Les dernières paroles d'un condamné

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Au fond de ma prison, où la solitude abonde et l’obscurité règne, je me demande si je vis encore. Me le demander, fait de moi un mort-vivant. Je réalise mieux qu’entre la vie et la mort, la distance est infime.

Mabicka est mon nom. Je suis né le jour où ma mère a rendu son dernier souffle, d’où mon appellation. Mon père est décédé six mois avant ma venue au monde, lors d’un malheureux accident de travail. Seul au monde, l’étais-je déjà ? Certainement. Les traditions ayant la peau dure, les gens me traitaient de sorcier. Par conséquent, la plupart des membres de ma famille m’ont rejeté. Matsanga, ma grand-mère maternelle a finalement décidé de me recueillir. J’ai réussi à nouer avec elle une complicité sans faille. Nous vivions ensemble dans une modeste maison de Mbangaville, la capitale du Mbanga, un pays tropical. Matsanga était une cinquantenaire, à la taille fine, au teint noir ébène et son front était marqué par des rides qui s’alignaient harmonieusement les uns sur les autres.

Mbangaville n’était pas une ville comme les autres. La mer de son bleu écarlate enjolivait le centre-ville. La brise qu’elle dégageait me rafraîchissait les pensées chaque matin et chaque soir. La brise du matin m’inspirait la détermination tandis que celle du soir l’espoir. Son marché est dynamique. Au milieu des friperies en plein air, des boucheries et autres, chaque Mbangavillois lambda trouvait son compte. Le général Kokonandé est l’Homme fort de tout le Mbanga, qu’il dirige comme une armée ; au pas cadencé. Sa devise ? « Le Mbanga est une grande famille dont je suis le père. »

Faute de moyens financiers suffisants, je suis allé pour la première fois à l’école à l’âge de sept ans, à l’école publique de Nuit-Blanche. Nuit-Blanche était le quartier particulièrement animé par les bruits persistants de musiques de bars, dans lequel je vivais. Il était nommé ainsi car, les populations passaient des nuits blanches afin de recueillir de l’eau potable qui n’arrivait qu’entre une et deux heures du matin pour se couper à l’aube. De plus, les routes de Nuit-Blanche, étaient cabossées et ressemblaient à une patinoire en période de pluie. J’avais un tempérament bouillant et me comportais en chef lors des jeux, ce qui ne me valait pas que des amis. Cependant, j’étais un excellent élève et je faisais la fierté de ma grand-mère. Cependant, faute d’argent pour acheter des livres et ma grand-mère étant vieillissante, j’étais obligé de devenir un manœuvre afin de gagnerquelques billets. Malgré cela, j’ai décroché un baccalauréat scientifique avec la mention « Bien » et obtenu une bourse afin de décrocher un diplôme d’ingénieur. La nouvelle de mon départ s’était répandue comme une trainée de poudre dans toute Nuit-Blanche. Le jour de mon départ, une sensation de tristesse m’envahit et Matsanga comme pour me rassurer prit ma main et la mit dans la sienne. Puis, une voix suave survint et dit : « Les passagers du vol Mbangaville-Paris sont priés d’embarquer. » À ce moment, une larme s’échappa de mon visage et je dus partir sans me retourner.

Ayant le cœur au Mbanga, et le Mbanga au cœur, j’ai décidé de retourner au pays après l’obtention de mon diplôme, afin de le servir malgré les nombreuses propositions alléchantes de grandes entreprises françaises.

Sous une chaleur accablante, je descendis de l’avion et ressentis un parfum de nouveauté. Mbangaville me parut comme inconnue. Il me fallait la redécouvrir. Pour moi, tout ou presque avait changé. Cela faisait cinq ans, que je n’avais pas remis les pieds sur cette terre qui m’a vu naître. L’idée de regagner Nuit-Blanche m’enthousiasmait, surtout celle de retrouver ma grand-mère. A mes yeux, les cinq ans sans elle parurent comme une éternité. Avec le peu d’argent que je lui avais envoyé, et grâce à ses épargnes, Matsanga avait réussi à rénover la maison, qui à mon départ était peu reluisante. Au vu de ces avancées, j’envisageais mon retour comme étant une source d’espoir.

