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Le sortilège de Macondo
Hommage à Garcia Marquez
Ici le temps n'a pas commencé : Macondo, village serti dans la jungle, îlot de boue et d'ennui, trois cents âmes peut-être moins à défier la houle infinie de la forêt. Sans trêve les arbres s'avancent, leurs racines broient les derniers faubourgs, fissurent nos pauvres murs, nous susurrent chaque nuit qu'éternels ils nous écraseront de leur morne patience.
Ici je m'enterre depuis des années, trop de choses à oublier pour avoir un avenir, ou même un passé : me reste pour seul réconfort la solitude d'un infini présent. Garcia Marquez, autrefois, décrivit ainsi ce lieu : "Le monde était si récent que beaucoup de choses n'avaient pas encore de nom". Phrase définitive qui sans doute fixa mon choix.
Depuis quelques mois, signe du changement climatique ou d'on ne sait quel sortilège, la brume est apparue. Plutôt, elle a changé, comme un léger voilage remplacé par une lourde tenture : pour les anciens du village, irréductibles qui ne s'en iront jamais, elle s'épaissit à mesure que Macondo se vide, occupe l'espace libéré d'habitants partis on ne sait où, nourrit son essor de leur âme.
La brume... Désormais bruissante de légendes, où s'évanouissent les gens d'ici, égarés à jamais dans un brouillard maléfique ou pris par on ne sait quoi le jaguar le serpent les esprits selon l'imagination ou le degré d'ivrognerie du conteur.
La brume qu'avec amusement ce soir je sens se refermer sur moi, Macondo tout proche je connais le coin par coeur, belle lurette que nul n'a vu d'animal dangereux ; frayeur d'enfant qui s'immunise : me faisant peur à peu de frais, je défie de mon sourire l'haleine nocturne du bois.
Quelques pas seulement et je ne reconnais plus rien, les chemins se multiplient à l'infini, tout est différent comme si en un éclair j'étais transporté à des kilomètres. Demi-tour, je marche vite le souffle court, où est ce foutu village n'était-il pas là juste dans mon dos ?
Autour de moi les arbres prennent d'étranges figures, personnages proches ou lointains, voisins ou relations plus ou moins familiers : celui-ci rappelle par son allure bonhomme le gros Hector, cet autre est fin et un peu noueux comme l'était la vieille et douce Elsa... Un doute, ces gens ne comptent-ils pas parmi les disparus ?
Devant moi tremblotent les maigres éclairages du faubourg, Macondo est tout proche, je ne sais comment j'ai trouvé mon chemin : vite, quitter ces lieux pleins de présages !
Aussitôt mes pas se font lourds, comme dans ces cauchemars où l'on fuit une puissance sombre et indéfinie, ralenti désespéré les pieds comme attachés au sol.
Attachés, c'est le mot : par des racines précisément, dont je comprends avec terreur qu'elles ne sont pas issues du sous-sol mais partent de moi, je m'enracine littéralement. Planté !
Les bras désespérément levés dans un ultime appel à l'aide, mon geste se fige à l'instant où j'aperçois au bout de mes doigts les premières ramures qui s'allongent, bientôt ornées de jeunes feuilles. Autour de moi l'écorce s'épaissit, tout se fige : à mon tour, je suis un arbre !
Doucement la brume s'estompe, ses volutes comme des pages qui s'envolent, versets éternels qui m'environnent et dont le texte hermétique scelle le destin du monde. Son message bientôt me sera limpide, déjà son essence s'exprime, tout est joué d'avance au royaume de l'inéluctable.
Me revient alors, ultime réminiscence avant que ma conscience ne plonge dans l'éternité végétale du temps, l'immuable prophétie, pierre d'angle qui clôt le chef-d'oeuvre de Garcia Marquez :
"aux lignées condamnées à cent ans de solitude, il n'était pas donné sur terre de seconde chance."
Ici le temps n'a pas commencé : Macondo, village serti dans la jungle, îlot de boue et d'ennui, trois cents âmes peut-être moins à défier la houle infinie de la forêt. Sans trêve les arbres s'avancent, leurs racines broient les derniers faubourgs, fissurent nos pauvres murs, nous susurrent chaque nuit qu'éternels ils nous écraseront de leur morne patience.
