Maître Imaginaire s’est installé debout devant son pupitre. Un livre épais au papier bis y est ouvert, un ruban délavé servant de marque-page. Dans la salle de ce théâtre de petite taille les trois premiers rangs sont occupés.
Une ombre grise se tient à ses cotés, assise, attentive à ses ordres concernant l’ordre de passage des films diffusés. Il demande aux spectateurs de boucler leur ceinture !
— Ça va décoiffer !
leur lance-t’il d’un ton presque cynique
C’est alors qu’un faible vent se lève comme il serait dit lors d’une ballade en extérieur. Une opacité mauve englobe d’un voile épais l’ensemble de l’assistance quand sur l’écran dont le rideau se hisse des paquets d’eau sont projetés. Un geste de recul tasse à l’unisson les spectateurs dans le fond de leur assise. Une odeur salée se dissipe dans l’espace fermé et des cris stridents de goélands viennent en boucles aiguiser le tympan des cinéphiles. Un visage très ridé à la peau épaisse et brunie s’affiche en plein écran. Le regard est bleu outremer, des mèches grisées, blanches, sortent de dessous son bonnet de marin telles des méandres de laine.
— Je suis le dernier...
De chaque recoin de ses yeux une larme s’avance. Mais une lumière de vie baigne son regard d’une bonté inouïe
— Je m’appelle Gaspard. Ce que j’aimais, c’était monter là-haut à la lanterne...
Soudain des impacts lourds et sonores cognent contre les parois fragiles de la salle obscure. Certains tremblent un peu, honteux de leur peur, se raisonnant en se disant qu’il ne s’agit que de bruitages.
L’index tendu de Gaspard désigne une lucarne qui s’ouvre sur l’écran comme une porte sur l’océan. Une masse houleuse et menaçante avance en dos-d’âne, étrangement silencieuse. Le ciel orangé incendie l’horizon et le vent très bruyant s’engouffre dans la petite pièce à vivre faisant voler son paquet de tabac, décrochant une casserole en cuivre de son clou, brisant un verre dans sa chute, atteignant enfin la flamme de la lampe à huile.
— C’est notre quotidien, sourit Gaspard en refermant la fenêtre. L’eau va monter, ça va casser. Quand ça devient ingérable, que tout commence à voler, on prie le Bon Dieu et on attend que ça passe.
Le ciel, la mer se tintèrent de gris.
— Mauvais temps, pas de relève
Gaspard s’assit sur sa vieille chaise en bois et se mit à écrire. Tout devint silencieux.
Au bas de l’image, défilaient en sous-titrage les mots qu’il venait de consigner :
« Quand la mer assaille notre phare elle l’habille de son écume comme deux ailes de plumes blanches. C’est un ange aux enfers »
La salle se ralluma doucement. Maître Imaginaire reprit la parole :
— Ça n’est pas parce qu’une profession s’éteint que nous devons être tristes. Buvons chers amis
Deux moussaillons pénétrèrent l’espace confiné desservant l’assistance en boissons mystérieuses versées dans de riches hanaps sculptés de figures marines se voulant monstrueuses.
Il lut à voix haute les dernières lignes que Gaspard avait inscrites sur son carnet de bord :
« Depuis plusieurs semaines, je compte les jours, mais je n’ai pas le cœur à le dire, on ne quitte pas un tel flambeau sans avoir un peu de nostalgie ».
Comme derniers mots il écrivit :
« Midi, mon dernier quart, plus de relève.».
Une vague d’émotion parcourut l’auditoire qui resta silencieux quand une corne de brume installée près du projecteur retentit à plusieurs reprises. Maître Imaginaire reprit la parole pour signifier la fin de la séance et indiquer le chemin vers la sortie. La porte était étroite. Un par un, les spectateurs descendirent les trois cents marches de l’escalier resserré. Quand le dernier eut franchi le seuil, la lampe halogène suspendue dans la descente s’éteignit.
Au dehors le brouillard était épais. Une barge claire les attendait en ondulant le long du quai. Le clapotis régulièrement sonore leur ouvrait son monde flottant. Les poissons souriaient.
Dès qu’ils eurent embarqué, le bateau glissa doucement dans une bouteille de verre puis déploya ses voiles de papier et dériva poussé par un joli vent de brume.
