On sonna à la porte et son père ouvrit : un homme à la mine officielle se présenta. Il se dit clerc d’un office notarial installé à Florence, en Italie. Un silence intrigué lui répondit ; sa mère, sortant de la cuisine en s’essuyant les mains, s’approcha. Léo fit de même. le visiteur, assis dans l’unique fauteuil de leur modeste salon, leur fit un récit digne d’une série télé. La famille eut du mal à comprendre car le clerc ne maîtrisait pas vraiment le français et son histoire se révéla incroyable.
– Vous, Monsieur, avec votre fils, êtes les seuls descendants d’une vieille famille noble de Ferrare : les d’Este. Selon la volonté de sa dernière représentante en Italie, Isabella, nous vous observons depuis quelque temps.
Observés ??
– Cela n’a pas été facile de vous retrouver. Un de vos ancêtres a fui clandestinement l’Italie pour d’obscures raisons, mais nous avons pu retrouver sa trace et remonter jusqu’à vous, c’est le principal. Signora Isabella voulait être sûre que ses héritiers étaient respectables. C’est le cas. Oui, elle est décédée. Depuis peu.
Héritiers ??
– Je vous accompagnerai durant le voyage à Florence pour les formalités. Votre fils doit venir aussi.
Ils prirent l’avion pour la première fois. Stress et émerveillement. Atterrissage à l’aéroport Amerigo Vespucci, taxi jusqu’à l’hôtel dans le centre historique, chambres avec vue sur le Palazzo Vecchio.
Installé dans un ancien palais, le notaire les reçut dans son bureau donnant l’impression de remonter le temps tant sa décoration paraissait diverse et chargée : sol en marqueterie de pierres colorées, allégories aux murs, plafond à caissons, pendeloques et dorures omniprésentes.
– Procédons à l’ouverture du testament :
« Après avoir pris tous les renseignements nécessaires, moi, Isabella d’Este, je lègue mes biens à mon lointain et unique héritier Pierre Dest, sauf le livre appartenant à notre famille depuis toujours et qu’ Ercole, mon défunt père a étudié toute sa courte vie. Ce livre est pour Léo Dest qui est, je le sais, un élève exemplaire »
Après une pause, le notaio reprit :
– Ne vous attendez pas à des millions : la Signora était désargentée de longue date. Son hôtel particulier vient d’être saisi et vendu par ses créanciers. Avec mes honoraires, il ne vous reste que bien peu, et ce vieux bouquin.
Il remit au père un chèque qui couvrait les frais du voyage avec une modeste marge, et l’ouvrage à Léo :
– Elle, et surtout son père, y tenaient beaucoup, pourquoi ?
Le bouquin en question respirait les temps anciens : pas très grand mais bien épais. En cuir, plats et dos griffés, coins émoussés, nerfs usés jusqu’à la corde. Intérieur en langue indéchiffrable, orné de multiples croquis obscurs. Avec ça dans les mains, Léo se vit en magicien possédant un grimoire de sorcellerie. Jamais il n’avait espéré tenir un tel objet, encore moins le posséder.
Léo s’y plongea dès revenu à l’hôtel et pendant tout le voyage de retour, mais ne lui étaient accessibles que certains croquis d'architecture et de mécanismes divers. Son bouquiniste lui confirma l’ancienneté de l’ouvrage mais fut incapable d’en établir la valeur. Chez eux, il consacra tout son temps libre à comprendre ce qu’il voyait, mettant même en danger la fin de sa scolarité. A force de recherches, il tomba sur l’écriture spéculaire, celle que l’on déchiffre en la regardant dans un miroir. Il essaya aussitôt et bingo ! ça marcha ! Enthousiasme vite refroidi par la langue utilisée, incompréhensible. Par chance, il avait pris italien en seconde langue et put ainsi saisir le sens de quelques mots bien trop rares. Les grandes vacances passèrent sans avancée notable.
En septembre il eut un nouveau prof de philo. Entre eux le courant passa tout de suite et Léo n’hésita pas longtemps pour lui montrer son trésor. Après un examen minutieux, Languedonne lui confia ses observations :
– Les pages ne sont pas en papier mais en velin et c’est écrit en un vieux dialecte toscan, mêlé de latin approximatif. Oui, avec un nom comme le mien, je ne pouvais pas ne pas m’intéresser aux langues et aux énigmes ! On dirait un codex datant du Quattrocento. En tout cas, il est précieux et fragile, tu dois le protéger.
