L'espoir tue !

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés? Peut-être les deux. Je n’arrive plus à établir la différence entre les deux. Ni entre le bien et le mal d’ailleurs. Je sais seulement que je suis l’objet de convoitise de forces obscures. Tout rayon de lumière me donne l’impression d’étouffer. Je reste donc prisonnier de ma case. Je ne veux plus affronter le monde. Sourire aux gens. Faire semblant que le ciel est bleu et la vie, une éternelle odyssée. Le jour me fait trop souffrir. Il est cruel de voir à quel point il est éclatant. Alors je reste entre mes quatres murs silencieux et non envahissants. Quitte à en mourir d’ennui ou de solitude. J’aimerais bien que l’un ou l’autre porte la victoire sur ma vie l’un de ces jours.

Ça fait un mois que je suis coincé dans ce long tunnel sans fin. À part le son de mon portable qui vient déranger ma vie de solitaire, personne n’ose m’aborder. On attend que ma douleur soit plus atténuée. Que je retourne à ma vie normale. Sans comprendre que j’apprécie de plus en plus mon nouveau normal. Je comprends pourquoi ils attendent de moi tout ça. Je suis un homme. Et cette catégorie d’être humains n’est pas autorisée à montrer leurs émotions. Être un homme, c’est se montrer fort dans toutes les occasions même si son monde intérieur croule littéralement sous le poids des imprévues de la vie. Oui, c’est comme ça! Les gens croient savoir qu’on est toujours très armé face aux vagues violentes de la vie. Pourtant, on n’est jamais bien équipé lorsqu’on est la victime de ses caprices.

Étant le seul fils de mes parents, j’ai eu plutôt droit à beaucoup d’amour et de gâterie. Ma mère a tout fait correctement. Ou du moins de la façon que la société a jugé correcte d’élever un garçon. Je suis allé à l’école, fait partie de l’équipe de sport. Ma mère me poussait à me dépasser constamment. Si je n’étais dans la meilleure des formes, je devais serrer les dents et avancer. Avancer, quoi qu’il en coûte, c’était sa philosophie de vie. J’étais son bébé. Sa plus grande fierté. Mes parents étaient des gens favorisés. Et ils ne s’en privaient pas de m’exhiber, moi, comme le meilleur de tout. Le poids du succès me rendait dingue dès fois. Mais, je n’avais pas le droit de prendre une pause, d’essayer de vivre mes propres passions. Je suivis le chemin tout tracé. Je me suis inscrit à l’école de commerce. Maintenant, je dirige l’entreprise familiale. Ça m’a frappé en plein coeur le jour où mes parents ont disparu dans un accident de voiture. J’ai pris sur moi. Je continue à avancer. Comme on me l’a enseigné!

Pour compenser le vide qu’a suscité en moi la perte de mes parents, je me suis procuré ma propre famille. Suzanne, je l’ai rencontrée lors d’un gala de charité. Avec elle, c’était le coup de foudre. Je ne m’aurais jamais cru capable d’aimer aussi intensément. Elle, c’était mon rayon de soleil. Tout mon univers! Son charme, son rire, sa façon de parler, tout chez elle me rendait accro. En un rien de temps, nous étions mari et femme. Je n’oublierais jamais le jour où elle m’a annoncé l’arrivée d’un heureux événement. La joie que je ressentais était incomparable. Je me suis dit que j’ai tout maintenant. Une femme qui m’aime et m’admire. Et bientôt, un petit bout de chou, un miracle, qui consommera toute notre énergie.

J’étais vraiment béni. Je le pense franchement. Je remerciais Dieu chaque jour pour ma vie de bonheur. Je savourais goulûment tous les instants. Je baignais littéralement dans la joie. Tout était parfait. Ma vie. Ma femme. Mon bébé. Oui, tout était parfait! Jusqu’au jour où elle a décidé de s’en aller loin de ce monde, loin de mon monde. Et avec elle, mon bébé. Je n’arrivais pas à comprendre... À accepter qu’elle n’était plus. Notre rupture était brutale. Hier encore, on se parlait d’espoir, d’un futur, de ce présent cher à nos yeux. Aujourd’hui, c’est le silence qui me berce, non pas de ses mots doux, mais des mots qui disent l’incertitude, l’incompréhension, la solitude, la tristesse, le mal au coeur, le mal d’amour. J’étais perdu! Me lever était un véritable torture. Alors, je demeure entre mes quatre murs, avec les battants fermés à boire du noir. J’essaie de faire le vide. En vain! Il n’y a que les images de nous qui passent en boucle dans ma tête. Ma vie est devenue monotone, sans un étincelle de couleurs. Je ne pouvais même plus prier. Comment prier Dieu quand tout ce que l’on croit au plus profond de son être n’a plus aucun sens? J’ai perdu la foi. Je laisse mes yeux fermés, non pas pour prier mais plutôt pour éviter de voir la réalité. La triste et cruelle réalité!

