Le 20 sur 20 monstrueux

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Oui, peut-être les deux. J'ai l’ultime envie de me dépêtrer de ces représentations de ma cervelle. Mais. Le mal persiste encore. Je me sens poignardé par maintes objets tranchants à la fois. Je sens le froid envahi mon âme. Mes os. Ils sont déjà contractés en emportant avec eux, ce qui me restait comme chair. Après quelques centimètres d'immigration du soleil ce jour, je devenais rien. Oh! Quel créateur pourrait agir comme toi ? Quel père de famille oserait lésiner sur ses attributs pour venir aux rescousses de ses enfants ? En vérité, je comprends. Oui, je comprends maintenant. Tu n'as jamais existé. Tout ce dont nous nous parlions dans ces grandes salles de conciliabules les jours de Saba n’était que des railleries et des hallucinations. A vrai dire, nous n'avions rien cerné. Certains esprits mal éclairés diraient d'ores-et-déjà que je blasphème. Mais, étant entièrement le maître de mes réflexions, j'endosse la responsabilité de toutes ces allégations. Pour leur information, je suis libre d'avoir des séances de vérités avec mon père, mon créateur, le transcendant, le bon Dieu car, par son manque d'attention, voilà, je me suis retrouvé à soliloquer hors de mon nid habituel où je partageais hospitalité, amour, gaîté...avec mes semblables.
Frère, depuis quand ça tourne dans le sens contraire, le monde ?
Tout commença ce soir là quand je revenais de l’école des blancs. L'atmosphère se concentrait déjà. Les étoiles défilaient dans tous les sens sur mon crâne. Un noir clairsemé jaillit sur la cité des Ahóvi (princes en Fon-gbé, une langue Béninoise). Une fois chez moi, je vis mon père qui était assis devant sa case qui était sans doute l'une des trois concessions qui composaient notre enclos. Il était dans son fauteuil à manger dénommé hóchonou (en Fon-gbé). La voix du petit poste radio qui était installé à côté de lui se rependait dans tous les environs de la cour. Après tout, il est le seul villageois qui possède un poste radio dans les parages. Comme tous les soirs, l'homme écoutait les actualités de son pays. Les stations de radio offrent aux populations indigènes, des programmes en langues maternelles. Ces différentes émissions contribuaient d'une manière ou d'une autre à l’édification de ces couches de la société qui sont souvent délaissées par les programmes d'actions des différents gouvernements. Ces hommes de presse dont le respect des libertés est souvent renvoyé au calende grec sont dotés d'une compétence hors pair qui leur permettait de savoir satisfaire l'homme des hameaux. L’émission qui passait ce soir là, était consacrée à une nouvelle maladie sans remède qui vint de voir le jour . D'après le journaliste, elle a commencé chez les blancs “chan choun”( un sobriquet qui désigne les chinois quand l'on se réfère à leur langue). Cette maladie est maintenant plus étendue sur les continents européen et américain. D'après les dires de l'homme du micro, les États-Unis d'Amérique ont dépassé par exemple la barre des cinquante mille morts.
Quel horreur! Sursauta mon père. Comment l’homme peut-il décéder comme des cabris de notre village ? se demanda-t-il. Mais ces blancs aussi ont la peau très fragile, s'indigna le villageois. N'importe quelle maladie peut les traverser sans être retenue. Voilà, c'est pour éviter ces genres de chose que je dois prendre ma douche tous les trois jours. Comme ça, mon système immunitaire sera toujours à l’étape d'excellence. Il se disait tout ceci à mi-voix quand le journaliste compléta que son pays est déjà le berceau d'une dizaine de cas et pire, une femme a passé d'ores-et-déjà de vie à trépas. Quoi ? Qu’est-ce qui nous arrive ? Alors, va-t-on tous mourir comme les blancs ? Il prêta encore oreilles attentives au poste radio qui continuait la diffusion de l’information. Désormais, lavez-vous fréquemment les mains; toussez dans le creux de vos bras; portez toujours vos masques avant tout voyage; si vous ressentez des toux, des difficultés respiratoires et autres, veuillez contacter le numéro vert;...
