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Aujourd'hui, j'ai enfin pu enterrer ta voix. Je l'ai ramassée un peu partout, dans cette chambre où elle continuait de me dévisager, dans ce couloir où elle pendait au cadre des tableaux. Je l'ai guettée longtemps dans l'ombre avant de l'attraper, de crainte qu'elle ne me voie la première. J'ai rassemblé ses bris dans cette cuisine où elle ne cessait de surgir chaque jour, se plantant d'un coup dans mon corps tandis que je faisais la vaisselle ou tournais quelque chose sur le feu.

Après tous ces hivers seule ici, pourquoi aujourd'hui ?
Je ne sais pas. Je sais juste que tout à coup, alors que la lumière matinale cassait sans bruit sur la rambarde de l'escalier, je me suis dit que je porterai ta voix en terre avant la nuit.

Je l'ai mise dans une jolie boîte. Une de ces boîtes en bois un peu ouvragé que l'on trouve souvent dans les brocantes. Je l'ai enveloppée dans du papier de soie et soigneusement rangée. Puis j'ai bien fermé le couvercle, avec un cadenas et une petite clé. Tu seras bien dans cette boîte.
Il ne faut pas, jamais, que tu t'échappes.

Un peu avant que sonne midi, j'ai porté la boîte au pied du grand chêne, à l'avant du jardin. J'ai creusé la terre avec mes mains. Cela m'a pris un peu de temps, mais je n'aurais pas pu utiliser une pelle. Cela aurait été trop sordide. Les ongles pleins de terre noire et le souffle un peu court, j'ai placé la boîte dans le trou et l'ai recouverte sans tarder. Comme ça, sans cérémonie. Je ne t'ai pas lu d'oraison. Après tout, je n'enterrai que ta voix. Le reste, c'était il y a longtemps. Trop longtemps pour que je m'en souvienne distinctement.

Mais je sais que le chêne, lui, se souvient. Il sait combien je t'aime. Combien je te hais. Combien je n'ai pas su cesser de t'aimer. Les contusions que ta voix laissait sur ma peau fendue, violacée. Les sanglots et les suppliques, qui la rendaient plus tonitruante encore. L'arbre sait la voix de l'ogre. Lui seul se souvient de mes doigts soudain crispés sur ton cou, rigides, inflexibles. Je les ai regardés longtemps, ces doigts, serrer ta gorge. Sans comprendre ce qu'ils voulaient, sans pouvoir les arrêter, ni chercher à le faire. Je les ai trouvés beaux et étranges. Mais l'arbre, lui, avait compris. Il n'a jamais rien dit. C'est notre secret.

Il sait que c'est pour lui, pour la tendresse de ses ramures, que j'ai survécu toutes ces années.

Une petite heure plus tard, je suis rentrée dans la maison. Les pièces m'ont paru très vides, très vastes. La lumière singulièrement intacte. Et dans le miroir mon visage calme, inconnu.

Vais-je pouvoir vivre dans ce silence, où ne résonne plus la routine de ta violence ? J'ai un peu froid.

L'automne approche. Tu seras bien ici tu sais, quand les couleurs somptueuses du chêne tomberont une à une, lentement, sur toi. Si ta voix hurle, l'épaisseur des feuillages la couvrira. Pour qu'elle ne fracasse plus mes os.

Ne cherche pas la clé. Il ne faudra plus se parler, à présent. Je t'aime. Je ne suis plus ensorcelée.

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