir. Je ne verrais aucune lumière. Une vanité absolue m’attend. Tous cela est apaisant. Je le sens. Un soulagement. Je regarde mon père une dernière fois derrière le pistolet qu'il me tend. Voilà une réponse à Œdipe. Je ne le tue pas et en plus je le laisse me tuer. Cette pensée me fait rigoler à voix haute. Les jeux sont censés être marrant n’est-ce pas ?
L’obscurité m’attend. Tous ce monde vagabonde m’échappe. Je fermerais mes yeux très bientôt pour être dans un noir éternel. Et je répète d’une voix divagante : tous ceci n’est qu’un jeu de mot. Tous ceci n’est qu’un jeu de mot.