Léo passa plusieurs jours à en photographier, inverser, imprimer et relier toutes les pages puis emballa avec soin son manuscrit et le cacha au fond de sa chambre. Ils étudièrent souvent ces pages ensemble : elles parlaient de géométrie, de machines volantes, d’anatomie, de religion, de retour à la vie... Parfois les idées exposées semblaient naïves, parfois tortueuses, énigmatiques. Un jour, il remarqua que la photo d’une page avait capté les traces des écrits de son verso, il s’en amusait quand il se rendit compte qu’elles ne correspondaient pas à la page suivante. Intrigué, il sortit l’original, retrouva la page et s’aperçut de son épaisseur inhabituelle : la feuille collait à la suivante. Tiens donc. Il voulut les séparer et comprit qu’elles étaient collées ensemble volontairement !
Un secret ? l’idée du magicien lui revint. Fébrile, avec d’infinies précautions, il parvint à séparer les deux feuillets et... Oui ! le secret apparut !
Une feuille de papier bible recouverte d’une écriture minuscule et serrée, à la limite du lisible, enserrait de près un dessin, non, un schéma. Le schéma d’un appareil électrique. Le texte, bien plus récent et signé E.d’E. se révéla être de l’italien courant. Il s’agissait de références au codex, mêlées à des instructions pour la réalisation de l’appareil, dont le but évident pour l’auteur, n’apparaissait pas. Conscient de l’étrangeté de sa découverte, il n’en dit mot à personne. Les pages qui le cachaient différaient considérablement du reste : une écriture dense, nerveuse, et beaucoup de chiffres et de calculs. De petits dessins de croix avec boucle, de fleur, de sablier revenaient souvent. Il dupliqua les deux pages et les montra à son prof :
– Changement de style et de sujet, dis donc ! C’est assez confus, le texte parle de renaissance, d’autres temps, d’énergie manquante... Les calculs me sont hermétiques, ce n’est pas mon fort. Par contre, c’est bourré de croix égyptiennes et de lotus, symboles d’éternité...
Léo divisa le schéma en plusieurs zones et les recopia séparément. Un copain fort en maths, un réparateur en électronique et même son prof de physique décryptèrent chacun une partie, ignorant tout de l’ensemble. Evidemment, il eut du mal à éluder toutes leurs questions, mais finit par arriver à ses fins. Rassembler les éléments ne fut pas insurmontable, même si quelques composants ne se fabriquaient plus ou ne se trouvaient plus que dans des pays lointains. L’internet lui facilita la tâche. Quelques gros condensateurs DEN, hors de prix lui causèrent du souci, mais le ferrailleur du coin lui permit de chercher et de trouver leurs équivalents dans sa montagne de matériel électrique destiné à la refonte. Malgré la difficulté, il s’obstina à monter le circuit seul, en secret.
L’impasse où ils habitaient aurait dû être une rue, mais les travaux ne furent jamais finis et l’asphalte finissait contre un talus de terre envahi d'herbes folles. Le terrain voisin, parsemé d’arbustes pouvant le soustraire à la vue des importuns serait le lieu de l’expérience.
Quand la nuit choisie arriva, il transporta discrètement l’appareil dans le champ et commis sa première infraction : à l’aide de deux perches de bois munies de crochets métalliques reliés à des câbles, il raccorda son engin au réseau en les accrochant aux fils électriques courant au sommet des poteaux bordant sa rue. Tendu, il hésita puis actionna l’interrupteur : rien...
Les lampadaires vacillèrent. Un bourdonnement, d’abord imperceptible, s’amplifia en un grésillement fait de multiples vibrations, puis vint une lueur bleutée virant au blanc. Comme un flash, un éclair l’aveugla et l'aspira. La nuit revint. son vertige passé, il sentit un changement dans l’air et dans le paysage. Léo se trouvait devant le Palazzo Vecchio.
– Léonardo !? d’où tu viens ? On te cherche depuis des siècles !
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Un peu tard
C’est très bien écrit.
J'arrive un peu tard pour soutenir efficacement cette nouvelle mais il est encore temps de cliquer sur j'aime cette œuvre.