C’était mon idée ce voyage de noces. Le cadeau rêvé pour ma tendre épouse.
— Nicole, que dirais-tu de faire un trekking au Népal pour une lune de miel près des étoiles !
— Oh mon chéri, quelle belle idée !
— Regarde, on a le choix : sept montagnes allant de 4600m à 8091m ! Celles du massif de l’Annapurna !
Résidents à Grenoble, nous avions cette passion pour les grands espaces : toujours à rêver plus haut, plus grand.
— Un tel voyage avec toi, comme je t’aime ! Et je vais peut-être perdre les trois kilos pris pendant le dernier confinement l’hiver dernier !
— Mais j’aime bien ton petit surpoids et tes formes rondes aussi, cela te va à merveille ! On en mangerait !
— T’es bête, allez, réservons notre voyage, j’en suis toute excitée.
Tout a été réglé en deux temps- trois mouvements : tests PCR, visas, roupies népalaises et le 4 Octobre 2021, l’avion d’Air France se posait sur le tarmac de l’aéroport de Katmandu. Depuis la grande métropole asiatique, on ne distinguait pas les montagnes sacrées mais elles nous attiraient, irrémédiablement ! Nous étions comme hypnotisés par cette aventure, et en toute insouciance, nous allions vers ces neiges immaculées, heureux de quitter notre métro, boulot, dodo. Je me souviens de nos regards complices, notre union était a son summum et nous faisions l’amour à chaque occasion qui se présentait, promesse de lendemains qui chantent et l’issue ne pouvait être que merveilleuse, lumineuse même. Forcément, nous étions sûrs de nous approcher d’un paradis sur terre. Mais nous allions en fait tout droit en enfer.
Tout commença à déraper quand nous sommes arrivés au chalet. Situé à 4000m après une semaine de route que nous avions désiré faire seuls. Le rendez-vous prévu à cet endroit avec les deux guides de haute montagne népalais nous rassurait car nos connaissances de la haute montagne restaient limitées. Mais, à 4h30 un homme au fort accent allemand vint me secouer :
— Réveillez vous, nous devons partir maintenant !
— Mais comment ça ? Et qui êtes vous d’abord et où sont nos guides ?
— Ils ont dû repartir vers la vallée, l’un d’eux a fait un malaise, nous les remplaçons, préparez votre bardage, départ dans quinze minutes !
— Que se passe-t-il chéri ?
— C’est étrange, on doit lever le camp et les deux guides ont été remplacés par d’autres, allemands il me semble. Ils parlent français.
— Ah, c’est quand même inattendu, non ?
— Oui, bon, viens, ils nous attendent dehors.
Et nous avons rassemblé nos affaires en silence, intrigués par ce brusque changement mais encore portés par la joie des jours précédents. Mon dieu, pourquoi n’ai-je pas questionné un peu plus cet homme ? Comment ai-je pu laisser faire comme si de rien n’était ?
Des images défilent en saccadé devant mes yeux, toi en train de scruter la carte de la région afin de tracer au feutre rouge le chemin pour accéder à notre but puis cette marche en cordée quand l’ascension devint périlleuse :
— Vous ! prenez la tête, je vous seconde et vous, euh … Nicole, restez derrière moi, Hans fermera la marche.
Je me souviens, nous nous somme regardés avec la même pensée, « Ces deux types n’y connaissent rien en montagne et n’ont jamais été guides »
La peur nous gagnait et il y a eu cette halte, près d’un pic rocheux. Le vent s’était levé, si fort, et il faisait froid mon dieu, tellement froid ! Alors, j’ai exigé une explication et l’un des deux a sorti son pistolet. Je t’ais vu saisir ton piolet pour le lancer vers l’homme armé, mais il a tiré sur toi tandis que l’autre m’assénait un coup sur la tête ! La seule chose dont je me souviens encore de ce moment c’est le grondement terrifiant de l’avalanche que la détonation avait déclenchée.
— Vite, il y à un recoin, comme une grotte, tire- les a l’intérieur… Schnell Hans !
Une fois partiellement à l’ abri, ils se sont servis de mon corps pour l’allonger sur le flan afin d’empêcher la neige de pénétrer a l’intérieur de la cavité. Mon crâne me faisait horriblement mal mais je te voyais, tu étais vivante, blessée mais encore en vie et ce faible espoir me motivait pour tenir, résister a ce vent glacial qui me harcelait le dos.
L’avalanche avait formée comme une tente et au fond, des roches. Je te vois mon amour et nous sommes encore vivants mais la tempête s’amplifie, jour après jour. Les deux meurtriers avaient réussi à faire un feu, brûlant tout ce que nous avions dans nos sacs : suffisant pour faire fondre de la neige et avoir une eau tiède. Au troisième jour, les rations de survie étaient épuisées. Je compris alors que nous allions tous mourir ici. Au cinquième jour je crois la faim rendait la lutte contre le froid impossible. Les deux types eurent une vive altercation :
— A toi de finir le boulot maintenant.
— Nein, c’est moi qui ais organisé l’évasion, tué le gardien et pris son arme, c’est a toi de le faire !
— Mais c’était bien ton idée d’emmener deux « sandwichs vivants » pour ne pas crever la dalle ici et les bouffer sur place ! Alors, pourquoi toujours moi ?
— Parce que si on a pris perpète c’est que toi, espèce de sadique pervers tu as violé deux gamines népalaises !
— Et tu m’as dit de les achever, hein ? espèce de fumier !
Alors l’autre a sorti son couteau. Je le vis aller vers toi et découper ta couverture de survie au niveau des jambes, seuls tes yeux pouvaient encore bouger, tu m’as jeté un regard et j’y ai lu l’effroi. Tu n’as pas crié quand il a découpé une large bande de chair dans ta cuisse qu’il a ensuite taillée en morceaux et jetée dans la casserole sur le feu, dans l’eau tiède. Que pouvais-je faire ? Mon dos complètement paralysé, mes membres gelés, non, rien, juste regarder ces créatures de cauchemar manger leur repas.
Puis il m’a semblé que dehors, la tempête se calmait, au rythme des battements de mon cœur qui faiblissaient, tes paupières se sont fermés à jamais quand ils ont taillé ton autre jambe. Tu n’as plus jamais rouvert tes beaux yeux verts
Curieusement, je n’ai plus froid, la morsure du vent glacé a disparu, la température me semble même supportable et dans un dernier souffle je me dis que si j’avais un thermomètre, il n’indiquerait pas loin de -15°C…
Cela dit dévoré en tranche petit à petit Brrrrr.
je mets donc cinq doigts
Ma contribution dévorante est dans https://short-edition.com/fr/oeuvre/tres-tres-court/sang-noel si vous aimez .