Le haut de l'immeuble

Je suis étudiant. Passionné de lecture et d'écriture. Intéressé par le social, les aspects de l'existence qui suscitent la réflexion.

« Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux.» Quand il en pense, il se dit que c’est totalement impressionnant comment un discours qui semblait vide de sens à un certain moment de la durée peut reprendre toute sa signification et, fort malheureusement dans ce cas précis, non pas des plus belles. L’air grave, le teint maussade, Fabien, 14 piges, un jeunot plein d’imagination comme sa mère se plait à le signifier partout, surtout lorsqu’elle parle de lui devant ses collègues de travail, peine à croire qu’il vient de débiter ces mots. Outre son humeur chagrine, il semble abasourdi par ce qu’il vient lui-même de dire ; il avait peut-être ça dans les gènes mais jusque-là il n’était pas trop fan des discours imagés. Il se trouvait un peu trop jeune pour cela. À ces mots, il se demandait même si une capsule temporelle ne l’aurait pas remplacé par son futur-lui pendant ces trois minutes qui lui servirent de temps de sommeil, vu que hier soir il était tout tourmenté. La vérité c’est que Fabien s’est toujours vu en professeur de littérature, mais ce projet qu’il chérissait tant n’était même pas à ses débuts, ou du moins de manière concrète.
« J’aurai l’air trop sérieux une fois adulte, je dois profiter pour m’amuser un peu » répétait-il à qui voulait bien l’entendre. Sous cette carapace de libertin qu’il veut maladroitement se tailler, se cache en réalité un p’tit être bien plus sensible qu’il ne veut l’admettre. Peut-être que les histoires que son père le racontait depuis son tendre enfance ont su définitivement imprégner son âme et définir sa vision des choses, des gens et de la réalité ? Quoi qu’il en soit ceux qui connaissent Fabien de très près, bien qu’ils n’étaient pas nombreux, diront qu’il est un garçon d’une sensibilité hors du commun et d’une fragilité d’âme comme on n’en a jamais vu auparavant.
Perché, seul, tout en haut de l’immeuble, il se triturait la cervelle. Fabien se posait plein de questions, en fait toutes les questions auxquelles il ne semblait pas avoir de réponses. Cette descente aux enfers était trop abrupte, il n’a eu le temps de rien comprendre, et bang le voilà en plein cœur d’un chaos inexpliqué. Le haut de l’immeuble était son endroit préféré de la maison. Après la mort de son paternel, il s’y rendait régulièrement. Avant il s’y rendait rarement, il avait peur de la hauteur et il n’était pas sûr que papa accepterait. Et pour comme pour casser toute envie, la rampe d’accès était pour la plupart du temps verrouillé. Aujourd’hui fait exactement deux ans que le vieux est passé de l’autre côté. Fabien se demande bien souvent à quoi pourrait ressembler la mort, c’est l’une de ses questions pour lesquelles il n’avait aucun élément de réponse. Il ne put que se résoudre à laisser errer son imagination, s’accrochant à des illusions qui disparaissaient aussitôt qu’il quittât cet endroit qu’on aurait bien voulu qualifier de magique car il donnait tant d’espoir qu’il suscitait de crainte et aiguisa la curiosité de ce jeune être.
Mais maintenant Il y vient très souvent seul pour ressasser tous les bons moments qu’il a eus avec lui, et pour regretter toutes les bêtises qu’il avait pu commettre. Des bêtises de gamin, rien de trop grave mais qui dans ses souvenirs prenaient une portée démesurée. Le petit s’en voulait de ne pas avoir été plus sage, il ne pouvait savoir que son père allait mourir. En fait si, il le savait. Il entendait souvent dire que les humains meurent, et a même vu quelque enterrements, mais il n’aurait jamais pensé que ce serait aussi imprévisible et aussi douloureux, c’était quand même son père. Qui prend le plaisir cruel d’imaginer son père bienveillant, affectueux mort ? Il avait beau être riche en imagination, ce n’était pas le genre de pensée qui lui traverserait l’esprit à longueur de journée. Ceci dit c’est une idée qui ne le traversa jamais.
