La question

Pour Népal

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Pour le savoir, il me faut commencer par les ouvrir. Seulement après, pourrais-je en avoir la certitude.

Mais comment savoir s’ils le sont, fermés ? Je ne peux les toucher, car mes mains sont liées. Liées par la peur. Liées par l’envie, les tentations et la peur de décevoir. Peut-être devrais-je avancer sans voir. A tâtons, je pourrais peut-être trouver l’interrupteur. Alors, si j’étais dans le noir, « elle » m’éblouira. Sinon, cela voudrait dire qu’ils étaient fermés.

Nonobstant, une réflexion s’impose. Pour combattre ce « Noir », il faut commencer par savoir ce qu’il est. Comment le définir ? Par une absence de lumière ou une couleur ? On me rabâche sans cesse qu’il faut cesser d’être négatif, mais dans ce cas, je verrais tout en noir. Me voilà encore plus perdu.

En réalité, l’Histoire est plus compliquée, trop compliquée pour quelqu’un comme moi. Et puis, je manque de temps pour pouvoir prendre le temps d’y réfléchir. Il faut agir. Enfin, c’est ce que j’entends dire, dans le noir... Je ne suis pas tout seul. D’autres sont avec moi. Je les entends courir, et certains d’entre eux m’invectivent d’en faire de même. Dois-je le faire ?

J’entends des pas, partout, mais ils ne vont nulle part. Certains crient, d’autres pleurent, d’autres encore ont l’air joyeux. Mais comment savoir s’ils le sont vraiment ? Et puis, serais-je heureux si j’étais à leur place, même si eux le sont ? Je ne crois pas.

Le temps avance, et je dois faire un choix. Oui, je le sais, j’ai toutes les cartes en main. Certaines acquises depuis la naissance, d’autres que j’ai façonné avec passion. Et pourtant... J’ai l’intuition que ce n’est ni avec des billets, ni un bout de papier que je pourrais résoudre mon problème. Alors autant attendre pour le moment.

***

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Quelque soit la réponse, il faut agir. Vingt ans sont passés, au diable mes intuitions. Alors, je me mets à courir. Pendant des jours, des mois... Rien. Je deviens agressif, à mesure que j’entends ceux qui courent encore plus rapidement que moi. Par rage, je me transforme, et je deviens le meilleur coureur aux alentours. Et pourtant, je ne vois toujours pas. Je voudrais me crever les yeux pour ne plus avoir à y penser, mais mes mains sont liées.

J’ai tellement couru que j’ai perdu de vue mes amis et mes proches. Maintenant, il ne reste plus que moi, mes yeux et le noir. Seul, face à mes choix, et le temps qui s’écoule plus rapidement à chaque seconde.

Je suis fatigué. Mon esprit est embrumé et j’ai l’impression de ne plus avoir pied. Alors pour la première fois depuis des années, je me suis arrêté, et en tournant la tête pour voir derrière moi... J’aurais juré l’apercevoir, l’espace d’un instant. Un mince faisceau de lumière. Aurais-je eu les yeux ouverts depuis le début ? Ou n’est ce qu’une illusion, la nostalgie qui me joue des mauvais tours ? Une chose est sure ; Hier était plus radieux.

Mais pas le temps pour les regrets. Il fallait s’accorder une réflexion, à nouveau, alors je me suis mis à tourner en rond, et d’idée noir en idée noir, le temps est passé et les cheveux ont grisonné. Privé de tout espoir, je me suis allongé à même le sol. C’est alors qu’une voix jaillit des entrailles de la terre.

« Tu m’entends ? »

Le ton calme et apaisé de sa voix était thérapeutique.

« Oui. »

Un silence s’en suivit. Mais il n’avait rien de pesant. C’était un silence agréable, doux, que je me décidai de briser au bout de quelques instants.

« As-tu la réponse ? »

« Non. Je suis comme toi. Je ne sais toujours pas. »

« Alors pourquoi es-tu si serein ? »

« J’ai arrêté de réfléchir. »

Il n’était pas si différent...

« Alors tu es comme eux. Ceux qui courent sans arrêt.»

« Non. J’ai lâché mes cartes et cassé mes jambes. »
« Pourquoi ? »
« Pour pouvoir voir. »
« Alors tu vois ? Pourtant, tu m’as dit ne pas avoir la réponse... »
« Je n’ai pas la réponse, car j’ai arrêté de réfléchir avant de la trouver. »

Pourquoi étais-ce si compliqué de comprendre ce qu’il voulait me dire ?

« Comment fait-on pour voir ? »
« Lâche tes cartes et casse tes jambes. »
« Je ne peux pas. Mes mains sont liées. »

Un nouveau silence s’en suivit.

« Fais face à tes peurs et accepte tes tentations afin de te défaire de tes chaines. Quand tu auras les mains libres, tu pourras enfin renoncer à tes cartes, et à ce moment, tu pourras peut-être entrevoir la lumière, en oubliant tes questions. »

***

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Voilà bien longtemps que je ne me suis pas posé cette question. A vrai dire, la réponse m’importe peu, depuis que la lumière a inondé ma vie. Et même si parfois, je regrette mes jambes, la paix intérieure et la quiétude qui m’animent m’empêchent de sombrer dans le noir.

Depuis, j’arpente le monde, et guide les égarés en quête de repos. Et toi...

« Tu m’entends ? »