— Bonjour ! Bienvenue à... on est quel jour déjà ? Ah, vendredi ! Bienvenue à la Compagnie des Choucroutes Garnies !
— À la quoi ?
— On est bien... [+]
Le Club
Elle s’appelle Germaine. Elle m’accueille avec un large sourire qui laisse entrevoir des dents jaunes. Elle me serre chaleureusement la main et me dit :
-Bienvenue au club du troisième âge, Paul. Ne restez pas là, venez que je vous présente. Vous avez de la chance aujourd'hui, c'est le jour du loto, ensuite on tire les Rois et pour finir : danses de salon jusqu'à dix huit heures pour ceux qui le souhaitent.
C'est ainsi que je me retrouve entouré de femmes largement ménopausées dans une grande salle au troisième étage du bâtiment des associations donnant sur la place du village.
Elles m'applaudissent, je dis bonjour, je serre des mains. Deux hommes viennent parfois mais cet après-midi, ils sont absents, me dit la prénommée Germaine au milieu des rires. Des photos passent de mains en mains. Arlette, dodue, cheveux couleur prune, m'informe qu'il s'agit de la sortie organisée le mois précédent au viaduc de Millau. Elle tient par les épaules une blonde frisée au nez camus, Ginette, veuve depuis dix ans, joyeuse. Sur une photo, affublées d'une casquette rouge, elles sont attablées à la terrasse d'un bistrot, place du Mandarous à Millau. ''Il faisait beau ce jour là, l'ambiance était super, avec les copines on s'est éclaté'' me dit Ginette.
Germaine tape dans ses mains et nous demande de bien vouloir prendre place autour des tables pour le loto. On me distribue trois cartons et des grains de maïs. Je me retrouve assis entre deux corpulentes qui sentent la transpiration. Arlette, à la tête prune, commence à crier les numéros dans le micro... 51 le pastis, 18 les pompiers, 14 la grande guerre, 75 le canon, 33 le docteur, 22 les hommes en bleu, 31 la ville rose, 38 l'Isère, 69 à l'endroit comme à l'envers... Ma voisine de gauche, Ginette, se tord de rire, je réalise qu'elle est en grande partie édentée, je la regarde rêveur... 90 le Papet, je redescends sur terre, 15 allez les petits, 11 les jambes de Brigitte... Tout le monde se tourne alors vers une blonde très mince, ridée, bronzée, coiffée à la Briard, large sourire, dents trop blanches, air vulgaire, qui plastronne au bout de la longue table. Ginette voyant mon étonnement me donne un coup de coude et me lance : c'est la Trogne, elle les fait pas ses 65 ans ! Il me semble l'avoir déjà vue quelque part. Mais c'est bien sûr, comme disait le commissaire Bourrel, alias Raymond Souplex, dans Les cinq dernières minutes, cette femme ressemble comme deux gouttes d'eau à l'épouse de celui dont tout le monde parle dans les journaux et à la télé depuis des mois, qui à 40 ans, est devenu le plus jeune directeur d'une énorme société française. Elle n'a que deux ans de moins que moi, je me sens tout ragaillardi, je vais prendre la carte du club. Distrait, je laisse passer une quine, je me rattraperai une prochaine fois...
Seize heures, la galette des Rois. Je suis tout désigné pour être l'heureux élu. La chance est avec moi car La Trogne recrache la fève dans son assiette. Elle se lève et vient déposer sur ma tête la couronne en carton doré, geste salué par des applaudissements et des Vive le Roi ! Puis, la bise ! la bise ! la bise ! La Trogne m'embrasse plusieurs fois faisant baver ses copines... A la façon dont elle me regarde après m'avoir embrassé, je comprends que j'ai peut-être une ouverture comme disait Michel Blanc dans Les Bronzés... Je vais dès aujourd'hui adhérer au club.
Que la fête commence ! Le roi doit choisir sa cavalière... La Trogne perchée sur ses talons hauts, accepte de danser avec moi. Elle a les mains moites, elle sourit bêtement, cela m'est égal, je la serre contre moi, nous dansons joue contre joue. Autour de nous des femmes dansent entre elles, triste spectacle. J'en suis à ma huitième cavalière, La trogne me bouffe littéralement du regard. En nage, je viens m’asseoir près d'elle... Ce premier après-midi passé au club me fait comprendre que je ne suis pas si vieux, et que la retraite peut être pleine de surprises. Je glisse à l'oreille de La Trogne, que j'aimerais l'inviter à dîner à la Rotonde, le célèbre restaurant de Bozouls. Elle accepte, elle me dit que son mari a vingt cinq ans de moins qu'elle, mais qu'il la délaisse car il est très occupé depuis un an...
