Carmilla, sur son lit de lin blanc ressentit pour la troisième fois les violentes douleurs du sortilège. Brujos de Chiloé regardait sa fille souffrir avec un sentiment d’impuissance. La jeune fille sous la torsion de ses nerfs moteurs formait avec sa couche un angle improbable. Le corps arcbouté ne reposait que par le contact de sa tête et de ses talons. Le coureur des mers essayait de contenir sa haine. La révérente mère de l’ordre du Conténium, ne pouvant lutter contre sa puissance, l’avait atteint au travers de Carmilla. Elle ne reculerait devant rien pour reconquérir son influence sur l’immense océan avec les archipels du Mandos mais surtout, le continent de Mu. Brujos de Chiloé y avait installé ses comptoirs dans chacune des sept provinces. Rien de ce qui se passait sur Mu et sur mer ne lui échappait. Mais depuis quelques temps, l’ancien ordre d’Adompha sorti de l’oubli donnait au Conténium l’occasion de revendiquer l’autorité sur tout le septentrion par l’ambition de la révérente mère. Brujos, le maître des terres et des mers au-delà du grand cercle, regardait sa fille se détacher de la vie dans la souffrance. Valdo vint le sortir de sa torpeur avec des mots murmurés.
- Un homme t’attend dans le hall.
- Laisse-moi Valdo. Je ne veux voir personne.
- Tu devrais quand même le recevoir.
- Qui est-il ?
- Je ne le connais pas mais il me parait assez singulier et il n’est pas armé.
- Bon, laisse le attendre un peu et je viens.
Brujos se pencha de nouveau sur la jeune fille. La crise douloureuse semblait passée mais pour combien de temps. Devant l’imposante cheminée, un homme se tenait debout, immobile, les épaules voutées. Il semblait s’excuser d’être dans ce milieu qui de toute évidence n’était pas le sien. Vêtu de chausses et tunique de jute, il dissimulait son visage derrière une impressionnante barbe et de longs cheveux gris.
- Qui es-tu et que sollicites-tu ?
- Je suis Zacharie en charge du secret du mage noir et peut sauver ta fille.
- J’ai en aversion les opportunistes. Si tu mens il est encore temps de te retirer avant que je ne décide de ta mort.
- Il existe au jardin de Puthuum un arbre dont le fruit sortira ta fille de son état.
- Que demandes-tu en échange ?
- La liberté pour mes compagnons emprisonnés dans tes geôles.
- Qu’ont-ils fait pour y être ?
- Ils ont gardé un peu des vivres collectés par ton prévôt pour ne pas crever de faim.
- J’accepte le marché mais si tu me trompes attend toi à mourir lentement.
Le large chemin serpentait à travers les landes dans les brumes matinales. Il s’accrochait aux parois rocheuses pour mener la petite troupe aux plateaux d’altitude. Au centre d’une vaste clairière apparut le mur d’enceinte. Aux quatre angles, des tourelles rondes aux dômes hémisphériques flanquaient la construction de pierre millénaire et infranchissable. L’ensemble, imposant, laissait une impression d’éternité, d’indestructibilité. Ainsi apparut à Brujos de Chiloé le jardin de Puthuum. Devant l’imposant portail d’airain, Zacharie s’arrêta et prononça les formules d’ouverture. Alors derrière les vantaux géants parut le jardin. Enfin un imbroglio végétal au travers duquel un petit sentier essayait de se frayer un passage. De temps à autre, entre les lianes et les troncs pâles et fourchus se déployaient d’immenses feuilles semblables aux noires ailes nervurées des dragons. Il y avait des feuilles d'amarante, larges comme des plateaux, supportées par des tiges épaisses, animées d’un perpétuel tremblement. Il y avait beaucoup d’autre plantes singulières aussi diverses que les sept enfers, n’ayant aucune caractéristique commune si ce n’était la forme de leur pétiole. Ici on apercevait, sous le velours vert émeraude de la structure végétale, une forme de bras humain fin et souple terminé par une main diaphane au creux de laquelle se développait une fleur rouge vif. Là, une tête de jeune fille souriait dans son écrin d’écorce souple. Puis encore des troncs pareils à des jambes musclées et solidement enracinées. Le jardin semblait développer à l’infini ses inquiétantes merveilles. Les visiteurs avancèrent lentement en silence comme pour ne pas provoquer cette luxuriance anthropomorphique.