Le dos du 16ème étage, avec sa lumière caressante au crépuscule comme si elle disait un au revoir éternel, a vu tomber des larmes chaudes et écouté bien des confessions. C’est aussi le lieu des promesses. C’est précisément dans cet endroit un peu particulier que Fabien s’est juré de se comporter de manière exemplaire envers sa mère, de la respecter et de se conduire beaucoup mieux avec elle en faisant preuve de respect, de gentillesse. « Je serai le meilleur fils sur terre, tout ce qu’une mère puisse rêver avoir, la crème de la crème ». Il avait intérêt puisqu’il était désormais l’homme de la maison. Il avait, lors de ce moment de sursaut de conscience et de grandes résolutions, pour seul témoin le soleil qui tenta de regagner sa tanière ; comme si le soleil s’en foutait. Il avait surement dû entendre bien plus, et qui au final ce ne s’avéraient être que des balivernes. De plus les hommes ont la fâcheuse tendance de prendre des décisions sur le coup de l’émotion, des décisions trop importantes même. Ce n’était surement pas le peu d’intérêt qu’affichait l’astre douteux qui aurait pu arrêter Fabien car plus important encore il promit de perpétuer la mémoire de son père en devenant lui aussi professeur de littérature.
Cet après-midi de printemps n’était pas comme tous les autres pour lui, bien qu’assis comme d’habitude dans son lieu secret, à écouter les murmures plaintifs de la brise et à regarder d’un œil distrait la danse des oiseaux. Fabien se sentait meurtri à l’intérieur, et il voulut évacuer toute cette douleur, la canaliser et en ressortir indemne. Comme si la douleur, le souvenir de cette perte ne suffisait pas, Fabien qui d’habitude était plutôt méfiant et réservé, a connu une singulière aventure qui remonte à la mort de son père, ah cette mort ! c’était comme le repère de sa vie autour duquel tous ses déboires finiront par tourner, directement ou pas. Il avait fait la douloureuse expérience, la veille, de la rupture. Il n’a pu fermer l’œil. Cela a fait remonter des souvenirs qu’il croyait jusque-là enfouis. Il était jeune, il ne connaissait pas grand-chose à la mort, et à l’amour non plus. Il n’avait que sa bonne foi et sa sincérité à offrir. Il savait qu’en agissant ainsi il mettait la main dans un panier de crabes, il n’y a surement rien de très étonnant qu’il se fasse pincer les doigts. Il s’est lui-même offert en pâture aux oiseaux de malheur. Dans les romans tragiques qu’il avait l’habitude de lire dans la bibliothèque de son père dans ses heures libres, il a lu entre les pages sacrés de ces reliques, combien rebelle est l’oiseau de l’amour, il ne se laisse pas facilement apprivoiser. Quand on pense l’avoir capturé, c’est bien trop tard qu’on saura avoir été victime d’une belle farce.
Fabien s’était toujours servi de la rampe d’accès pour monter et descendre du haut de l’immeuble, c’est logique puisque c’est le seul moyen possible. C’était la toute première fois qu’il avait fait l’idée d’atterrir en chute libre ce qui conduirait à une mort certaine. Il avait les idées éparses, le cœur lourd. Pour lui c’en était trop ; ce petit être fragile. Les plaies béantes de la perte de cet être cher, les remords, les regrets, les déceptions tout s’entremêlaient dans sa tête de jeune... Fabien veut bien tenter ce saut sans le vide. Ce sera un grand saut. Il aurait enfin la réponse à une de ses interrogations, savoir à quoi ressembler la mort et déposer ce poids qui lui pèse, le laisser tomber dans le vide. Son père le manquait. Ses promesses s’estompaient déjà. Le soleil avait sans doute raison.