Elle s’appelle Germaine. Elle m’accueille avec un large sourire qui laisse entrevoir des dents jaunes. Elle me serre chaleureusement la main et me dit :
-Bienvenue au club du troisième âge, Paul. Ne restez pas là, venez que je vous présente. Vous avez de la chance aujourd'hui, c'est le jour du loto, ensuite on tire les Rois et pour finir : danses de salon jusqu'à dix huit heures pour ceux qui le souhaitent.
C'est ainsi que je me retrouve entouré de femmes largement ménopausées dans une grande salle au troisième étage du bâtiment des associations donnant sur la place du village.
Elles m'applaudissent, je dis bonjour, je serre des mains. Deux hommes viennent parfois mais cet après-midi, ils sont absents, me dit la prénommée Germaine au milieu des rires. Des photos passent de mains en mains. Arlette, dodue, cheveux couleur prune, m'informe qu'il s'agit de la sortie organisée le mois précédent au viaduc de Millau. Elle tient par les épaules une blonde frisée au nez camus, Ginette, veuve depuis dix ans, joyeuse. Sur une photo, affublées d'une casquette rouge, elles sont attablées à la terrasse d'un bistrot, place du Mandarous à Millau. ''Il faisait beau ce jour là, l'ambiance était super, avec les copines on s'est éclaté'' me dit Ginette.
Germaine tape dans ses mains et nous demande de bien vouloir prendre place autour des tables pour le loto. On me distribue trois cartons et des grains de maïs. Je me retrouve assis entre deux corpulentes qui sentent la transpiration. Arlette, à la tête prune, commence à crier les numéros dans le micro... 51 le pastis, 18 les pompiers, 14 la grande guerre, 75 le canon, 33 le docteur, 22 les hommes en bleu, 31 la ville rose, 38 l'Isère, 69 à l'endroit comme à l'envers... Ma voisine de gauche, Ginette, se tord de rire, je réalise qu'elle est en grande partie édentée, je la regarde rêveur... 90 le Papet, je redescends sur terre, 15 allez les petits, 11 les jambes de Brigitte... Tout le monde se tourne alors vers une blonde très mince, ridée, bronzée, coiffée à la Briard, large sourire, dents trop blanches, air vulgaire, qui plastronne au bout de la longue table. Ginette voyant mon étonnement me donne un coup de coude et me lance : c'est la Trogne, elle les fait pas ses 65 ans ! Il me semble l'avoir déjà vue quelque part. Mais c'est bien sûr, comme disait le commissaire Bourrel, alias Raymond Souplex, dans Les cinq dernières minutes, cette femme ressemble comme deux gouttes d'eau à l'épouse de celui dont tout le monde parle dans les journaux et à la télé depuis des mois, qui à 40 ans, est devenu le plus jeune directeur d'une énorme société française. Elle n'a que deux ans de moins que moi, je me sens tout ragaillardi, je vais prendre la carte du club. Distrait, je laisse passer une quine, je me rattraperai une prochaine fois...
Seize heures, la galette des Rois. Je suis tout désigné pour être l'heureux élu. La chance est avec moi car La Trogne recrache la fève dans son assiette. Elle se lève et vient déposer sur ma tête la couronne en carton doré, geste salué par des applaudissements et des Vive le Roi ! Puis, la bise ! la bise ! la bise ! La Trogne m'embrasse plusieurs fois faisant baver ses copines... A la façon dont elle me regarde après m'avoir embrassé, je comprends que j'ai peut-être une ouverture comme disait Michel Blanc dans Les Bronzés... Je vais dès aujourd'hui adhérer au club.
Que la fête commence ! Le roi doit choisir sa cavalière... La Trogne perchée sur ses talons hauts, accepte de danser avec moi. Elle a les mains moites, elle sourit bêtement, cela m'est égal, je la serre contre moi, nous dansons joue contre joue. Autour de nous des femmes dansent entre elles, triste spectacle. J'en suis à ma huitième cavalière, La trogne me bouffe littéralement du regard. En nage, je viens m’asseoir près d'elle... Ce premier après-midi passé au club me fait comprendre que je ne suis pas si vieux, et que la retraite peut être pleine de surprises. Je glisse à l'oreille de La Trogne, que j'aimerais l'inviter à dîner à la Rotonde, le célèbre restaurant de Bozouls. Elle accepte, elle me dit que son mari a vingt cinq ans de moins qu'elle, mais qu'il la délaisse car il est très occupé depuis un an...
Heureusement que pour certains de nos aînés ces clubs existent, ils brisent ainsi un peu de leur solitude.