Le sentier perçait les frondaisons et guida les visiteurs vers une vaste trouée occupée en son centre par un arbre majestueux. Malgré ses siècles d’errance, Chiloé n’avait jamais rien vu de semblable. Le tronc, vaste comme une des tours d’angle et rugueux comme la peau d’un vieux mâle éléphant était percé de cratères, cicatrices d’antiques blessures. Il supportait des basses branches d’une longueur impressionnante qui couvraient horizontalement la moitié de la trouée. Devant ce monument végétal, les hommes ressentirent l’émotion qu’impose une majesté. Pas un bruit ne troublait cette masse lourde et épaisse faite de larges feuilles d’un vert bleu, fortement nervurées. A chaque extrémité des plus fins rameaux s’était développé un fruit semblable à un cœur végétal palpitant. Et cette palpitation rythmée des cœurs fruits donnait vie à l’arbre seigneur, à l’arbre demi-dieu au jardin de Puthuum.
- Voici Menorah l’arbre de vie ; l’arbre de l’immortalité. Le centre de toute chose dans l’éternité du monde.
- Il est superbe. Parle-moi de lui.
- Les pommes de Menorah apportent leur puissance à la vie. Imagine Carmilla retrouvant la joie de vivre et son visage d’avant. Imagine cette totale liberté dans son éternité.
- Comment as-tu percé ma quête vieil homme ?
- Je connais l’esprit de toute vie.
- Tu m’impressionnes je crois que je vais te garder en vie.
- Ce pouvoir je te l’offre. Pas pour moi, la mort m’est indifférente. Mais n’oublie pas ta promesse de libérer les miens.
- Il en sera fait suivant ton mérite.
- Attention, tu as droit à une seule pomme. Si tu en cueilles plus je ne réponds pas des conséquences.
Chiloé cueillit délicatement un cœur palpitant et le glissa dans sa besace. Il prit encore le temps d’admirer Menorah dans toute sa splendeur puis se dirigea vers le sentier. Au moment de pénétrer dans la végétation, un souffle glacé envahit le jardin suivi d’un grondement sourd, un roulement puissant venu du fond des âges. De monstrueux nuages de plomb projetèrent sur l’enceinte une ombre anthracite d’une opacité effrayante. L’ombre irrémédiablement recouvrit le jardin en reptation lente. Les hommes tétanisés par la peur, regardaient l’ombre grise et gluante les enrober de sa froide humidité. On ne distinguait plus la végétation prise d’une singulière métamorphose. Aux extrémités souples, les bras de verdure se transformaient en appendices griffus, urticant jambes et bras. Dans les écrins d’écorce souple, les têtes de jeunes filles devinrent des visages grimaçants de succubes aux dents acérées. Partout au contact de l’ombre, la végétation se refermait sur les visiteurs. Les lianes aux épines vénéneuses recouvrirent le sentier rendant impossible la progression. Les vapeurs qui s’en dégageaient leur brûlaient les yeux. Ils découvrirent que leurs mains se déformaient à chaque prise sur certaines branches étranges qui leur servaient de points d'appuis. Puis leur peau devint squameuse, leur articulations douloureuses et raides. Souvent, leur corps entrait dans une sorte de crise accompagnée de délires et de fortes fièvres qui les laissaient sans force et trempés dans leurs vêtements en l’état de lambeaux. Il fallait marcher encore et toujours. Chaque arrêt se transformait en cauchemar, chaque mètre gagné générait une douleur. Ils se déplaçaient comme des mécaniques détraquées, l’esprit vide. L’ombre mouvante et palpable isolait chaque homme. Elle dévora tout sur son passage. Les deux convoyeux qui accompagnaient Brujos de Chiloé tombèrent les premiers, suffoquant aux miasmes empoisonnées émanant de grosses corolles rouges sang. Après Brujos de Chiloé, Zacharie succomba à quelques pas de la porte d’airain. Le dernier souffle de vie éteint, l’ombre maudite se dissipa et le jardin de Puthuum retrouva sa beauté et ses enchantements.. De la poche de Valdo un cœur palpitant s’échappa et roula dans l’herbe.
