Les couleurs du trépas dans le labyrinthe de ma mémoire

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés? Peut-être les deux. Paniqué ! Pour la première fois je ne sais pas qui je suis, confondu dans un dédale intriguant. Le monde autour de moi me fais sentir que je suis hospitalisée par les sons qui me disent de respirer, d’ouvrir les yeux : « Respire ma chérie ! Ouvres les yeux ! » Telle une répétition continue qui m’efforce de me réveiller. Je m’efforce de comprendre mon incompréhension. Les soupires des uns, les cris des autres me font croire que je suis dans un monde en détresse. Comment suis-je arrivée là ? Tous mes souvenirs s’effacent de ma mémoire. Toutes ces répétitions continues et désespérées m’écartent petit à petit, jusqu’à disparaitre de mon entendement. Je sens une partie de moi qui se détache, s’assoit, puis se met debout ; commençant par marcher le long d’un tunnel d’une noirceur intense et au bout duquel j’aperçue une lumière. Autant que j’approche de la lumière, autant que son intensité s’affaiblit. Ma seule préoccupation c’est de savoir qui suis-je, où suis-je et comment suis-je arrivée là. Comme un labyrinthe, ma mémoire tente à maintes reprises de me souvenir de quelque chose. Parfois, on peut beau vouloir de quelque chose qui n’arrive pas forcément ; je voulais savoir qui je suis d’abord, mais le labyrinthe de ma mémoire me permet de répondre à la question « où suis-je ? ». Dès lors, cette partie qui se détachait de moi se tourne vers l’extérieur pour essayer de comprendre le milieu de ma vie antérieure
J’ai cru voir l’extérieur et je me sentais perdu ; tombé dans une cité aux valeurs inversées, car j’ai vu des sages dans l’abaissement et la folie occupe des postes très élevés. Je pensais être dans un monde damné et j’ai vu des insensés sur le trône et des sages dans les champs. Je suis perdu dans ma propre cité ! Quel est donc ce pays où le voleur est honoré pour avoir utilisé de meilleurs techniques de vols et le sage incarcéré pour avoir témoigné la vérité ! Etant dans le trauma, je peux voir maintenant la réalité de ma vie antérieure où la sagesse devient un handicap. J’ai peur d’aller réveiller mon corps pour ne pas revivre cette vie! J’ai cru entendre la voix de cette femme aux yeux bandés, qui, elle-même torturée par la réalité politique de sa cité. Une cité où la médiocrité est la règle et la sagesse l’exception ; des classes vidées et des écoliers sur les places publiques. L’école n’est plus dans la règle ; car à quoi bon d’y aller quand ceux qui possèdent la célébrité, l’argent et le pouvoir sont des écervelés ? Dans ma cité, j’ai rencontré des mères et pères adolescents ; le livre leur pire ennemie, quand ils voient ça, ils ont des démangeaisons. J’ai vu crucifier l’éducation au côté de la démocratie pour laisser vivre le hasard par certains qui prétendent savoir ce qu’est la démocratie tout en ignorant totalement ce qu’est l’État de droit. J’ai vu des enfants en quête d’une identité ; certains prennent le gang comme modèle, car avec ça on a le pouvoir, l’argent et surtout du respect ; d’autres essaient de prendre l’école pour référence, en asseyant sur des pierres en face d’un professeur affamé et désespéré. J’ai vu l'ignare qui donne du savoir à l’intellectuel, en lui montrant comment faire fortune dans la politique. Je suis impressionné de la vie extérieure, pourtant c’est la réalité de ma vie antérieure. J’ai vu des gens qui se réjouissent dans des funérailles, avec des cercueils ornés, des caveaux rayonnés ; d’autres naissent dans la tristesse, sous des tentes à côté des eaux puantes. Des vivants qui respirent, mais qui ne vivent pas ! Enfin, je constate que j’ai vécu dans un pays où les morts sont honorés et les vivants méprisés. La lueur d'espoir qui restait à la jeunesse disparait dans la fumée des incendies ; j'’ai vu mes frères qui vendent leurs terres pour aller cultiver de la terre à l’étranger. Je dois retourner sur mon corps pour comprendre qui suis-je et comment je suis arrivé là.
Dans mon horreur, j’ai vu mon âme essayant de s’attacher à mon corps lorsque le sang coula à flot sur mes cuisses et mon utérus qui se déchire. J’ai envie de comprendre ce qui se passe autour de moi. Comment suis-je arrivé là ? La voix me parvient encore à l’oreille : « Ouvre les yeux ! Respire petite négresse ! Respire ! Dans la lutte avec ma mémoire, j’ai cru me souvenir de quelques choses : « j’étais forcé de monter dans une voiture de plaque officielle juste avant mon évanouissement. » J’ai été kidnappée ! Entourée d’une noirceur épaisse et de bouillards dans une sombre forêt ; abattue, dans ma mémoire enfantine, j’ai cru détecter environ une demi-douzaine de voix masculines faisant la queue devant mon innocence. On a détruit mon innocence, ma virginité horriblement perdue, ma pureté est souillée. Je ne sais qui je suis et je pourrais être tout, sauf une fillette, car il n y a rien de féminité qui me reste. Les souillures de l’urine et du sperme m’enlevaient toute ma fierté d’être femme en me donnant du dégoût à la vie. Ma craquette n’est plus comme celle d’un enfant de mon âge ; dans mon entendement, je ne serai pas plus meilleure qu’une chagasse. Je suis dans le noir et j’ai les yeux fermés ! La peur m'envahi ; la honte s’est emparé de moi. Revivre dans une telle cité me paraît dépourvu de sens. Et qui sait si je ne serai pas battue, emprisonnée pour avoir raconté mon histoire ?
Alors, mes yeux se sont maintenant fermés pour ne point voir le jour. Je sais maintenant que je suis une fillette kidnappée, violée, qui a connu les couleurs du trépas dans une cité où les vices et l’ignorance tiennent les rênes. Cette partie qui se détachait de moi retourne dans le couloir du trépas, lentement et comme dans un profond regret, s’avançant vers la lumière affaiblissante, qui s'éteignît comme un phare qui descend vers l’horizon. De loin, j’entendis un son, un son qui me rappelle d’une existence lointaine ; un tambour qui raisonne au plus profond de mon être, je sens trembler le sol par les pas des dames qui s'harmonisent avec les coups de baguettes. Des dames dont l’espoir ne s’est point affaibli, travaillant pour faire triompher le bien. La musique du Dahomey qui réjouit mon âme, dilate mes paupières, revigore ma respiration et me dit de me réveiller pour raconter mon histoire, pour rapporter l’espoir dans cette cité.