Les malheurs du charme

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Mais si j'ai bonne mémoire, en sortant hier de ma tanière, flamboyant comme un feu d'artifices et enveloppé d'un parfum qu'on ne trouve que dans les grandes maisons parisiennes, je traversais Libreville en direction de l'Atlantide, la boîte de nuit la plus en vogue de la capitale, où m'attendaient gaillardement mes amis fêtards : David et Houinel.
A quelques mètres des lieux, Je cherchai des cigarettes. Comme on n'en vend pas dans la boîte, je parcourai des centaines de mètres pour me les procurer. J'entrai dans une boutique. j'achetai les cigarettes que je désirai et aussitôt j'en allumai une. Pile au moment où je redressai la tête, mes yeux tombèrent sur une image. Ce regard d'homme abasourdi ne cessa de capturer l'image, encore, encore et encore jusqu'au moment où, au énième cliché, je fus projeté dans un monde édénique, une sorte de dimension parallèle où ne furent que cette naturelle œuvre d'art et moi. En un instant, dans la ville, il n'y eut plus qu'elle et moi.
Loin de m'en effrayer, je vis cette situation comme une occasion, L'occasion de connaître les mystères de cette découverte. Pourquoi avait-t-il fallu que sa bienveillante magie chassât tous ces gens autour de nous? M'avait-elle également photographié du regard ? Fus-je, moi aussi, important à ses yeux ? Nos destins durent-ils forcément se croiser ? Autant d'interrogations pour si peu de réponses.
Déterminé à lever le voile sur cette énigme, je cédai élégamment le pas vers elle. Pour ne point l'étouffer de fumée, j'écrasai ma cigarette sur le trottoir après l'avoir jetée. Je plongeai ensuite ma main droite dans la poche intérieure de ma veste pour en sortir des bonbons à la menthe, tout cela en pensant aux innombrables sornettes que je pourrais planter dans ses oreilles.
Plus je m'approchai d'elle, plus l'image devenait nette. J'eus, en effet, en face de moi une femme d'une très grande beauté. Sa peau noire scintillait dans la nuit comme scintillent les eaux d'une rivière un soir de pleine lune et l'aspect de ses yeux telles deux étoiles solitaires illuminaient la ruelle entière. Ses somptueuses lèvres, couleur cerise me donnaient envie d'y goûter. Mais, en bon gentleman, je sus me contenir.
Arrivé en face d'elle, prêt à sortir mon speech, un autre discours me vint à l'esprit:
- Bonsoir mademoiselle. Lui dis-je.
- Bonsoir monsieur. Rétorqua-t-elle. Sa voix était un chant de rossignol. Un type d'orchestre descendu du ciel pour le plaisir des hommes, une merveille sans nom. L'extase de l'ouïe. Et pour être sincère, je n'avais point entendu, depuis ma tendre enfance, de plus beaux sons que ceux de son timbre. J'en fus plus que stupéfait. Je fus ébahi.
Parfait était son corps de surcroît, aussi taillé que des sculptures grecques. Avais-je en face de moi une sirène ? Non... Impossible que c'en fut une. Ces légendes n'existent pas. Mais dans tous les cas, il fallait que je la présente à David et Houinel:
- Vous attendez quelqu'un ? Lui demandai-je.
- Non non. Pas particulièrement. Je cherche en réalité le moyen de regagner l'Atlantide et il me faut impérativement un hôte. Me répondit-elle avec un sourire resplendissant. De ce sourire resplendissant se dévoilaient des dents harmonieusement agencées, d'une blancheur de papier vierge. Dès lors, mon cœur ne put attendre. Il fallait, sans ambage, que je lui proposasse mon escorte:
- Ça tombe bien mademoiselle euh...
- Médula. Appelez-moi Médula.
- Ça tombe bien mademoiselle Médula. C'est à ce lieu que je me rends. Voulez-vous que je vous serve d'hôte ? Lui demandai-je.
- Volontiers monsieur. C'est tout ce que j'attendais, Répondit-elle. Surpris et émerveillé par cette réponse, je n'eus prêté attention au sens caché de cette phrase.