Ici je m'enterre depuis des années, trop de choses à oublier pour avoir un avenir, ou même un passé : me reste pour seul réconfort la solitude d'un infini présent. Garcia Marquez, autrefois, décrivit ainsi ce lieu : "Le monde était si récent que beaucoup de choses n'avaient pas encore de nom". Phrase définitive qui sans doute fixa mon choix.
Depuis quelques mois, signe du changement climatique ou d'on ne sait quel sortilège, la brume est apparue. Plutôt, elle a changé, comme un léger voilage remplacé par une lourde tenture : pour les anciens du village, irréductibles qui ne s'en iront jamais, elle s'épaissit à mesure que Macondo se vide, occupe l'espace libéré d'habitants partis on ne sait où, nourrit son essor de leur âme.
La brume... Désormais bruissante de légendes, où s'évanouissent les gens d'ici, égarés à jamais dans un brouillard maléfique ou pris par on ne sait quoi le jaguar le serpent les esprits selon l'imagination ou le degré d'ivrognerie du conteur.
La brume qu'avec amusement ce soir je sens se refermer sur moi, Macondo tout proche je connais le coin par coeur, belle lurette que nul n'a vu d'animal dangereux ; frayeur d'enfant qui s'immunise : me faisant peur à peu de frais, je défie de mon sourire l'haleine nocturne du bois.
Quelques pas seulement et je ne reconnais plus rien, les chemins se multiplient à l'infini, tout est différent comme si en un éclair j'étais transporté à des kilomètres. Demi-tour, je marche vite le souffle court, où est ce foutu village n'était-il pas là juste dans mon dos ?
Autour de moi les arbres prennent d'étranges figures, personnages proches ou lointains, voisins ou relations plus ou moins familiers : celui-ci rappelle par son allure bonhomme le gros Hector, cet autre est fin et un peu noueux comme l'était la vieille et douce Elsa... Un doute, ces gens ne comptent-ils pas parmi les disparus ?
Devant moi tremblotent les maigres éclairages du faubourg, Macondo est tout proche, je ne sais comment j'ai trouvé mon chemin : vite, quitter ces lieux pleins de présages !
Aussitôt mes pas se font lourds, comme dans ces cauchemars où l'on fuit une puissance sombre et indéfinie, ralenti désespéré les pieds comme attachés au sol.
Attachés, c'est le mot : par des racines précisément, dont je comprends avec terreur qu'elles ne sont pas issues du sous-sol mais partent de moi, je m'enracine littéralement. Planté !
Les bras désespérément levés dans un ultime appel à l'aide, mon geste se fige à l'instant où j'aperçois au bout de mes doigts les premières ramures qui s'allongent, bientôt ornées de jeunes feuilles. Autour de moi l'écorce s'épaissit, tout se fige : à mon tour, je suis un arbre !
Doucement la brume s'estompe, ses volutes comme des pages qui s'envolent, versets éternels qui m'environnent et dont le texte hermétique scelle le destin du monde. Son message bientôt me sera limpide, déjà son essence s'exprime, tout est joué d'avance au royaume de l'inéluctable.
Me revient alors, ultime réminiscence avant que ma conscience ne plonge dans l'éternité végétale du temps, l'immuable prophétie, pierre d'angle qui clôt le chef-d'oeuvre de Garcia Marquez :
"aux lignées condamnées à cent ans de solitude, il n'était pas donné sur terre de seconde chance."
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Il y a, dans cette finale, des textes de moins bonne qualité, mais le système de votes est ce qu'il est et cela fait partie du jeu... Ce système est un bon système parce qu'il récompense les gens qui votent et font des commentaires sur les textes mais il a aussi un effet pervers : il ne reflète pas réellement les goûts du public.
Je vous invite donc à venir prolonger le plaisir en participant à la "sélection du public" du Festival Off, sur le forum : http://short-edition.com/fr/forum/la-fabrique/imaginarius-2017-le-festival-off
Que la fête continue et longue vie au prix Imaginarius !
Merci en tout cas pour votre compliment, çà fait plaisir.
Je suis aussi en compétition avec une brume brumeuse ... :
http://short-edition.com/fr/oeuvre/tres-tres-court/ainsi-soit-il-2
Si vous souhaitez un commentaire précis et argumenté, n'hésitez pas à demander et, de même, ne vous gênez pas pour venir commenter, critiquer ou même détester ma "Frontière de brumes"...
Tous mes vœux pour cette nouvelle année !