Le clair-obscur du monde nouveau

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être, les deux. J’ai été obligé de me coucher tôt, la coupure d’électricité étant survenue en début de soirée. Ce n’était d’ailleurs pas la première fois dans mon quartier de cette partie de l’Afrique noire, on est coutumiers de cela. Exactement comme on est habitués au chômage des jeunes, à la mortalité néonatale et à la traque des opposants politiques. Ce qui est nouveau, c’est cette affaire de covid19 avec son corollaire de couvre-feu, de cache-nez, etc.
Avec la magie de la pensée, c’est les yeux fermés qu’on voit mieux. Plusieurs films se bousculent pour se positionner, là, devant mes yeux, avec les images et le son qui va avec. Les pensées sont quasiment inaliénables, ressassant et refaisant les scènes, reconstruisant le monde.
Je me souviens qu’une nuit de coupure de courant, l’épouse du voisin de mon frère a été violée. Selon ce que j’ai appris, elle rentrait d’une veillée funèbre avec son mari. Ils ont été accostés par des bandits armés, trainés de force derrière un muret, le mari a été ligoté et la femme violée.
Des histoires consécutives aux coupures intempestives de courant, il y en a tellement qu’elles sont devenues banales, alimentant les causeries des groupes de trois ou quatre personnes dans les quartiers et dans les bureaux. On raconte que c’est souvent à la lumière des torches, maintenues toujours à portée de main, que les femmes accouchent, des chirurgiens achèvent des opérations ou encore que des étudiants terminent la soutenance de leurs thèses ou de leurs mémoires.
En Europe, il n’y a certainement pas de coupure de courant. ‘’Time is money’’ est leur credo. Ils ne peuvent pas se permettre de se priver de mouvement en coupant le courant. Tout marche bien là-bas, à cent à l’heure. Avec mon Brevet de Technicien Supérieur en Gestion des Ressources Humaines, je pourrai bien y trouver du travail. Mais, comment y aller ou, plus précisément, où trouver les moyens pour y aller? J’ai vu, à la télévision, des jeunes de chez nous risquer leur vie en traversant désert et mer pour atteindre cet eldorado. Certains survivants sont faits esclaves et vendus comme tels. Ces jeunes sont comme des oubliés de l’émergence et de la croissance économique à plusieurs chiffres dont on nous rebat les oreilles et qui, curieusement, ne touchent pas tout le monde. On ne voit que les palabres entourant l’accession au pouvoir d’État. De l’Europe cependant, des témoignages nous reviennent que certains noirs sont victimes de racisme. Ils y vivent comme des rats quand ils n’ont pas de papiers et, il semble que ces papiers ne sont pas distribués à la pelle.
Ehéé Dieu ! Qu’est-ce qui n’a pas marché ? Pourquoi ces violences, ces ostracismes, ces morts, ces politiques appauvrissantes ?
À peine ai-je ainsi crié à Dieu que je vis une grosse main émergeant d’une lumière éblouissante me tendre une baguette, en me disant, d’une voix des plus graves et des plus autoritaires : ‘’J’ai fait le monde avec le verbe, à toi, je donne une baguette magique, pour refaire le monde ; tu l’as pour six jours avant de me la rendre ; car le septième jour, tu devras te reposer, comme je l’ai fait, au commencement.’’
Du coup, je me suis retrouvé, transporté sur un nuage. Tout était lumineux autour de moi. Avec ma baguette divine. Par quoi commencer ma mission ? J’ai six jours.
Mais, dis, pourquoi Dieu a-t-il créé le monde ? Et si je supprimais tout, plus de monde, plus personne, plus rien, le vrai néant. Est-ce que Dieu accepterait cela ? Il m’a dit de refaire le monde, pas de le détruire.
J’allais et venais sur mon nuage, les idées encore embrouillées dans ma petite tête rehaussée au rang de faiseur du monde. Par quoi donc allais-je commencer ? Tiens ! Il me faut d’abord tout mettre au brouillon ; c’est mieux ainsi, comme ça, je pourrai effacer et reprendre ce qui n’aurait pas été bien pensé avant de définitivement décréter, avec ma baguette magique.
Le premier jour, je supprime les dialectes, les ethnies, les langues. Tout le monde parlera désormais la même langue.