Mon père encaissa avec anxiété l’intégralité du message que véhiculait la petite boîte. Quand elle eut fini, il l’éteignit . J'en ai mare, se révolta le vieux. Comment une maudite maladie qui a vu le jour en Chine, peut-elle galoper et venir directement me tuer dans mon village alors que je ne dispose même pas de quoi me prendre un avion ? C’est incontestablement une abomination. Il invoqua les mânes de ses ancêtres. Oh ! Que “Vodoun Hêbiosso” vienne nous sauver! Que “ Sakpata ” veille sur nous !
Après avoir fini de toquer ses dieux, je lui ai dit “bonsoir”. Il hocha la tête sans même me poser une seule question. A partir de ce moment, je sentis que quelque chose de grave se préparait. Cet homme, mon père, ne perd jamais pour rien son sens humour quand ses progénitures vinrent à ses côtés. Pour ne pas en rajouter à ses inquiétudes, je suis parti congratuler ma maman à la cuisine puis je rejoignis mes six frères dans notre chambre.
Ce soir là, le dîner n’était pas empreint de solennité comme les autres soirs. Mon père, malgré son courage et sa détermination face à certains phénomènes, avait des appréhensions.
Frère, j'ai oublié de t'annoncer que j'ai un oncle qui réside aux pays des blancs. Je ne te l'avais pas dit plutôt parce que je ne l'avais pas connu. Il était parti chez les blancs après avoir passé son examen du Brevet d’Etude du Premier Cycle. Bénéficiant d'une bourse de l'Etat français à l’époque, il avait submergé vers le soleil couchant. C’était l'un des premiers intellectuels de notre pays. Malheureusement, il n'est plus jamais revenu. Les sorciers et autres esprits malveillants de notre village pouvaient l'attaquer une fois au retour, se disait-il. D’après ce que mon papa me racontait, il a eu même la plus grande des bénédictions d'avoir une conjointe blanche. Mon père l'a su parce qu’il, mon oncle, lui enverrait des papiers par la Poste quand ça lui plaisait. On eût dit qu'il habite à Paris, le cœur de France. Mon père a dit un jour, que mon oncle est un œil de Moscou pour le chef des blancs. Il a même réussi à siéger une fois dans son gouvernement.
Mais le pire, est que mon oncle n'a jamais pensé réaliser quelques choses dans son pays natal encore moins dans notre village. Il nous a laissés pour compte en suivant le modèle des blancs qui, d'après leur conception, la famille se limite seulement à soi-même, la femme, les enfants et le chien. Le reste importe peu. Mon oncle aurait oublié la notion d'humanité car l'on peut sacrifier tout, sauf l'essentiel. Et l'essentiel chez nous au pays des noirs, c'est la famille. Papa m'a dit, que je ressemblais beaucoup à mon oncle. C'est pourquoi, je dois également travailler avec rage à l’école pour atteindre son niveau. Néanmoins, il aimait profondément mon oncle car il sont seulement deux enfants de leur maman.
Frère, quand mon père apprit la nouvelle de cette nouvelle maladie dans son poste récepteur, il n'avait plus d'autre désiderata que de revoir son frère, mon oncle.
Le lendemain matin, me voici au centre de détention car, les policiers disaient que nous, mon père et moi, avions brûlé le couvre-feu déclenché en ville pour lutter contre cette étrange peste qui sévit à travers le monde. Ils nous ont sauvagement frappés la nuit précédente parce que mon père me proposait d'aller à la Poste avec lui pour envoyer une correspondance à mon oncle. Or, il est déjà vingt et une heures dépassées. La même nuit, on nous annonçait le décès de mon oncle qui a été victime de la mystérieuse maladie. Mon père ce matin, sous le choc, passa simplement de vie à trépas après m'avoir laissé une importante commission. « Mon fils, arrivé au village, dis leur surtout, que la peur d’être attaqué par une pandémie tue inexorablement plus vite que la pandémie elle-même ».
Frère, je suis épuisé. Ma maman serait déjà entrain de mourir d'envie de nous voir revenir tous les deux sains et saufs. Voilà que papa n'est plus là.