Le legs surprise

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux, peut-être même que je suis généralement anesthésié. C’est moi qui me suis mis dans cette situation rocambolesque mais ce qui me vient à l’esprit maintenant est que je ne me surestimerai plus. Mais dites-moi ! Où il a bien pu dénicher cette façon de me nihiliser et de déniveler mon orgueil vers le bas ? Et moi qui ai toujours pris de haut et comme frivoles ses dires et ses conseils !
Voici comment les gens changent, virent vers le côté claire ou sombre. Tout a débuté avec cet étourdissement.

Des trois frères différents de caractères, bien que benjamin, je m’étais toujours fait valoir. Je les avais dédaignés pour leur « Quotient Intellectuel » et je ne l’avais pas fait qu’à eux seuls mais à tout le monde. Le peu de fois que papa me parlait n’était que pour me réprimander sur ma conduite : « Eucarpe fiston, bien que tu sois enregistré comme ayant un quotient intellectuel supérieur à la normale, eh bien, sache que tu n’es pas au-delà des autres pour autant,..., sois humble et ne fait remarquer ton intelligence qu’en cas d’extrême nécessité !». Je répugnais cette phrase.

C’était lundi, trois jours après son départ. Je suis arrivé tôt à l’école. J’ai suivi les cours tranquillement. A dix heures environ, le Préfet de discipline est venu me chercher en classe, il m’annonça avec une voix à peine perceptible mais sensible.
Ton père est mort ! il a eu un accident de voiture.
Comment mort ? qu’est-ce que la mort ? lui ai-je demandé.
Il s’est réservé et m’a tendu une enveloppe bien légère. Sur la feuille, il n’y avait qu’une phrase écrite avec autant de maladresse que d’illisibilité. Avec mes frères, nous avons découvert la fameuse phrase sans doute écrite par notre père juste avant de s’éteindre : « Mes fils, mon dernier souhait est que vous viviez heureux auprès de mon s... ». Comme papa aimait beaucoup Dimitri, son secrétaire, pour son honnêteté, nous nous sommes mis d’accord que le dernier mot était « secrétaire ».

Dimitri se montra plus compréhensif et me fit savoir que « physiquement parlant, à la mort, l’homme passe de l’état vivant et actif à l’état inerte et inactif et que métaphysiquement sa vie continue sous forme d’esprit ». Je n’ai bien sûr pas tout saisi. Il nous a tendu une enveloppe plus lourde que la première avec un seul mot dessus : « testament ». Il y avait trois enveloppes avec chacune un nom.
Après avoir ouvert la mienne, mes muscles refusèrent d’obéir au cerveau. Je me suis battu pour ne pas m’évanouir : Mon enveloppe était vide. 
Papa a dû se tromper, il n’aurait jamais fait ça. Tant pis, nous allons partager en trois ce que nous avons, avait conclu Nathan, l’ainé.
Je n’ai pas compté sur ce partage. J’ai envié plutôt ma mère. Si elle avait été là, elle aurait bien pu trouver un arrangement. Le matin, comme je le souhaitais, Maman est arrivée. Elle avait une petite enveloppe.
Je suis venue aussi vite que j’ai pu, voilà un cadeau pour vous, dit-elle en me montrant l’enveloppe.
Epiphane arriva lui aussi dans la chambre et me demanda de lui montrer l’enveloppe sac. Il la regarda avec attention :
Il doit surement y avoir quelque chose, un indice sur l’enveloppe...papa ne peut pas faire ça !
Il avait raison. L’enveloppe avait été défaite puis refaite. C’était une énigme.
Nous avions fréquemment joué aux énigmes et devinettes avec papa mais il n’avait jamais proposé les siens jusqu’à ce jour. Nous l’avons redéfaite et, voilà mon vrai legs, une phrase : « vous êtes nés sans trois mois ou presque mais vous ne survivrez pas sans trois moi juste.». Je n’arrivais pas à comprendre comment Epiphane, lui qui avait déjà redoublé de classe deux fois et qui avançait toujours à tâtons, avait pu me devancer à ce point.
Il y avait tout un mystère à résoudre maintenant mais déjà à la première étape, j’avais retenu la leçon, je ne m’auto suffisais pas comme je l’avais toujours cru avec ostentation.

