Libérée

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Je n'arrive pas à réfléchir. Là, sur le coup, j'ai juste envie de me transporter dans un conte de fées. Mais lequel choisir ? Je n'en sais rien. Ou plutôt, j'en sais très peu. La princesse et la grenouille, ou Ariel ? Non, je crois que Cendrillon ferait mieux l'affaire que ceux-ci.
La douleur que je ressens à là tempe se manifeste à nouveau, survenant par à-coups. Il me faut un antalgique. Oui, c'est si évident. Mais mes membres ne réagissent pas. Je suis ankylosée. Le pire, c'est que je ne sais pas si cette fois-ci sera comme les autres. Je veux dire, je ne sais pas si je pourrai me relever après n-ième cuite quotidienne.
Vidée de toute substance, j'observe le plafond sans le voir. Il y a longtemps que les larmes ne coulent plus. Mes pensées se dirigent vers ma fille, maintenant. J'espère que j'ai réussi à faire diversion... Elle aura eu le temps de s'en aller loin d'ici. Je ne voudrais pas la mêler à tout ça.
Syndrome de Stockholm, il parait qu'on l'appelle. Mais j'ai réussi à m'en remettre, avec à la clé de quoi permettre aux enfants de tenir un bon moment.
Personne... Des semaines durant nous avons dormi le ventre vide. À maintes reprises nous avons dû passer la nuit dehors, pour loyer impayé. J'ai dû laisser ma fille grandir plus vite que son âge. Prendre soin de ses frères. Mes enfants... Mes fœtus qu'il a détruits.... Je parviens à bouger la tête et le voilà, allongé la face contre le sol, le sang dégoulinant de sa tête.
J'ai longtemps cru que je vivais dans un monde sans lumière. Un monde foncièrement mauvais, et il fallait s'y faire. Mais depuis quelques jours, je me suis rendu compte que j'étais la seule à ne pas vouloir voir que l'homme que j'ai épousé est foncièrement mauvais. Méchant. Égoïste. Narcissique. Il a réussi à me faire perdre toute estime de moi. Et aujourd'hui... Comme la vie est belle !
Je ne regrette rien. Sa batte a fait l'affaire, comme d'habitude. Mais cette fois, c'est lui qui est tombé.
Je n'entend pas la sirène de la police. Je vois des agents qui rentrent et parlent. Je les entend vaguement. Je vois flou. Ils appellent une ambulance à l'aide, on dirait. C'est évident qu'ils me désigneront coupable. Mais comme je m'en moque, moi.
Ma vue se brouille. Je sens mes membres me lâcher. Une froideur qui ne dit pas son nom m'envahit, partant de la plante de mes pieds. Je n'entend plus les bruits autour. Mes yeux se ferment, je me retrouve dans le noir et pourtant, un sourire fait sa route sur mes lèvres...
Je suis libre.