Une ombre grise se tient à ses cotés, assise, attentive à ses ordres concernant l’ordre de passage des films diffusés. Il demande aux spectateurs de boucler leur ceinture !
— Ça va décoiffer !
leur lance-t’il d’un ton presque cynique
C’est alors qu’un faible vent se lève comme il serait dit lors d’une ballade en extérieur. Une opacité mauve englobe d’un voile épais l’ensemble de l’assistance quand sur l’écran dont le rideau se hisse des paquets d’eau sont projetés. Un geste de recul tasse à l’unisson les spectateurs dans le fond de leur assise. Une odeur salée se dissipe dans l’espace fermé et des cris stridents de goélands viennent en boucles aiguiser le tympan des cinéphiles. Un visage très ridé à la peau épaisse et brunie s’affiche en plein écran. Le regard est bleu outremer, des mèches grisées, blanches, sortent de dessous son bonnet de marin telles des méandres de laine.
— Je suis le dernier...
De chaque recoin de ses yeux une larme s’avance. Mais une lumière de vie baigne son regard d’une bonté inouïe
— Je m’appelle Gaspard. Ce que j’aimais, c’était monter là-haut à la lanterne...
Soudain des impacts lourds et sonores cognent contre les parois fragiles de la salle obscure. Certains tremblent un peu, honteux de leur peur, se raisonnant en se disant qu’il ne s’agit que de bruitages.
L’index tendu de Gaspard désigne une lucarne qui s’ouvre sur l’écran comme une porte sur l’océan. Une masse houleuse et menaçante avance en dos-d’âne, étrangement silencieuse. Le ciel orangé incendie l’horizon et le vent très bruyant s’engouffre dans la petite pièce à vivre faisant voler son paquet de tabac, décrochant une casserole en cuivre de son clou, brisant un verre dans sa chute, atteignant enfin la flamme de la lampe à huile.
— C’est notre quotidien, sourit Gaspard en refermant la fenêtre. L’eau va monter, ça va casser. Quand ça devient ingérable, que tout commence à voler, on prie le Bon Dieu et on attend que ça passe.
Le ciel, la mer se tintèrent de gris.
— Mauvais temps, pas de relève
Gaspard s’assit sur sa vieille chaise en bois et se mit à écrire. Tout devint silencieux.
Au bas de l’image, défilaient en sous-titrage les mots qu’il venait de consigner :
« Quand la mer assaille notre phare elle l’habille de son écume comme deux ailes de plumes blanches. C’est un ange aux enfers »
La salle se ralluma doucement. Maître Imaginaire reprit la parole :
— Ça n’est pas parce qu’une profession s’éteint que nous devons être tristes. Buvons chers amis
Deux moussaillons pénétrèrent l’espace confiné desservant l’assistance en boissons mystérieuses versées dans de riches hanaps sculptés de figures marines se voulant monstrueuses.
Il lut à voix haute les dernières lignes que Gaspard avait inscrites sur son carnet de bord :
« Depuis plusieurs semaines, je compte les jours, mais je n’ai pas le cœur à le dire, on ne quitte pas un tel flambeau sans avoir un peu de nostalgie ».
Comme derniers mots il écrivit :
« Midi, mon dernier quart, plus de relève.».
Une vague d’émotion parcourut l’auditoire qui resta silencieux quand une corne de brume installée près du projecteur retentit à plusieurs reprises. Maître Imaginaire reprit la parole pour signifier la fin de la séance et indiquer le chemin vers la sortie. La porte était étroite. Un par un, les spectateurs descendirent les trois cents marches de l’escalier resserré. Quand le dernier eut franchi le seuil, la lampe halogène suspendue dans la descente s’éteignit.
Au dehors le brouillard était épais. Une barge claire les attendait en ondulant le long du quai. Le clapotis régulièrement sonore leur ouvrait son monde flottant. Les poissons souriaient.
Dès qu’ils eurent embarqué, le bateau glissa doucement dans une bouteille de verre puis déploya ses voiles de papier et dériva poussé par un joli vent de brume.
Je vous invite "A l'horizon rouge" en finale du Prix lunaire. Merci.