Le Machin

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Grâce à ses personnages bien campés et son approche originale – tout en dialogues –, « Le machin » nous emporte avec lui dans son univers

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J'écris des trucs y parait ? ah bon, première nouvelle.

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— J'en avais plein le cul, des cartons, tu vois. Quatre heures que je rangeais, tout ça parce que Papy est trop vieux pour se baisser, hein ? Plein le cul, je te dis. Le garage était plein à craquer. Que des conneries, en plus, je savais pas quoi en foutre des robes de mariée et des collections de cafards empaillés ou je sais pas quoi, moi ! Tout ce que je voulais, c'était me barrer, retrouver Olivier au Lonpont et boire une bière. Tu savais que lui, on le laisse commander ? Putain. Moi, on me demande ma carte à chaque fois, et lui il passe tranquille. Bref.
— Ouais, bref. Où tu vas avec cette histoire ? Passe la clope, dit Clara en tendant la main vers la cigarette de Matthieu.
Dans la chaleur de l'après-midi ensoleillé, les deux jeunes adolescents fumaient, adossés contre un bac de fleurs. Dans le sac en papier à leur pied : une flasque de Rhum de cuisine infâme que Clara avait dérobé dans l'arrière-boutique du magasin de son père. Nous étions dimanche ; le grand ménage touchait à sa fin et l'été pouvait ainsi véritablement commencer.
— OK, OK. Tu vois, j'ai trouvé quelque chose.
— Quoi ? s'enquit Clara, relativement peu intéressée.
— Une boîte.
— Oh. (Puis, fatiguée du silence de son ami :) Et alors ? Y avait un truc dedans ?
— C'était super chelou. Une petite boîte, genre, une boîte à chaussures. Pas de motif, juste du vieux bois, et suffisait de lever le dessus pour l'ouvrir.
— Et alors !
— Alors y'avait un machin.
Perdant patience, Clara décida de garder la cigarette. En face d'elle, Matthieu, jeune homme de seize ans avec une coupe de cheveux bonne pour une révision et des yeux bleus perçants, faisait des moulinets avec ses mains, comme pour essayer d'expliquer de la manière la plus claire possible à quoi ressemblait ce qu'il avait découvert.
— Quel genre de machin ?
— Un animal. Un p'tit truc avec une drôle d'allure. Du genre mi-chat mi-tortue mi-oiseau. Avec un petit corps et une grosse tête sans poil, et puis des sortes de petites ailes atrophiées qui servaient à rien.
— Qu'est-ce que tu me racontes là ?
— J'te jure ! Tu me crois pas ? fit Matthieu, outré. Il faisait un drôle de bruit, le machin. K-k-k-k-k, qu'il faisait. Il avait de grosses dents carrées et il les claquait super vite.
Clara considéra son ami, la tête légèrement penchée sur la droite. De toute évidence, elle avait du mal à y croire. Matthieu récupéra sa cigarette (qu'il avait achetée avec l'argent de poche que lui donnait son grand-père) et tira dessus avec une lenteur mesurée. Ses mains n'avaient plus rien de celles d'un enfant mais n'étaient pas encore celles d'un homme ; elles gardaient cet aspect féminin qui reste parfois malgré les années.
Autour, les mouches faisaient un concerto de vrombissement et ils les chassaient de leurs mains. La route au bord de laquelle ils fumaient était peu empruntée et derrière eux, une falaise se déployait jusqu'en bas, où courrait un peu d'eau sale en une fine langue courbée sous un pont fatigué. De là venaient les mouches. Matthieu était pensif. Ces bestioles lui rappelaient le machin de la boîte. Finalement, Clara reprit la parole après s'être gratté la gorge, volant le terme de ses pensées sans le savoir, comme si un lien télépathique s'était établi entre les deux amis.