- Un homme t’attend dans le hall.
- Laisse-moi Valdo. Je ne veux voir personne.
- Tu devrais quand même le recevoir.
- Qui est-il ?
- Je ne le connais pas mais il me parait assez singulier et il n’est pas armé.
- Bon, laisse le attendre un peu et je viens.
Brujos se pencha de nouveau sur la jeune fille. La crise douloureuse semblait passée mais pour combien de temps. Devant l’imposante cheminée, un homme se tenait debout, immobile, les épaules voutées. Il semblait s’excuser d’être dans ce milieu qui de toute évidence n’était pas le sien. Vêtu de chausses et tunique de jute, il dissimulait son visage derrière une impressionnante barbe et de longs cheveux gris.
- Qui es-tu et que sollicites-tu ?
- Je suis Zacharie en charge du secret du mage noir et peut sauver ta fille.
- J’ai en aversion les opportunistes. Si tu mens il est encore temps de te retirer avant que je ne décide de ta mort.
- Il existe au jardin de Puthuum un arbre dont le fruit sortira ta fille de son état.
- Que demandes-tu en échange ?
- La liberté pour mes compagnons emprisonnés dans tes geôles.
- Qu’ont-ils fait pour y être ?
- Ils ont gardé un peu des vivres collectés par ton prévôt pour ne pas crever de faim.
- J’accepte le marché mais si tu me trompes attend toi à mourir lentement.
Le large chemin serpentait à travers les landes dans les brumes matinales. Il s’accrochait aux parois rocheuses pour mener la petite troupe aux plateaux d’altitude. Au centre d’une vaste clairière apparut le mur d’enceinte. Aux quatre angles, des tourelles rondes aux dômes hémisphériques flanquaient la construction de pierre millénaire et infranchissable. L’ensemble, imposant, laissait une impression d’éternité, d’indestructibilité. Ainsi apparut à Brujos de Chiloé le jardin de Puthuum. Devant l’imposant portail d’airain, Zacharie s’arrêta et prononça les formules d’ouverture. Alors derrière les vantaux géants parut le jardin. Enfin un imbroglio végétal au travers duquel un petit sentier essayait de se frayer un passage. De temps à autre, entre les lianes et les troncs pâles et fourchus se déployaient d’immenses feuilles semblables aux noires ailes nervurées des dragons. Il y avait des feuilles d'amarante, larges comme des plateaux, supportées par des tiges épaisses, animées d’un perpétuel tremblement. Il y avait beaucoup d’autre plantes singulières aussi diverses que les sept enfers, n’ayant aucune caractéristique commune si ce n’était la forme de leur pétiole. Ici on apercevait, sous le velours vert émeraude de la structure végétale, une forme de bras humain fin et souple terminé par une main diaphane au creux de laquelle se développait une fleur rouge vif. Là, une tête de jeune fille souriait dans son écrin d’écorce souple. Puis encore des troncs pareils à des jambes musclées et solidement enracinées. Le jardin semblait développer à l’infini ses inquiétantes merveilles. Les visiteurs avancèrent lentement en silence comme pour ne pas provoquer cette luxuriance anthropomorphique.
Le sentier perçait les frondaisons et guida les visiteurs vers une vaste trouée occupée en son centre par un arbre majestueux. Malgré ses siècles d’errance, Chiloé n’avait jamais rien vu de semblable. Le tronc, vaste comme une des tours d’angle et rugueux comme la peau d’un vieux mâle éléphant était percé de cratères, cicatrices d’antiques blessures. Il supportait des basses branches d’une longueur impressionnante qui couvraient horizontalement la moitié de la trouée. Devant ce monument végétal, les hommes ressentirent l’émotion qu’impose une majesté. Pas un bruit ne troublait cette masse lourde et épaisse faite de larges feuilles d’un vert bleu, fortement nervurées. A chaque extrémité des plus fins rameaux s’était développé un fruit semblable à un cœur végétal palpitant. Et cette palpitation rythmée des cœurs fruits donnait vie à l’arbre seigneur, à l’arbre demi-dieu au jardin de Puthuum.
