Les sextos

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés? Peut - être les deux. C'était la énième fois que je me reposais cette question parce que franchement , je n'arrivais pas à comprendre la tournure que prenait la situation. Cette nuit de juillet chambarda ma vie. J'étais pris au dépourvu, j'en étais désemparé tellement tout était sens dessus dessous. Oui, ça s'est passé tellement vite que ma vie en une fraction de seconde s'était effondrée. La cause,un aveu que j'avais fait. Par la suite, mes parents m' avaient lancé un de ses regards. Ils me dévisageaient sans cesse, et me jetaient des paroles tranchantes. Des regards remplis de haine, d'amertume et de ressentiment.
Remords et regrets étaient les maîtres mots de la situation. Je me retrouvais dans une impasse. Un cul-de-sac dont la voie la plus sûre était de laisser le toit familial. Je n'avais pas vraiment le choix. C'était l'unique ultimatum que mes parents me proposèrent. Je n'avais plus ma place à la maison. J'étais pour eux un grand pervers. Une personne vile qui ne méritait plus de vivre. L'espace d'un cillement ma vie venait de subir un retournement renversant. Le comble, mes parents étaient convaincus que j'étais possédé par le diable.
De cette nuit là, je me rappelais encore de tout. De la rue sombre, de la confusion dans laquelle je me retrouvais, de mes fringues entassées en vrac dans mon sac à dos. Du désespoir qui m ' envahissait. Et de cette musique, de cette ritournelle faite de rires moqueurs, de blagues stupides, de discriminations et de commérages. Je me retrouvais à déambuler au Champs de mars tout en ressassant encore et encore leurs paroles abjectes et dégradantes.
Je me remémorais cette scène dans ses moindres détails. Ce jour là, j'avais vécu le pire moment de ma vie. Des giffles par centaines. Je connus l'abandon et les cœurs brisés. En quelques instants, mes projets d'avenir étaient anéantis. Ils avaient finis par me mettre à la porte! Tant pis pour ma dernière année à l'Université d'État d'Haïti.
Je voulais fuir ce pays et passer à autre chose. Pour ma famille, j'étais devenu un monstre. Un énergumène et une potentielle source de poisse qui n'avait plus droit à la vie. Je n'étais plus leur John chéri! Pourquoi? Parce que j'étais gay et que j'aimais un garçon sympa et chou. Mais dans cette situation des plus improbables. Je sentais brûler la flamme de notre amour, cet amour qui me donna le courage d'avancer, de percer ce tunnel sombre de la marginalisation. Je sentais en moi cette passion qui m'alimentais lors de notre rencontre. Une rencontre inattendue.
C'était un jeudi à la Fokal. Je devais assister à un concert de Darline Desca, cette chanteuse que j'admirais beaucoup. Surtout qu'elle assurait toujours avec ses derniers clips. Avec elle, la satisfaction est au rendez-vous. Les percussions, et sa voix me le rappelais. Les sons du tambour qui se mettaient en diapason avec les esprits. Ces tambours vibrant les entrailles de Quisqueya. Des palpitations qui me communiquaient les rythmes du terroir: Yanvalou, Maskaron... Un lourd héritage de nos ancêtres. Ça me relaxais un peu et me permettais de fuir les tensions quotidiennes.
J'étais à peine arrivé que je le remarquai déjà. Je le voyais de l'autre côté de la salle polyvalente. Il brillait de ses mille feux avec ses cheuveux lisses, son teint clair, son nez effilé. Et le tout couronné par une bouche des plus sexy. Pendant tout le concert, je ne cessai de le reluquer. Je le mangeais carrément des yeux. Et pile à ce moment, Darline interprétait Pik Makaya, son titre d'enfer qui peint l'orgasme, la jouissance... L'excitation. la manière dont elle décrivait sa jouissance, ses envies, ses pulsions je me retrouvais dans tous mes états dans cette salle. Et cerise sur le gâteau, il correspondait aussi à mon canon. Car, il semblait sûr de lui et portait un t-shirt blanc avec motif de vèvè d'Erzulie Freda, déesse de l'amour. Un bermuda gris épousant son postérieur. Des muscles dissimulés mais captivants.
Après le concert, on s'était rendu dans l'atrium de la Fokal pour une exposition sur les droits humains. Drôle de coïncidence, on se retrouvait devant la même photo. Là on fit connaissance! Pendant quelques instants qui me parurent assez long, on se raconta nos vies. J'appris pas mal de choses de lui genre qu'il s'appelait Hector un peu comme cet héros grec, qu'il était aussi fan de la culture, de l'histoire et du voyage. Photographe de surcroît, il me fascinait au plus haut point!
De mon côté , j'étais encore étudiant et je terminais ma licence de psychologie. J'étais également danseur folklorique et rien de plus. L'aprèm se terminait assez bien! Il me glissa son numéro et je partis. Des échanges très passionnants se tenaient entre nous. On se fusionnaient quoi! On passait de belles journées ensemble. On partait à la découverte de notre personnalité, de nos corps.
Cette idylle me permettait de fuir la dure réalité que je vivais. Grâce à elle, je pouvais sentir autres choses que les pneus enflammés, le gaz lacrymogène, la pestilence des déchets. Je pouvais aussi voir autre chose que des montagnes bidonvillisés. Des forêts detruites. Je pouvais aussi fuir les tensions quotidiennes.
Mais un soir, pendant que je tchattais, je laissai mon téléphone sans surveillance pour aller prendre un verre d'eau. Et mon père voulant passer un appel, a prêté mon téléphone qui était à sa portée à mon insu. Curieux dans sa nature,il a été voir mes photos dans ma galerie. Et là, tous les sextos se sont étalés devant ses yeux. Il ne s'en étais pas remis à la vue de ces sextos de moi et Hector. Il en a fait un scandale!
Mais n'en pouvant plus, je lui ai tout balancé. Je lui ai dit finalement que j'étais gay. J'ai fait ma sortie de placard. Il n'en croyait pas à ses oreilles. Ils me bombardait de questions mais ne me laissais pas le temps de répondre. Il voulait que je change. Mais je ne pouvais pas. Il me frappait durement. Ma mère était là. Elle pleurait mais n'intervenait pas. Au final, il me mis à la porte. Si ça n'était Hector, je ne sais plus où j'en serais aujourd'hui.
De cette expérience, j'ai beaucoup appris et encore je repense à cet instant. Je me rappelais des douleurs qui m'ont été infligé à cause de ma différence, de mon orientation sexuelle. J'étais confronté durement à la réalité. De cette nuit sombre, j'en ai déduit que tout dans la vie avait un coût. J'appris aussi que le destin était la voie qu'on choisissait et que c'était à nous de nous battre pour nos rêves et parfois au détriment de soi même. Car l'essentiel C'est d'être heureux.
-Mon amour, tu es encore là devant ton ordinateur, on va être en retard,me lança Hector en entrant dans notre chambre.
-Désolé chéri, je devais terminer cet article pour mon blog d'assistance psychologique, lui dis-je. Les jeunes ont besoin de modèles.
-D'accord fais vite parce que je ne voudrais pas que nous rations l'avion mon chou, et le festival c'est pour bientôt disait-il impatient.
Je regardais Hector prendre les bagages. Ces 10 ans passés ensemble ne l'avait pas vraiment changé. Je souris discrètement et ajoutai les derniers mots À bientôt mes Blogger j'attends vos commentaires et réactions et surtout #vivezvosrêves#.