— Donc t'as trouvé une bestiole des enfers dans ton garage. Et t'en as fait quoi ?
— Qu'est-ce que tu penses ? J'ai flippé. Je voulais surtout pas le toucher. Je voulais même plus le voir, le machin. Et son bruit... Brrr. Beurk. (Il se frotta le coin de la paupière de deux doigts.) J'ai cherché un truc pour l'atteindre sans le toucher avec mes mains. J'ai trouvé une espèce de bâton coincé derrière la voiture et je l'ai approché du machin.
— Il a fait quoi ?
— Il a caqueté encore plus fort. Vraiment vraiment fort, tu vois ? J'ai cru qu'il allait exploser, le machin. J'ai eu super peur. J'étais trop flippé pour refermer la boîte, trop flippé pour le porter dehors, alors j'ai continué à l'emmerder avec mon bâton. Il l'a bouffé !
— Quoi ? fit Clara, alarmée.
— J'te jure, vraiment ! Enfin, il l'a pas vraiment bouffé, il l'a plus... grignoté très vite. Il me l'a volé des mains et puis pouf ! plus de bâton.
— Tu délires.
— Je délire pas ! Imagine si ça avait été mon doigt !
— Et après ?
Matthieu soupira et se mit à dessiner des spirales sur son bras, du bout du doigt.
— J'suis allé voir Papy. Je lui ai dit le machin qu'y avait là-bas et...
— T'as pas eu les couilles de faire ça.
Matthieu pencha la tête, l'air fier de lui.
— Si, si. Je me disais, tu sais, et si Papy est en fait un sorcier ou un truc du genre ? Qui garderait ce genre de machin dans son garage ?
— Et il a dit quoi ? fit Clara, désormais happée par le récit de son ami.
— Je lui ai décrit le machin et il m'a dit, je cite : « C'est ça. Et moi je m'appelle Hagrid. ».
Un silence étrange s'étira. À nouveau, Clara s'impatienta. Elle avait volé la fin de la cigarette à son ami et propulsa le mégot encore allumé dans le vide, l'envoyant droit dans les crocs de la falaise escarpée.
— Quoi, c'est tout ? Et alors ? T'en as fait quoi du truc ?
— J'ai... eh bien. J'ai refermé la boîte et je l'ai planquée sous la voiture. J'ai failli crever de trouille. J'étais supposé faire quoi, exactement ? Et puis, et puis, continua-t-il, soudain excité, tu sais pas quoi ? Je suis allé voir si la boîte y était toujours ce matin, et elle avait disparu.
— Sérieux ?
— Alors, reprit-il d'un air encyclopédique, soit Papy est vraiment un sorcier et est venu la récupérer, soit j'ai halluciné.
Clara se mit à rire et assena un coup de poing dans l'épaule de son ami. D'un mouvement dynamique, elle se leva du bac à fleurs et s'étira sous le soleil de plomb.
— C'est ça, ouais. Tu fumes trop d'herbe, mon vieux. Bon, c'est bien beau ton histoire de monstre, là, mais moi je crève de soif. Olivier nous attend. Si on lui demande gentiment il nous payera peut-être un verre.
Matthieu se leva à sa suite et ramassa le sac à leur pied. D'un même mouvement, les deux adolescents se mirent en route. En passant sur le pont menant au centre-ville, ni Clara ni Matthieu ne virent le grand-père, au pied de la falaise, avec une petite caisse en bois de la taille d'une boîte à chaussures à la main, se baisser pour poser un genou à terre. Avec des gestes infiniment doux, il ouvrit la boîte et laissa le machin sortir, avant d'appuyer deux doigts sur sa petite tête disproportionnée.
Sur le pont, les deux amis entendirent distinctement entre leurs rires un « pop » sonore, son clair et précis, qui se résorba aussi vite qu'il avait éclot.
— C'était quoi, ça ?
— Sans doute ton machin qui grignote les pieds du pont pour nous tuer. Grouille-toi un peu, je meurs de chaud. C'que tu peux être lent...

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