Le destin d'une petite fille du Sud Ouest

Elle était née dans la campagne, pas loin de Castillon la Bataille, en terre de guerriers et de vignobles dans un petit village au nom qui chante. Papa était ouvrier agricole, maman faisait des ménages, l'enfance s'écoulait, remplie d'amour. Ses parents l'avaient prénommée Marcelle, en hommage à l'arrière grand-mère paternelle.
La petite fille grandit pour devenir une belle jeune fille, fine, aux courbes harmonieuses, cheveux blonds bouclés et grands yeux bleus.
Sa beauté, sa gentillesse, lui attiraient la bienveillance de tous, elle était intelligente, étonnait ses professeurs qui lui prédisaient un avenir brillant. Emanait d'elle une force et une autorité naturelle, qui d'un seul regard, calmaient les garçons les plus hardis, c'était juste déjà elle qui décidait.
Elle connaissait deux villes, Bordeaux et Bergerac, en dehors de Libourne, la plus proche.
Mais elle avait vu des actualités, des films aussi mettant en scène Paris. La télévision, qui commençait à entrer dans les foyers - ses parents avaient réussi à s'en offrir une - offrait des images quotidiennes de la capitale, de son animation étonnante, ces monuments fabuleux, de la tour Eiffel, des ponts magnifiques sur la Seine à la mythique avenue des Champs Elysées fermées d'un côté par l'arc de Triomphe et de l'autre par l'obélisque de la Concorde, face à face.
Elle se mit à rêver de Paris.
Son BEPC en poche, elle n'eut aucun mal à trouver du travail dans une conserverie locale. Son objectif : la conquête de Paris. Elle confiait ses rêves à ses parents, qui n'osaient jamais la contrarier tant ils l'aimaient. Elle travaillerait, le temps de faire les économies pour « monter à la capitale ».
Elle avait soigneusement calculé la somme nécessaire, le billet de train, les quelques jours de chambre d'hôtel, le temps de trouver une location pour laquelle elle avait prévu un budget, et un travail pour commencer à vivre, pensait elle, son rêve. Elle était déterminée à réussir dans la ville lumière, profiter du luxe qu'elle semblait pouvoir offrir, de sa vie animée, de son activité intense, ignorant le jour et la nuit.
La somme enfin réunie, le moment était venu de partir à la conquête d'un autre monde. Organisée et méthodique, elle avait réservé une chambre dans un hôtel modeste à Boulogne Billancourt.
Paris lui ouvrait ses portes, elle arriva à la gare Montparnasse, éblouie, tout était conforme à ses attentes. Cette agitation, permanente, ces gens qui se pressaient sur les trottoirs, elle était un peu étourdie par ce rythme nouveau autour d'elle. Elle prit le temps de flâner un peu avant de rejoindre son hôtel, ayant pris soin de n'avoir que le stricte nécessaire dans sa petite valise.
Le Métro l'emmena de Montparnasse aux grands boulevards, la ligne 9, qui devait la déposer près de son hôtel, station Marcel Sembat à Boulogne, passait opportunément par le quartier des Champs Elysées, après lui avoir fait découvrir les Grands Magasins, Chaussée d'Antin, elle était émerveillée.
Installée, elle se mit immédiatement en quête d'un emploi.
Hardie, elle entreprit de démarcher les entreprises du quartier de l'hôtel, il n'en manquait pas, Boulogne était une vraie ruche, la ville de banlieue parisienne avec ses grosses entreprises et tous les artisans sous-traitants qui travaillaient pour elles, des ateliers à longueur de rue, qui donneront, quarante ans plus tard ces lofts que les « bobos » et autres artistes s'arracheront.
Marcelle avait 22 ans, le contact facile, c'est finalement boulevard Saint Germain, en découvrant Saint Germain des Prés, que son attention fut attirée par une petite annonce sur la vitrine d'une société de nettoyage « cherchons secrétaire »... Elle n'était là que depuis une semaine.
C'était une société de services dirigée par un vieil homme affable. le charme et l'aisance de la jeune femme ont immédiatement convaincu le « patron » qu'elle était celle qu'il recherchait pour remplacer « son » Adrienne, partie à la retraite.
