À quoi ressemblerait le roman que j’aimerais terminer ?
Ce serait un livre où chacun se remarquerait sans se reconnaître. Un livre surtout dépouillé de phrases-poncifs comme la... [+]
Toute ma vie j'aurai été en désaccord avec une profession que je n'ai jamais beaucoup aimée et qui me l'a finalement bien rendu. Beaucoup de gens considèrent que j'ai fait une belle carrière, et qu'il m'est parfois arrivé d'être génial dans mon travail. Je dois reconnaître que cela flatte un ego assez démesuré.
On parle de moi au passé, mais je ne suis pas tombé dans l'oubli pour autant, certaines personnes évoquent mon nom avec nostalgie.
A sept ans, je pensais que tous les garçons s’appelaient Patrick, j'étais le bon petit soldat. En 1968, bien que jeune, je n'ai pas su prendre le train en marche, je ne comprenais pas ce qui se jouait dans les assemblées d'étudiants et durant les journées d'émeutes un peu partout en France, je suis resté bien malgré moi en retrait. J'étais un petit bourgeois, bien propre sur lui, qui se voulait révolutionnaire.
Dans l'exercice de mon métier, j'ai toujours eu un caractère difficile à cerner, disons difficile tout court. Je n'ai jamais eu un style très académique, je n'ai jamais été politiquement correct.
Je ne saurais dire de manière précise à quel moment les choses ont commencé à aller de travers. Je me suis mis à regarder le monde comme si je portais des lunettes à verres fumés, et à la longue je me suis marginalisé. J'ai fini par faire carrément bande à part.
Ce que voulait l'homme que j'étais, c'était vivre sa vie avec passion, mais une femme est une femme et cela m'a mené au divorce. J'ai toujours été un peu ambiguë, du style masculin-féminin et pourtant j'aime les femmes, j'ai été marié deux fois avec les plus jolies d'entre elles. J'ai beaucoup souffert d'être ce que je suis mais l'amour de mon métier, même si je m'en suis toujours défendu, m'a permis de tenir le coup et de chasser les idées noires.
Il y a déjà longtemps que certains, se trompant de prénom, ont parlé de fou, ce sobriquet a connu un certain succès dans la profession et auprès de nombreuses personnes, cela ne m'a pas desservi, on m'a qualifié d'original ! J'ai parfois éprouvé un certain mépris pour les gens avec qui je travaillais.
L'arrivée de confrères de la nouvelle vague a changé la donne. En se révélant ''les rois de l'écran'', ils m'ont poussé vers la sortie. Je n'ai pas su ou voulu suivre, je ne trouvais plus ma place dans un monde où tout est aseptisé.
J'ai mon franc-parler, que peu de monde apprécie. Je suis un peu comme la chinoise qui l'autre jour s'adressait dans sa langue à un passant, dans une rue d'Avignon... Maintenant il est trop tard, et j'ai envie de dire sauve qui peut.
Je ne sais pas l'image que les jeunes garderont de moi, mais j'ai le sentiment d'avoir été incompris, d'avoir été mon propre spectateur. Quand j'ai arrêté, j'étais à bout de souffle, j'avais tout donné depuis déjà longtemps.
J'aimerais ici et ailleurs, que vous ne m'oubliez pas, je m'appelle Jean-Luc Godard, j'ai quatre vingt sept ans, tout va bien.
Je vous salue Marie.
On parle de moi au passé, mais je ne suis pas tombé dans l'oubli pour autant, certaines personnes évoquent mon nom avec nostalgie.
A sept ans, je pensais que tous les garçons s’appelaient Patrick, j'étais le bon petit soldat. En 1968, bien que jeune, je n'ai pas su prendre le train en marche, je ne comprenais pas ce qui se jouait dans les assemblées d'étudiants et durant les journées d'émeutes un peu partout en France, je suis resté bien malgré moi en retrait. J'étais un petit bourgeois, bien propre sur lui, qui se voulait révolutionnaire.
Dans l'exercice de mon métier, j'ai toujours eu un caractère difficile à cerner, disons difficile tout court. Je n'ai jamais eu un style très académique, je n'ai jamais été politiquement correct.
Je ne saurais dire de manière précise à quel moment les choses ont commencé à aller de travers. Je me suis mis à regarder le monde comme si je portais des lunettes à verres fumés, et à la longue je me suis marginalisé. J'ai fini par faire carrément bande à part.
Ce que voulait l'homme que j'étais, c'était vivre sa vie avec passion, mais une femme est une femme et cela m'a mené au divorce. J'ai toujours été un peu ambiguë, du style masculin-féminin et pourtant j'aime les femmes, j'ai été marié deux fois avec les plus jolies d'entre elles. J'ai beaucoup souffert d'être ce que je suis mais l'amour de mon métier, même si je m'en suis toujours défendu, m'a permis de tenir le coup et de chasser les idées noires.
Il y a déjà longtemps que certains, se trompant de prénom, ont parlé de fou, ce sobriquet a connu un certain succès dans la profession et auprès de nombreuses personnes, cela ne m'a pas desservi, on m'a qualifié d'original ! J'ai parfois éprouvé un certain mépris pour les gens avec qui je travaillais.
L'arrivée de confrères de la nouvelle vague a changé la donne. En se révélant ''les rois de l'écran'', ils m'ont poussé vers la sortie. Je n'ai pas su ou voulu suivre, je ne trouvais plus ma place dans un monde où tout est aseptisé.
J'ai mon franc-parler, que peu de monde apprécie. Je suis un peu comme la chinoise qui l'autre jour s'adressait dans sa langue à un passant, dans une rue d'Avignon... Maintenant il est trop tard, et j'ai envie de dire sauve qui peut.
Je ne sais pas l'image que les jeunes garderont de moi, mais j'ai le sentiment d'avoir été incompris, d'avoir été mon propre spectateur. Quand j'ai arrêté, j'étais à bout de souffle, j'avais tout donné depuis déjà longtemps.
J'aimerais ici et ailleurs, que vous ne m'oubliez pas, je m'appelle Jean-Luc Godard, j'ai quatre vingt sept ans, tout va bien.
Je vous salue Marie.
https://short-edition.com/fr/oeuvre/tres-tres-court/le-coup-de-foudre-5
Amicalement, JC
Je suis en finale avec Frénésie 2.0 merci pour votre soutien :)