Le ménage

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On m'a dit hier matin qu'il était temps de faire un peu de ménage dans la maison.
J'ai fait le tour de la maison et j'ai mis au creux de ma paume une dizaine de frêles araignées qui m'ont chatouillée jusqu'à ce que j'ouvre ma main contre un ruban de mousse.
Puis j'ai déniché trois grillons stridulants dans les bûches, leurs scaphandres noirs brillaient sur mon bras où ils traçaient un mouvant bracelet, je les ai glissés dans des trous d'herbe par-ci, par-là.
Ensuite, j'ai attrapé deux souriceaux sous le placard de la cuisine, ces fripons avaient encore des perles de fromage aux moustaches. Je les ai perchés sur ma tête et ils m'ont fait des petites tresses, et comme ils avaient emmêlé leur queue avec des mèches de mes cheveux, j'ai dû couper par-ci, par-là avant de faire sauter les souriceaux libérés sous la haie de lauriers.
J'ai encore trouvé un criquet vert, tout crissant de longues pattes, tout frémissant de souples antennes, ses ailes raides bien rangées le long de son grand corps. Celui-là, j'ai eu du mal à l'attraper, il était collé au plafond, j'ai dû sauter à trois reprises pour l'atteindre. Lui, je l'ai posé sur une branche basse du cèdre.
Le chat fauve, je l'ai laissé sur le canapé. Par contre, j'ai sorti un petit lapin blanc blotti sous mon oreiller, une grenouille qui barbotait dans une cuvette, une jeune couleuvre qui se tortillait autour du siphon de l'évier. Après ça, j'ai cru avoir terminé le ménage, je me suis assise sur une chaise et j'ai ouvert un vieux livre de poésie qui dormait depuis longtemps sur une étagère.

Mais on m'a dit que je n'avais pas du tout terminé le ménage et qu'il n'était pas temps de lire de la poésie.

Alors, j'ai soupiré et posé le livre...

Et, en cherchant bien, j'ai encore trouvé : un agneau tout laineux qui grignotait une salade dans le cellier, une belle carpe qui tournait en rond dans la cuvette d'où j'avais tiré la grenouille peu de temps avant, un geai accroché au lampadaire d'où étaient tombées quelques plumes ourlées de bleu profond, et enfin quatre escargots de Bourgogne qui glissaient sans bruit le long du couloir. L'agneau fut porté au pré, la carpe jetée dans l'étang, le geai lâché vers la Lune, les escargots déposés sous le tilleul.

Alors je partis vers ma journée de travail. Quand je rentrai le soir, je trouvai le chat fauve sur le canapé, mais il voulut sortir. Partout suintait le vide, la douceur des brumes d'araignées, du lapin blanc et de l'agneau laineux avait disparu. Ainsi du chant des grillons et du geai, et du frou-frou des souriceaux gourmands. Les clapotis cristallins de la grenouille et de la carpe s'étaient tus, de même avait disparu le cheminement apaisant des escargots striés. Je sentis un grand froid m'envahir.

On me félicita d'avoir si bien fait le ménage.

Je remerciai, sortis de la maison, fermai à clé. Je ne revins jamais. Je suis toujours dehors, portée par le vent, parfumée d'herbe et de menthe, roulée dans les blés, lavée par la neige, enchantée par les grillons et les oiseaux, rafraîchie de rosée et nourrie du sucre des fruits sauvages. Que voulez-vous, faire le ménage n'est pas si facile que vous le pensez. Essayez. Et revenez m'en parler, si vous me trouvez...

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