Je m’en veux tellement de n’avoir pu rien faire pour empêcher la descente aux enfers de ma famille. Je m’en veux tellement... Moi d’habitude si intuitif, comment ai-je loupé qu’un nuage gris planait sur nos têtes, prêt à introduire une tempête dans ma vie. Non. Non! Elle n’avait pas le droit de me laisser, seul, au milieu de nulle part, sans famille, emmenant avec elle mon bébé. J’essaie de m’accrocher. Mais ça fait un mal de chien. Je voudrais être amnésique. Pour oublier. Tout de nous. Oublier les fois où tu arrives à dessiner, avec un regard, un sourire sur mon visage sombre. Que l’amour peut être menteur! On s’était promis l’éternité. Je suis autant à blâmer qu’elle. Elle m’a lâché la main. Je devais me battre pour elle. Me battre pour nous. J’ai rien fait. Je n’avais plus la force de lutter.

Comment lutter pour quelqu’un qui refuse de se battre? Le jour de l’accident, on revenait de l’une de ces fêtes à dormir debout. Entre les poignés de mains et les “oh! Félicitations!”, j’avais la tête ailleurs. Je voudrais rentrer chez nous au plus vite. Partager un vrai moment avec ma femme et mon fils dans notre lit douillet. Elle me caressait gentiment le bras en faisant un gros sourire. De quoi supporter cette maudite soirée. Ce soir, en arrivant au parking, je l’ai regardée intensément comme pour pénétrer tout son être. M’imprégner de sa chaleur habituelle. Un sentiment de gratitude envahissait mon coeur et des larmes me montaient aux yeux. Pour toute réponse, elle prit ma main et la déposa sur son ventre arrondi. J’éclatais de rire. Elle aussi. J’ai vu dans ses yeux la promesse d’un meilleur lendemain. Alors qu’on roulait paisiblement sur la route sur la route, main dans la main, un camion, visiblement désorienté, nous enfonce droit dessus. J’ai tout fait pour éviter le pire. Du moins, je croyais tout faire. Nous devrions avoir une trentaine de minutes coincés, les mains encore entrelacées, avant que les secouristes parviennent à nous dégager de là. Je ne voulais pas la lâcher de peur qu’elle s’en aille pour toujours. J’essayais de lui parler. Elle balbutia des trucs inaudibles, la peur dans les yeux. C’est la dernière image que j’ai d’elle. Le dernier souvenir de notre rupture. Triste. Terrible. Brutale.

La tête, pleine de confusion, j’essaie de me rappeler chaque détail de cette soirée. Qu’est-ce que j’ai fait de mal pour mériter un tel sort? S’il existe réellement un Dieu, pourquoi laisse-t-il produire ces choses atroces? Comment Dieu a-t-il pu me laisser en vie et prendre celle d’une femme enceinte? De ma femme! Comment peut-on mourir alors qu’on est sur le point de prolonger l’existence humaine? Il n’y a rien de logique à cela. Non, non! La mort ne devrait pas se frotter d’aussi près à la vie. Je suis au fond d’un gouffre ténébreux dont les entrailles menacent de m’avaler vivant. Je suis perdu. La douleur est trop vive. Le coeur en mille morceaux, j’ose espérer qu’elle revienne, un de ces jours, pour parler d’amour, de nous. J’espère qu’elle pense un peu à moi, dans son pays là-bas. J’espère qu’elle ne m’a pas oublié. J’espère qu’elle garde ce charme qui m’a jetté dans ses bras. J’espère la retrouver un jour... J’espère nous retrouver...

Pourquoi espérer? Pourquoi attendre? Entre la vie et la mort, il n’y a qu’une frontière apparente, non!? L’espoir fait vivre, dit-on. On oublie de mentionner qu’il tue aussi. Lentement mais sûrement. Autant précipiter les choses...