Enthousiasmés, nous nous dirigeâmes vers l'Atlantide. Peu de temps après, mon portable sonna. C'était Houinel. Je décrochai :
- Allô cousin. Où es-tu ? Il est 2h 28 déjà. Nous sommes loin dans la fête là. Tu risques de ne pas nous trouver vieux, me dit-il.
- Ne t'inquiètes pas cousin ! Je suis à dix pas de l'Atlantide. Dans 5 mn je suis avec vous. Il raccrocha ensuite.
Nous continuâmes la marche à discuter comme si nous nous connaissions depuis des millénaires. Nous passions du temps à commenter le paysage, à comparer les enseignes, et à critiquer certains accoutrements que nous trouvions ridicules (car nous n'étions plus seuls dans la ruelle depuis le début de la marche). Sans trop nous en rendre compte, nous fûmes déjà aux portes de l'Atlantide. Nous saluâmes le portier et nous entrâmes dans ce que j'appelle « le paradis de la débauche », «le sanctuaire de la perversité».
Nous allâmes au salon habituel, c'est-à-dire le salon que mes amis et moi avons l'habitude de réserver, avec la certitude que nous les trouverions là. Mais, on n'y trouva ni David ni Houinel ni personne. Le salon était vide.
Un peu désorienté, je leur fis un SMS. Problème de réseau. Je demandai alors à Méluda de s'installer, le temps que j'aille appeler dehors, mais je constatai que je n'eus non plus de batterie. Mon portable s'éteignit sur le champ.
J'étais donc seul avec la créature vénusienne que j'avais cueillie. Ce qui non plus, n'était pas trop mal.
Mes amis reviendront sans doute, me dis-je. Ils sont peut-être allés prendre de l'air. Et, à dire vrai, tant que j'étais en compagnie de Méluda, la position géographique de mes amis importait peu.
J'allai donc au comptoir prendre des boissons pour elle et moi. Et comme je ne sus son goût, j'eus opté pour deux cocktails de fruits légèrement alcoolisés.
A mon retour, la salle était bien vide. Il n'y eut que la téméraire musique et ma déesse mythique. Même la musique que nous eûmes trouvé commença à changer de ton. A la place des magnifiques symphonies mondaines que je connaissai, j'eus droit à une musique d'opéra sortie du XVIIIe siècle. Le style de musique effroyable, à vous glacer le sang. Je me retrournai donc pour interroger le barman sur ce changement, mais, à ma grande surprise, lui aussi ne fut plus. C'est à ce moment que je pris peur.
Où étais-je en réalité ? Et Comment expliquer ce qui m'arrivait ?
Pendant que ces questions trottèrent dans mon esprit, je sentis de l'humidité dans mes chaussures. En baissant la tête, je constatai que de l'eau envahissait la boîte de nuit. Le niveau d'eaux augmentait tellement vite qu'en quelques secondes, l'eau me submergea jusqu'aux épaules. Je regardai vers la droite pour voir ce qu'il en était de ma délicieuse Méluda. Mais, elle aussi ne fut plus. Inquiet, je commençai à crier son nom de toutes mes forces. Mais sans réponses.
Peu de temps après, une chevelure de femme s'observa à la surface de l'eau. Derrière cette chevelure, j'appercevai une queue énorme d'animal marin. J'eus parié que c'était Méluda. Étant dans le doute, je regardai intensément en direction de la chevelure pour déceler une certaine ressemblance.
En effet, cette séduisante demoiselle aux formes irrésistibles était devenue un être mi femme mi poisson.
Pris de panique, je me mis à nager vers la sortie. Mais hélas!! Je fis du surplace. A beau nager, je n'avançai pas. A beau me débattre, je fus au même endroit. Et pendant que je tentai veinement de m'échapper de ce lieu maudit, l'étrange créature approcha.
Plus elle approcha, plus je transpirai. Plus je transpirai, plus j'eus du mal à respirer. Et d'un coup, je perdis connaissance.
Quand j'ouvris les yeux, j'étais sur mon lit, vêtu de mon pyjama habituel, le coeur battant la chamade. Je compris dès cet instant que tout ceci n'était qu'un cauchemar... Rien de plus qu'un mauvais rêve. Vraiment, rien de plus.