- Voici Menorah l’arbre de vie ; l’arbre de l’immortalité. Le centre de toute chose dans l’éternité du monde.
- Il est superbe. Parle-moi de lui.
- Les pommes de Menorah apportent leur puissance à la vie. Imagine Carmilla retrouvant la joie de vivre et son visage d’avant. Imagine cette totale liberté dans son éternité.
- Comment as-tu percé ma quête vieil homme ?
- Je connais l’esprit de toute vie.
- Tu m’impressionnes je crois que je vais te garder en vie.
- Ce pouvoir je te l’offre. Pas pour moi, la mort m’est indifférente. Mais n’oublie pas ta promesse de libérer les miens.
- Il en sera fait suivant ton mérite.
- Attention, tu as droit à une seule pomme. Si tu en cueilles plus je ne réponds pas des conséquences.
Chiloé cueillit délicatement un cœur palpitant et le glissa dans sa besace. Il prit encore le temps d’admirer Menorah dans toute sa splendeur puis se dirigea vers le sentier. Au moment de pénétrer dans la végétation, un souffle glacé envahit le jardin suivi d’un grondement sourd, un roulement puissant venu du fond des âges. De monstrueux nuages de plomb projetèrent sur l’enceinte une ombre anthracite d’une opacité effrayante. L’ombre irrémédiablement recouvrit le jardin en reptation lente. Les hommes tétanisés par la peur, regardaient l’ombre grise et gluante les enrober de sa froide humidité. On ne distinguait plus la végétation prise d’une singulière métamorphose. Aux extrémités souples, les bras de verdure se transformaient en appendices griffus, urticant jambes et bras. Dans les écrins d’écorce souple, les têtes de jeunes filles devinrent des visages grimaçants de succubes aux dents acérées. Partout au contact de l’ombre, la végétation se refermait sur les visiteurs. Les lianes aux épines vénéneuses recouvrirent le sentier rendant impossible la progression. Les vapeurs qui s’en dégageaient leur brûlaient les yeux. Ils découvrirent que leurs mains se déformaient à chaque prise sur certaines branches étranges qui leur servaient de points d'appuis. Puis leur peau devint squameuse, leur articulations douloureuses et raides. Souvent, leur corps entrait dans une sorte de crise accompagnée de délires et de fortes fièvres qui les laissaient sans force et trempés dans leurs vêtements en l’état de lambeaux. Il fallait marcher encore et toujours. Chaque arrêt se transformait en cauchemar, chaque mètre gagné générait une douleur. Ils se déplaçaient comme des mécaniques détraquées, l’esprit vide. L’ombre mouvante et palpable isolait chaque homme. Elle dévora tout sur son passage. Les deux convoyeux qui accompagnaient Brujos de Chiloé tombèrent les premiers, suffoquant aux miasmes empoisonnées émanant de grosses corolles rouges sang. Après Brujos de Chiloé, Zacharie succomba à quelques pas de la porte d’airain. Le dernier souffle de vie éteint, l’ombre maudite se dissipa et le jardin de Puthuum retrouva sa beauté et ses enchantements.. De la poche de Valdo un cœur palpitant s’échappa et roula dans l’herbe.
D'avance merci
Julien.
https://short-edition.com/fr/oeuvre/tres-tres-court/pour-un-dernier-sourire
Si votre temps vous le permet, ce texte est en finale
Merci.
Je vous invite à lire ma nouvelle LES MOTS DU CŒUR et à apporter vos critiques.
C'est mon premier concours je vous invite à passer découvrir ma "Caverne" (catégorie des nouvelles. Une petite histoire écrite en vers, et si cela vous plaît de voter !)
https://short-edition.com/fr/auteur/assmoussa
Mes voix ! Une invitation à venir découvrir “Sombraville” qui est
également en lice pour le Prix Imaginarius 2018. Merci d’avance !
https://short-edition.com/fr/oeuvre/tres-tres-court/sombraville