Le Poivrot

Moi, je suis différent. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais un extra-terrestre. Je ne peux m'empêcher de boire comme un trou. C'est ma pitance de tous les jours. Je ne vis que pour être en tête-à-tête avec mes bouteilles. Je recherche juste un peu d'amour au fond de mon verre. L'ivrogne du quartier, le vagabond, l'écumeur des comptoirs, c'est moi. Traitez-moi de tous les noms, affublez-moi de tous les surnoms. À ma naissance, l'on m'a donné qu'un seul prénom. La souffrance que je vis n'a pas de nom. J'en ai marre et je dis non.

Je m'en vais dans un pub pour me saouler. Enfiler cul-sec tout ce sur quoi mes yeux se poseront. Je veux m'exiler loin, vraiment loin d'ici. Fuir cette existence de merde. Je ne suis pas disposé à boire la coupe jusqu'à la lie. Barman, amenez-moi un verre, je veux voyager. Un second me fera déménager. La vie n'est pas rose comme une bouteille de vin rosé. Il me faut prendre une gorgée pour y voir plus clair.

Le matin, je me réveille avec la gueule de bois et les yeux au beurre noir. Je reprends connaissance à quatre pattes sous le banc sur lequel j'ai pris ma dernière cuite. Pour cuver, je sirote un peu de tequila. Je ne crains plus de tomber dans la solitude puisque ce soir encore, je serai saoul. Je me noierai encore et toujours dans ma bouteille. J'ai plus d'alcool dans le sang que d'eau. Le médecin s'étonne de me voir toujours sur pied. Selon lui, je suis un miraculeux. Dis donc, un nouveau sobriquet.

Toute ma vie tient dans une bouteille. C'est minable, mais que voulez-vous ?????

C'est mon remède miracle. En étant pompette, je peux vous réciter l'alphabet à l'envers. Sur l'étiquette, il est mentionné de boire avec modération. J'ai du mal apprendre la leçon. Je ne me souviens plus avoir fait le primaire. Je ne possède rien dans ce monde. Rien qui soit à moi, à part le contenu de mon verre. Je n'ai jamais rien eu. Laissez-moi ma bouteille, laissez-moi goûter à un peu d'amour.