La simplicité de ta tendresse

« Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. »
Mes yeux n’étaient pas fermés, mais mon cœur était dans le brouillard. Je ne voyais plus la scène qui se déroulait dans le salon. Le noir m’enveloppait et mon imagination dérivait.

Tu étais là, simplement assis sur le canapé, à regarder la télévision et à faire des blagues avec nos amis. Mon cœur se serrait. Pendant quelques secondes, je laissais mon regard dérivé sur toi. Je frissonnais. Mes pensées m’avaient amené ailleurs, dans une dimension où il n’y avait que nous. Dans un univers où mes lèvres se posaient tendrement dans ton cou. Je m’imaginais, assise à tes côtés, mes yeux plongés dans la noirceur des tiens. Ma tête déposée sur ton épaule, ta main qui se referma sur la mienne. Mon imaginaire se perdait en toi comme j’aurais aimé pouvoir le faire.

Il suffit d’une seconde pour que mon rêve s’évapore. Je me secouais alors que tu tournais la tête vers moi.
- Léa, ça va ?
L’attention de tous nos amis sur moi n’aidait pas le rougissement de mes joues.
- Oui, ça va ! Vous écoutez quoi ?
Je contournais les tables du salon pour me diriger vers le canapé, à tes côtés. Mon cœur battait la chamade, mais je restais neutre. Mes yeux évitaient de se pencher vers toi. Ma main se crispait sous la tension alors que je résistais à l’envie de glisser mes doigts dans les tiens. La télévision n’était allumée que pour l’ambiance sonore. Les rires fusaient sous les blagues amicales. La soirée avait tout d’une fête entre amis, mais je n’y étais pas.

Je me perdais dans les souvenirs de ce jour où mon regard sur toi avait changé. Une autre soirée entre amis, des mois plus tôt alors que l’alcool affectait mon esprit. Encore une bêtise, un mot de trop, celui qui partageait ma vie riait alors que je quittais la pièce. Tu étais assis à côté de lui, tu ne riais pas. J’ai pris le temps de respirer, seule dans la cuisine alors que les rires continuaient de fuser dans l’autre pièce. Je laissais le temps passé, la colère descendre. Une amie s’est levée et a déposé une main pleine de compassion sur mon épaule.
- Ça va aller, affirmais-je.
Nos verres se sont remplis de nouveau et je me suis rassise sur le canapé à côté d’elle. J’étais assise au milieu d’une conversation que j’entendais de loin. J’étais installée entre deux de mes amies qui bavardaient, mon regard se perdait sur mon copain qui ne me voyait déjà plus. Toi, tu me regardais, mais je ne te remarquais pas. Je pense que tu lisais dans mes yeux les pensées qui résonnaient dans ma tête. J’étais dans un monde où la violence des mots prononcés quelques instants auparavant se frappait encore contre mon crâne. J’ai à peine vu que tu bougeais. Mon attention revenait sur la soirée, sur mes amies qui me discutaient. Tu t’es assis par terre, face à moi. Tu étais spectateur silencieux de cette conversation entre filles. Ma perception du temps était affectée par l’alcool. Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés comme ça. Les filles discutaient de l’avenir, parlaient des garçons. Nous rions ensemble.

De l’autre côté des tables du salon, mon copain discutait avec d’autres amis. Il avait oublié ma présence. Toi, tu as pris ma main. Tes doigts se sont déposés sur les miens avec compassion et mon univers a basculé. Mon visage est resté neutre. Mon attention est restée figer sur les blagues que racontaient mes amies. Du coin de l’œil, je vérifiais que ta main posée sur la mienne n’attirait pas l’attention. Alors que de l’extérieur, toute ma concentration était focalisée sur cette soirée d’apparence si semblable aux autres, mon être entier ne pensait qu’à nos doigts enlacés. Mon esprit était toujours embrouillé par l’alcool, mais mes sens étaient alertes. Mon cœur battait rapidement et mon esprit s’emballait. Je n’osais pas te regarder. Nous sommes restés comme ça un moment. Entourés par une soirée qui n’était plus vraiment là à mes yeux. Tous mes sens étaient plongés dans l’obscurité. Tous, sauf le toucher. J’avais l’impression de ressentir tes doigts sur les miens avec tout mon corps.

Ton regard se riva au mien et le temps d’un millième de seconde, le monde autour de nous disparut. Je n’étais pas dans le noir, je n’avais pas les yeux fermés. Pourtant, je me sentais aveuglée comme si j’avais les yeux fermés dans une chambre noire. Nous n’étions plus dans mon salon, je n’entendais plus mes amies, je ne pensais plus aux commentaires déplacés de mon copain. Aucun mot ne traversa nos lèvres. Il ne se passa rien d’autre que ton regard dans le mien et l’étreinte rassurante de tes doigts qui serraient les miens. Je me disais que ta main était douce. Et j’avais la sensation que tes yeux me disaient plus que ce que tes lèvres ne me diraient jamais. J’avais l’impression de n’avoir jamais vu aussi clair que dans l’obscurité qui engloutissait mon cœur embrouillé par la simplicité de cet échange de tendresse, ta main sur ma main.