… Bref, comme je vous le disais, j’étais confortablement installé dans un fauteuil quand M. Stims m’a expliqué ce qu’il voulait faire avec son invention. Mais s’il vous plaît, ne me... [+]

Il était de notoriété publique que la Mort n’allait pas très bien depuis quelque temps. Sa santé chancelante la rendait plutôt peu scrupuleuse dans l’accomplissement de ses devoirs. Des générations entières étaient emportées dans la fleur de l’âge alors que d’autres personnes vivaient de façon extraordinairement longue, plus de 400 ans dans certains cas.
Pendant quelque temps, la Mort végéta à moitié vivante, avec un pied dans la tombe et l’humanité retenait son souffle craignant qu’elle ne récupère et ne se rétablisse complètement.
Et puis vint le jour où la Mort rendit son dernier souffle et personne n’arrivait à croire à cette aubaine. Il était difficile de réaliser que la Mort ne vivrait plus dans le monde et que notre vie n’aurait jamais plus à craindre le spectre omniprésent de l’extinction planant à proximité. Plus personne n’aurait besoin d’être aux prises avec le fait d’inclure son propre décès dans sa vie.
Les plus éminents scientifiques reçurent la tache d’effectuer l’autopsie de la Mort. Leur conclusion unanime fut qu’elle était décédée de mort naturelle. Ce dont personne ne s’était douté, c’était que le Mort possédait une durée de vie limitée. Tout le monde avait toujours pensé qu’elle vivrait à tout jamais et pourtant elle portait elle aussi en elle les semences létales de la mortalité.
Après ça, le problème le plus urgent à l’ordre du jour était l’enterrement de la Mort. Il fallut envisager de toute urgence des questions qui ne s’étaient jamais posées auparavant, car le monde voulait être sûr que la Mort était bien morte et ne se relèverait plus. Où la cérémonie funèbre se tiendrait-elle ? Suivant quels rites religieux la messe commémorative serait-elle célébrée ? Qui ferait l’éloge funèbre ? Où serait-elle ensevelie ?
La question de savoir qui inviter pour la cérémonie s’avéra être le problème le plus inextricable de tous. Il était quasiment impossible de déterminer qui était sincèrement accablé de douleur par le départ de la Mort et qui voulait simplement assister à la cérémonie pour faire partie d’un événement historique.
Finalement, tous ces problèmes furent résolus quoi que ce ne soit pas à la satisfaction de tout un chacun et le monde donna à la Mort le départ qu’elle méritait. L’enterrement à peine terminé, le monde se mit en mouvement et commença à faire la fête.
Après que le déferlement de joie du à la délivrance de sa loi tyrannique se soit calmé, les gens retrouvèrent leur sérénité et commencèrent à se souvenir des façons dont la Mort leur était venue en aide dans le passé.
Ils gardaient un souvenir ému de la capacité unique de la Mort à résoudre tous les problèmes inextricables de l’existence ; sa faculté inégalée à effacer toute douleur, honte et malheurs ; combien elle procurait une solution honorable aux situations désespérées et offrait volontiers sa main secourable à quiconque lui demandait de l’aide ; la façon dont elle établissait l’égalité dans le monde et assurait un repos éternel aux personnes épuisées.
Les religions ne pouvaient plus survivre sans la Mort car leur attrait et leur autorité venaient de la promesse d’une vie idéale dans le nouveau monde. De nouvelles religions apparurent qui prophétisaient qu’un jour la mortalité serait de retour sur Terre et que les vertueux seraient récompensés par la Mort Éternelle.
L’humanité reconnut combien l’existence de la Mort était fondamentalement essentielle pour le maintien de l’ordre social et des relations pacifiques internationales. Étant donné que la peine capitale et les conflits armés cessaient de représenter une crainte pour une vie humaine, rien ne barrait la route au désordre et à l’immoralité dans les affaires humaines et les pays se déclaraient la guerre au moindre prétexte.
La vie perdit bien vite tout son sens car la Mort avait servi à établir la différence entre le fait d’être et celui de ne pas être. Sans elle, la vie semblait insipide et ne valait plus la peine d’être vécue.
Chaque être humain fut forcé de trouver la force d’affronter un futur déroutant dans lequel la grâce salvatrice du décès était désormais absente. Ce ne fut qu’à ce moment là que l’on réalisa combien la Mort avait tissé le fil du destin dans chaque aspect de l’existence de l’homme et quelle perte irrémédiable cela avait été pour l’homme le jour où la Mort était morte.
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