La vie de ma mort

« Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés? Peut-être les deux. »
Je ne savais pas où j’étais, mais je sentais le vide m’engloutir. Petit à petit des scènes comme dans un puzzle me revenaient, j’essayais de le reconstituer afin de savoir où j’étais et pourquoi je sentais cette sensation de vide partout. Oui je voulais savoir ce qui m’arrivait, comprendre pourquoi je ne faisais qu’un seul avec le noir. On dirait qu’on s’était toujours connu, on dirait qu’il était une partie de moi et que j’étais une partie de lui. Au bout de quelques minutes je parvins à reconstituer mon puzzle et tout coup j’ai eu froid dans le dos, j’ai hurlé de toutes mes forces ou du moins ce qui m’en restait mais aucun son ne sortait et personne ne pouvait m’entendre là où j’étais. J’ai pris conscience que la vie se tenait qu’à un fil et qu’aucune jeune femme ne devrait vivre pareille mort. Qui dit que là où je suis-je ne peux pas prendre conscience de ma vie ou de ma mort ,de ce que j’ai été, de ce que je suis maintenant et de mon passage dans ces deux mondes ? Qui dit que les femmes n’ont pas le droit d’être qui elles veulent être et de faire ce qu’elles veulent faire ? Qui dit qu’une femme se résume qu'à donner du plaisir au sexe fort ? Qui dit quoi ? Oh oui  ! j’ai conscience de tout et je comprends mieux les choses six pieds sous terre.
On m’appelait Lune, plus que tout j’aimais mon corps et j’aimais la vie qui l’y habitait, j’aimais ma féminité et je voulais qu’elle soit proclamée et respectée. Je venais d’avoir mes dix-huit ans et je me sentais femme. Je pensais avoir déjà tout compris sur ma féminité et sur mon combat dans cette société. Je me disais être une femme libre et émancipée, une femme indépendante et éclairée. J'étais de la génération où il y avait encore cette lutte acharnée pour le respect des droits de la femme, je m’y adhérais parce que j’étais non seulement une femme mais j’avais aussi conscience des inégalités entre les genres dans la société, donc j’étais pour l’équité. J’ai eu cette cause à cœur car un an plutôt, ma meilleure amie Nana a été violée, qui plus est par son petit ami. Elle ne pouvait rien dire à son père, sa seule famille, elle avait peur d’entendre des répliques telles que « : tu es allé foutre quoi dans sa chambre, c’est toi qui l’a cherché petite allumeuse, j’ai toujours su que tu étais une petite pute tout comme ta mère. » elle craignait aussi de dénoncer l’homme en question car il avait menacé de la tuer. Elle n’avait que moi, elle savait qu’elle pouvait compter sur moi en toute circonstances, elle savait surtout que j’étais d’une oreille compréhensive et que je ne la jugerais pas, elle avait besoin d’être comprise non d’être jugée.
En écoutant son récit, j’avais la rage au cœur, je voulais crier haut et fort non à la violence faite aux femmes, je voulais crier pour elle et pour toutes ces femmes sans voix, ces femmes et ces voix perdues dans le néant. Ce soir-là j’ai partagé chacune de ses larmes, chacun de ses soupirs, chacun de ses silences. D’une voix à peine audible, elle me dit : c’est ma faute, je n’aurais pas dû aller dans sa chambre. » Je lui ai pris la main et je lui ai dit : tu avais le droit d’aller dans sa chambre, tu avais surtout le droit de dire ‘Non’. Toujours en tenant sa main, tout bas, je me suis faite la promesse de la rendre justice, je voulais changer la donne mais j’oubliais que ce monde est injuste et qu’il y aurait toujours des combats, des soldats paieront de leur vies mais il y aura toujours de la vie dans la mort.
Toute une année à sensibiliser les jeunes femmes contre ce mal dans la société et cette même année j’ai croisé cette vermine :
Tu sais qu’on a le droit de dire Non, tu te crois au-dessus de tout quand tu violentes une femme, quand tu disposes de son corps comme bon te semble, hein tu te crois fort quand tu te laisses guider par ton membre, haha ah je te plains, le sexe faible c’est toi.
Ferme ta gueule sale garce
D’un geste brusque, il s’est jeté violemment sur moi en emprisonnant mon cou, je manquais terriblement d’air, j’essayais de me défaire de sa prise mais en vain, il serrait un peu plus fort, plus fort encore jusqu’à ce que la noirceur m’engouffre.
Je suis dans le noir, j’ai les yeux fermés et je vis ma mort.