Marcelle compris vite le fonctionnement de la société, s'occupait des facturations, du courrier, et parfois du personnel pour résoudre des problèmes de paie, d'emploi du temps. Elle faisait merveille aussi auprès des clients avec qui elle savait entretenir un contact commercial qui la rendait indispensable et les fidélisait.
Il lui arrivait même de se déplacer en clientèle pour régler, parfois des petits litiges ou juste entretenir de bonnes relations, le « patron » lui déléguait de plus en plus de tâches, son travail devenait intéressant.
Son salaire avait augmenté rapidement en fonction des responsabilités prises, et elle louait désormais un charmant petit deux pièces, toujours à Boulogne.
Son dynamisme et sa jeunesse ont donné un nouvel élan au vieux « boss », tous les voyants économiques étaient « au vert ». Marcelle le persuada de renforcer et rajeunir son équipe, il décida d'embaucher un « commercial », ce qui était hardi pour lui qui n'avait vécu que sur le relationnel depuis trop longtemps déjà... Ces clients avaient son âge ou étaient partis à la retraite.
Après une première sélection et avoir reçu plusieurs jeunes hommes, il choisit Paul. C'était un beau jeune homme, au contact chaleureux, qui savait capter l'attention de son interlocuteur, on le sentait intelligent et intuitif, le « boss » était séduit. Il sentait qu'avec lui et Marcelle, une nouvelle dynamique allait animer l'entreprise. Paul ne connaissait pas le métier du nettoyage, il venait de la restauration, mais on sentait en lui un potentiel commercial et une volonté de réussir.
Bien sûr le « boss » demanda l'aval de Marcelle qui approuva son choix.
Non seulement le garçon était beau, mais son charme et son charisme, son aisance dans les contacts présageaient d'un excellent vendeur.
Paul se mit au travail, perfectionniste, il apprit avant toute chose le métier du nettoyage sur le terrain, n'hésitant pas à « prendre la serpillière » le soir, avec les équipes à la fermeture des bureaux.
Au bout d'un mois de cette immersion dans le monde du nettoyage, il se sentait capable de vendre le service. Les clients du « boss » étaient des petites entreprises du quartier, des boutiques... Paul voyait plus grand, il rêvait de nettoyer Renault, usines et bureaux, les aéroports, les usines Thompson à Genevilliers, où il habitait.
Il parlait de ses projets à Marcelle, qui l'écoutait, attentive et l'encourageait. Paul lui plaisait, et c'était réciproque, ils devenaient proches et elle avait décelé le potentiel du garçon.
Paul était un « guerrier » de la vente, rien ne l'arrêtait, il savait franchir le barrage des secrétaires, accéder aux plus grands patrons, les intéresser, lui qui n'avait qu'un CEP, parlait d'égal à égal avec des Centraliens, et même un Polytechnicien.
Ce courage et cette détermination lui permirent de décrocher un de ses rêves : une des plus grosses entreprises de France, les milliers de mètres carrés d'usines, de bureaux, il venait de séduire le Responsable des Services Généraux de l'entreprise en charge, entre autres du contrat de nettoyage.
Marcelle suivait de près les activités de Paul et c'est à elle, naturellement qu'il confiait ses avancées sur le terrain, elle l'encourageait, attentive.
Ainsi, elle fut la première à savoir que Paul allait signer ce fabuleux contrat...
Elle attendait cette opportunité et demanda à Paul « es tu en si bons termes avec ton client qu'il accepterait de te suivre si tu crée ta propre entreprise ? »
C'était un défi, Paul n'avait jamais songé à créer une entreprise, Marcelle si.
C'est ainsi que Marcelle et Paul ont fondé une entreprise qui allait devenir une des plus grosses entreprises de services de France.
A vingt cinq ans, Marcelle roulait en Porsche, habitait Passy, avait fait le bonheur de sa famille.
Elle se fit appeler Axelle, s'habillait de préférence Jitrois, ornée de Cartier Panthère. Paul et Axelle furent amants mais ne se marièrent jamais.