Le deuxième jour, j’établis une même couleur de peau pour la race humaine. Plus de jaunes, de blancs, de noirs, de gris et que sais-je encore ?
Le troisième jour, je détruis tout ce qui est armes de guerre. Armes de petits calibres, de gros calibres comme ils disent, armes nucléaires, armes chimiques et biologiques, armes de destruction massive..., c’est fini, toutes supprimées. Il n’y aura plus de virus néoformés, plus jamais, par exemple, de Covid19 et apparentés qui nous pourrissent l’air, ni de confinement pour se cacher d’un ennemi invisible, flottant.
Le quatrième jour, je supprime l’argent. On dit de l’argent qu’il est le nerf de la guerre. Argent supprimé, la guerre n’a plus droit de cité. Et après, je remplace l’argent par quoi ? Bon ! Je saute quelques lignes et laisse un vide sur le brouillon, j’y reviendrai. Je vais forcément trouver ce qu’il faut pour remplacer l’argent.
Le cinquième jour, je supprime le Diable. J’aurais dû commencer par ça le premier jour ! Tout est encore au brouillon, on verra. Le Diable est accusé d’instaurer la haine, la jalousie, la méchanceté, les vilains sentiments dans le cœur des hommes. Satan supprimé, il ne restera que l’Amour dans le cœur et dans l’esprit des hommes. Ça c’est bien, me suis-je dit, regardant, du haut de mon nuage, un monde où il ne règne que l’Amour.
Le sixième jour, je demande à Dieu lui-même de supprimer la liberté qu’il a donnée aux hommes de choisir. Hein Dieu ! Tu les as laissés libres, tu vois ce qu’ils ont fait de ta création ? Tu avais ordonné à Adam et Eve : ‘’Ne mangez pas le fruit de cet arbre.’’ Qu’ont-ils fait? Ils ont choisi de désobéir. Ils ont mangé la pomme et ont été maudits à jamais ; nous aussi, à leur suite. Je supprime donc cette partie de notre histoire. On retourne au commencement, il n’y a pas ce fameux pommier, pas de serpent perfide non plus, juste Adam et Êve dans le jardin d’Eden. Et, toute leur descendance dans le doux et paisible jardin d’Eden, suivant à la lettre, sans aucune autre alternative, les judicieux commandements de papa Bon Dieu. Tu vois, si Lucifer avait été, à l’origine, formaté pour n’obéir qu’exclusivement, il n’aurait pas eu cette inacceptable outrecuidance de se rebeller contre toi.
Déjà six jours comblés. Ce n’est pourtant pas tout ce qui est à refaire ! Dieu, pardon, le septième jour, je veux bien y inscrire quelque chose avant de me reposer. Tiens ! Je suis convaincu qu’il te fallait plus de six jours pour faire le monde. Et si ce monde-ci était en réalité un test pour toi, un brouillon pour faire les réglages idoines après ?
Alors, le septième jour, je supprime la mort. Non, je barre, pas supprimer la mort, mais laisser à l’homme un seul choix, oui, un seul, celui de choisir quand mourir, après un certain nombre d’années de vie qu’on pourrait fixer à..., je verrai après. Il ne faut surtout pas que le grand âge se transforme en charge sociale. Si les nouveau-nés avaient ce choix, ils ne mouraient pas bêtement à la naissance pour plonger leurs mamans dans un si inattendu et profond chagrin.
Très bien, voilà les sept jours comblés ! Il faut cependant que je relise attentivement mon brouillon avant toute décision irréversible. Il y a des choses à compléter, à retoucher. Voyons, le premier jour, j’ai noté : Je supprime les dialectes..., c’est validé ; le deuxième jour, j’ai... J’entendis un grand brouhaha, cela signe habituellement la joie des populations accueillant le retour du courant. J’ai ouvert les yeux, je n’avais pas la baguette magique dans la main ; je tâtai aussitôt machinalement le sol autour de moi à sa recherche ; rien, pas de papier-brouillon non plus.
J’ai refermé les yeux, le monde me semble meilleur les yeux fermés, j’ai encore du travail à faire ; je n’ai pas fini de peaufiner mon brouillon et je n’ai pas encore restitué la baguette magique à Dieu conformément au contrat. Quand je la lui restituerai, on sera surement passé du clair-obscur à un monde nouveau.