J’ai commencé à réfléchir : trois moi, j’ai pensé à son côté religieux: l’époux et l’épouse deviennent un seul corps. Mais ça ne me faisait que deux moi. J’ai donc recouru à mes frères pour m’aider mais en vain.
Il nous faut peut-être fouiller dans l’entreprise de papa. Il y aurait peut-être des indices, proposa Nathan.
Ah ! Ah ! A propos de l’entreprise, je savais que papa aimait son entreprise comme lui-même. Il disait : «  mon entreprise et moi sommes indissociables». J’étais sûr à ce coup que j’avais réussi. Le « trois moi » était papa, maman et l’entreprise. Papa est peut-être vivant et Maman est revenue pour de bon. « Youpi, j’ai trouvé ! Papa est vivant ! ». J’en avais la conviction.

Le matin du Mercredi, je n’avais pas trouvé le sens définitif. J’ai demandé au délégué de classe par téléphone. Il m’a donné une idée : naitre sans trois mois c’est peut-être les neuf mois de grossesse donc une année sans trois mois. Ça m’a semblé raisonnable. Voilà des données probables maintenant, ouf ! Mais je suis toujours resté coincé.
Eucarpe, m’interpella maman, tu n’as pu penser à autre chose que cet énigme, tu peux regarder le cadeau que je t’ai rapporté au moins pour te distraire un peu ?
L’enveloppe était restée sur ma table de nuit depuis la veille. Elle voulait que je la remarque.
Mais maman, tous ces chi... ! Oh !
J’avais cru voir des chiffres semblables dans le texte d’Epiphane. J’accourus.
Ah voilà ! C’était des numéros de coffrets à la banque avec leurs codes d’ouverture. Parmi les six numéros du cadeau, J’en ai coché deux dont les codes, à cinq chiffres, avaient été donnés dans le texte d’Epiphane. J’ai pris celui de Nathan et j’ai trouvé les deux autres. J’avais enfin deux coffres à moi dont les codes étaient à trouver.
Je me suis concentré et après une heure, j’ai enfin trouvé un arrangement pour mes dix chiffres. Les dates de naissance de nous trois en format date/mois/année dans cet ordre : ainé-cadet-benjamin et en additionnant les chiffres jusqu’à en avoir un seul s’il y a plus d’un chiffre et puis le « neuf » mois. Il ne restait qu’à aller voir les coffrets maintenant.

A la banque, le guichetier, Monsieur Agape m’a prévenu que si je tapais quatre fois un faux code dans un espace de moins de vingt-quatre heures, l’alarme sonnerait et j’aurai des ennuis.
Le premier s’était facilement ouvert avec les cinq premiers chiffres. A ma grande surprise, il était vide. C’était peut-être le second qui contenait le tout. La deuxième combinaison n’a pas marché. L’erreur se trouvait bel et bien sur le dernier chiffre, le neuf. J’ai failli devenir fou.

C’est là que papa intervient. Le téléphone sonna, maman décrocha et me le tendit.
Allô mon fils, explique-moi comment tu as trouvé tout ça!
Comment tu as su que j’ai trouvé ?
Ta mère et Agape m’ont téléphoné.
Je lui ai fait part de mon raisonnement et des aides qui m’ont été données jusqu’ à la dernière étape qui avait risqué de me couter la raison
Bien joué Eucarpe ! Mais tu as oublié un petit détail, le « presque ». J’ai parlé de vous trois surement mais tu n’ignores pas qu’on t’a toujours dit que tu es né prématurément : à huit mois, bien que les médecins n’aient rien objectivé d’anormal chez toi. « presque » avait donc son rôle il y avait simplement deux chiffres pour compléter le code : neuf (de Nathan et d’Epiphane) et ton sept.
Ou, après avoir constaté que le coup des dattes de naissance fonctionnait dans cet ordre, Tu aurais pu essayer un à un tous les dix boutons qui servent de combinaison à raison de trois chiffres chaque jour. La patience mon fils ! Les indices ont toujours été là : les deux testaments d’abord puis maman et le cadeau.
...
Dans le coffret, un écriteau disait : je crois que je t’ai aidé pour ton comportement antisocial. Je n’ai plus beaucoup de temps, j’ai un cancer du cerveau inopérable.
J’ai hérité non seulement de ses domaines, mais aussi de sa sagesse !