Si les retrouvailles m’avaient inspiré positivement, mon objectif était de trouver un emploi. J’étais motivé et me levais assez tôt afin d’arriver à l’heure au ministère de l’industrie qui était censé m’employer après mes études. Dès sept heures et vingt minutes, j’étais présent dans les couloirs de l’imposant édifice qui abritait cette administration. Le silence qui l’envahissait était assourdissantvoire intriguant. Je m’attendais à voir les premières silhouettes des fonctionnaires dès mon arrivée.
Trente minutes plus tard, d’autres personnes probablement à la recherche d’un emploi était présentes dans le hall. Les réceptionnistes et la plupart des membres de l’administration était arrivée vers neuf heures et trente minutes. A qui la faute ? Au mauvais état des routes de Mbangaville ? Ou à la paresse de certains ? Ce qui est sûr, c’est que je fus reçu dans le bureau du secrétaire général du ministère de l’industrie, Mr Nkatala dès dix heures et trente minutes. Mr Nkatala était un personnage de taille moyenne, dont le visage était recouvert d’une barbe poivre sel et assez dodu.
Puis commença notre entretien dans son bureau que la climatisation rafraîchissait. Il me dit :
« -Jeune homme, je vous sens très motivé
-Je le suis, et je veux servir ce pays qui m’a tant donné
- Ah les jeunes !
- Rien dans ce monde ne s’est construit sans passion ou valeurs, retorquai je
- Avez-vous un parrain ?
- Qu’est-ce que c’est ?
- C’est quelqu’un qui pourra vous introduire dans notre cercle restreint et pourra vous aider à gravir
les échelons dans l’administration.
- Non. Et je n’en ai pas besoin pour réussir ;
- Ah la jeunesse ! Les idéaux sont comme les fleurs. C’est beau, mais ça ne nourrit pas.
- Ce que vous me demandez est trop compliqué.
- La balle est dans votre camp cher ami. Revenez me voir, lorsque vous serez prêt »

Bien que j’eût su qu’au Mbanga quelqu’un est quelqu’un s’il connaît quelqu’un quelque part, cet entretien m’avait surpris et m’avait abattu. Aussitôt rentré à la maison, je relatai les faits à ma grand-mère qui malheureusement fit une crise cardiaque. Nous l’emmenions donc à l’hôpital et grâce à la solidarité des voisins, nous pûmes s’acquitter de sa caution. Mais par manque de respiratoire adéquat, elle rendit l’âme le lendemain. Je me sentais coupable d’avoir entraîné la mort de Matsanga. Elle fut enterrée au cimetière municipal de Mbangaville qui jouxtait la plage. Cette plage dont la brise du matin m’inspirait la détermination tandis que celle du soir l’espoir.

N’ayant plus rien à perdre et étant seul au monde, je me suis lancé en politique en tant qu’activiste afin de dénoncer toutes les injustices cautionnées par le régime du général Kokonandé. Je savais que les opposants à sa politique l’agaçaient singulièrement. Par conséquent, bousculer son régime serait
une belle manière de le contrarier et de lutter contre les inégalités que nous Mbanganais subissions chaque jour. Ne dit-on pas qu’il faut empêcher de dormir, ceux qui nous empêchent de rêver ? J’étais décidé à le faire. Je distribuais personnellement des tracts et mobilisait les jeunes de Nuit-Blanche puis bientôt ceux de tout Mbangaville afin de contester ce régime autocratique qui n’avait que comme langage celui de la violence. Bientôt, nous jeunes de Mbangaville créâmes le comité de l’unité mbanganaise, afin d’intensifier notre lutte. Kokonandé, ayant muselé l’opposition, notre association était illégale. J’ai miraculeusement échappé à deux tentatives d’assassinat. Puis, lors d’une marche de protestation organisée par notre mouvement rassemblant une foule immense, douze de mes compagnons et moi furent jetés en prison. Nous serons condamnés à la peine de mort.
Sur le Mbanga, la nuit est longue, mais le jour vient. Celui où la liberté et la justice règneront.

Depuis ma prison immonde, où l’obscurité abonde et la solitude m’inonde, mon principal réconfort est d’avoir combattu pour une cause juste, même si celle-ci me conduit actuellement à la mort.