Le toit du monde

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On s'retrouvait avec Riri, chaque jour en fin d'après-midi.

Quand j'arrivais, il était déjà perché sur la murette, à lancer des cailloux dans les fenêtres crevées de l'usine désaffectée qui se trouvait en haut du jardin. Moi, j'devais d'abord prendre le goûter de pain et de fromage avec lequel ma grand-mère m'accueillait à chaque retour d'école, et répondre aux questions qu'elle posait sur ma journée, les devoirs, les copains... Je n'attendais qu'une chose : le soupir qu'elle poussait inévitablement au bout d'un moment à m'observer trépigner sur place, et l'autorisation de sortir qui l'accompagnait toujours.

Ensuite, je grimpais nonchalamment l'allée de graviers, en prenant l'air de celle qu'est pas pressée pour deux sous, pis quand j'arrivais j'lui lançais : « T'es là, toi ? », en guise de bonjour. « Ouaip », qu'il disait, avant d'shooter dans un caillou.

Je m'asseyais sur le mur, à l'autre bout, et j'regardais mes pieds.

En général, ça durait un moment. Un silence doux et fin comme du papier musique que l'un de nous deux finissait toujours par crever.

— On grimpe ?
— On grimpe.

Alors on grimpait : la rue de la Forge d'abord, en traînant les pieds, puis l'chemin des Moulières en courant, on s'arrêtait en haut, devant le lampadaire gris, et là, en général, on échangeait un regard. L'un de nous prenait appui sur le socle, et en s'aidant des encoches montait jusqu'au toit plat de l'atelier, sautait dessus, et le second suivait. On se perchait ensuite sur le rebord à l'arrière du bâtiment, avant de sauter sur la colline.

En escaladant cette dernière, on arrivait enfin à ce qu'on appelait entre nous « le toit du monde ». C'était un vieux château d'eau enterré sous un monticule de terre sur lequel l'herbe était haute, et abritait pêle-mêle mauvaises herbes et insectes en tout genre. Ne dépassait en haut qu'une espèce de dôme en béton, triste comme un dimanche pluvieux. C'est là qu'on s'asseyait, l'un à côté de l'autre, devant la ville entière et le soir qui tombait.

Ce dôme, c'était notre repère, notre univers, notre navire. Celui qui se mettait au centre sur la pointe des pieds faisait la vigie, observant l'océan autour, et se mettant à crier dès qu'un danger surgissait à l'horizon. Que le caniche nain de Mme Locatelli se pointe, sa maîtresse au bout de la laisse, et la vigie hurlait « Requin à babord ! ». Les vieux à la pétanque, place des Bons enfants, nous tiraient un « Pirates en vue, mon capitaine ! ». Nous nous étions nommés « N'a-qu'un-œil », et « N'a-qu'une-oreille » d'après les patronymes respectifs des deux forbans d'un vieux J'aime Lire que nous nous étions partagé. En général, les vents ne nous étaient guère favorables, et nous bravions courageusement les tempêtes, finissant souvent par rouler jusqu'en bas de la colline aux cris d'un « homme à la mer ! » suivi de fous rires qui semblaient nous durer des heures.

Et puis il y a eu ce jour...

Le jour du pari perdu, où mon gage consistait à avaler sans mâcher la coccinelle que nous avions trouvée quelques minutes plus tôt sur le chemin. Nous étions assis sur le toit du monde, j'étais vexée comme un pou que ce soit lui qui l'ai emporté, et je regardais la bestiole ranger ses petites ailes transparentes sous leur coque rouge vif sans arriver à me décider à l'avaler sans réfléchir. Je fronçais les sourcils : je ne pouvais pas flancher, pas devant lui, qui plus est après avoir perdu un pari. Il me regardait en rigolant, quand soudain, il a pris un air grave, et m'a déposé – tout doucement – un minuscule baiser au coin de la bouche.

— Tu fais quoi N'a-qu'un-œil ? j'ai dit.
— Je sais pas, capitaine.
— Non mais tu crois quoi, qu'un pirate ça fait des trucs comme ça ? Tu rêves ! Je suis barbare, moi. Je suis invincible. Je suis sanguinaire !

Et comme j'étais à court d'adjectifs, j'ai gobé la coccinelle.

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