La phalène

« Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. ». Cette pensée ne cessait de tourmenter mon esprit, comme une aiguille qui, sans cesse triture une plaie béante. Alors que j’essayais de résoudre l’énigme, un bruit roque me tira de mon état semi-conscient, et c’est alors que tout me revint. Ces effluves nauséeux, ce corps flasque qui se collait au mien, et me souillait jusqu’au plus profond de mon être, et surtout, cette haleine fétide. Tandis que le cauchemar refaisait surface, des larmes s’écoulaient le long de mes joues, alors que je m’éloignais de la bête étendue derrière moi. Le corps tremblant, je m’extirpais du lit, pour me blottir dans un coin sombre, où la lumière de la lune n’aurait pu m’atteindre. Tout mon corps était pris d’une subite fièvre, et pour cause, ma chair se remémorait tous les détails de cette nuit. Pouvais-je appeler ça un viol ? impossible car j’étais ici de mon plein gré. Tout ce qui s’était passé n’était que la conséquence du choix que j’avais fait, celui de suivre aveuglément cette lumière pure et éclatante.
Mon corps ne cessait de vibrer, au rythme des impulsions répétées du cœur. Le jour s’était levé, et je sentis la bête se dresser, je l’entendis se doucher, et je la vis se vêtir. Elle s’avança vers moi et jeta une liasse de billets, le visage habillé d’un sourire narquois. La vue de ces billets me rendait plus triste, plus sale ; j’avais le sentiment d’avoir été jetée dans une marre de boue. Lorsqu’il eut franchi la porte, je me sentis légèrement soulagée, c’était la première fois que j’appréciait autant la solitude. Mais, tandis qu’une lumière grise et mélancolique pénétrait par la fenêtre, mon être ne put contenir un instant de plus sa douleur, et celle-ci s’échappa dans de longs sillons de larmes.
Recroquevillée en position fœtale à même un sol nu et glacé, j’avais le regard vide et hagard, perdue dans mes pensées. Mon état était tel, que je ne remarquais pas la porte de la chambre qui coulissait lentement. Ceci dit, il avait à peine fait un pas dans la pièce que je le vis. L’homme à qui je devais tout mon malheur, et bizarrement, l’homme sans lequel il m’était impossible de vivre. Il était là, se tenant au milieu de la pièce, dans son costume trois pièce d’un gris argenté éclatant, et qui, baigné dans la lumière grise du matin, avait l’allure d’un ange. Elle était là ; ma lumière, celle pour laquelle j’avais commis cet acte répugnant ; elle trônait dans la chambre, comme une entité salvatrice venue me libérer de mes péchés. Il était grand, beau, fort, et d’une élégance presque mystique. Il s’approcha et me caressa délicatement la joue. Il était là ; Phébus, sur son char, chassant les ténèbres, et apportant la lumière. Il était là, mon beau Louis. J’essayais tant bien que mal de me tenir debout, j’étais si faible, et pourtant comme par miracle, je vis mon corps être soulevé du sol ; c’était Louis, qui de ses bras musclés, me portait dans ses bras. Et ensemble, nous sortirent de l’antre de la bête. Louis m’avait ramené dans ma chambre d’étudiante, et j’allais prendre une douche, dans la minuscule salle de bain, qui bien sûr, ne comprenais que le strict minimum, à savoir, douche et WC, et encore, je pouvais m’estimée heureuse. L’eau s’écoulait lentement sur mon corps et moi, j’essayais de tout oublier. Louis entra dans la petite pièce avec un morceau de savon et un gant de toilette, et se mit à frotter mon corps. Lorsqu’il posa ses grandes et fines mains sur moi, je me sentie apaisée, il allait me purifier, détruire en moi toute trace de venin, effacer de par ses caresses le cauchemar de la veille. Son visage remplaçait déjà la face de cette immonde créature.
Après la douche, il me mit au lit, et resta près de moi, à caresser mon visage, et, il me remercia des sacrifices que je faisais pour lui. J’étais aux anges, j’avais pu rendre service à l’homme que j’aimais, j’étais utLa phalène chrysalide, il m’a montré un monde qui, jusque-là n’était que fable pour moi. Il était une lumière si belle et pure, il était comme un doux soleil baignant de sa lumière les nuages gris d’un matin d’Octobre.
Cela faisait une semaine depuis la nuit du cauchemar, et aucune nouvelle de Louis. Je passais mes journées, le regard dans le vide, à imaginer le pire, ou, la main tremblante à essayer tant bien que mal de contacter mon amour. Il ne répondait pas, seule une voix au bout de la ligne me répétait constamment que le téléphone de mon interlocuteur était éteint. Pourquoi était-il éteint depuis une semaine ? Un Vendredi pluvieux ; je ne ressentais alors que mélancolie et tristesse. J’avais écumé tous les endroits où il était possible de trouver Louis, mais rien à faire, la nature continuait de le dissimuler à mon regard. J’étais lasse de tout cela. Pourquoi devais-je supporter tout ça ? avais-je enfreint une règle tacite entre nous ? J’étais alors engagée dans une discussion avec mon moi interne dans le but de répondre à cette question, quand soudain une odeur familière vint à moi.
Dans un mouvement vif, presque épileptique, je me retournais, et je vis Louis, qui passait tranquillement à côté de moi. Je me sentis vibrer, emplie d’une joie immense, mais alors que je me retournais, je vis une femme accrochée à son bras ; c’était Charlotte. Comment est-ce que tout cela avait pu arriver ? J’avais l’impression que des milliers de lames s’enfonçaient dans mon cœur, et j’avais du mal à respirer. J’aurais voulu leur crier tout mon désespoir, toute ma haine, mais je savais que ce n’était pas la bonne chose à faire, car si je le faisais, je rendrais cette situation réelle et, c’était la dernière chose que je voulais. Cette situation n’était pas réelle, je voulais y croire, mieux, même si elle l’était, j’en ferais une illusion. Lire dans le cœur d’un homme est comme essayer de regarder une pièce dans l’obscurité, nos yeux peuvent s’habituer au ténèbres, mais ne peuvent percevoir la pièce dans sa totalité. Je devais faire comprendre à louis que peut importer sa part d’ombres, il restait pour moi une source de lumière intarissable, et véridique. Je voulais juste qu’il reste près de moi.
Un vendredi après-midi. Le ciel était teinté de pourpre, j’étais vêtue d’une robe blanche sur laquelle se reflétait la couleur du ciel. L’odeur était fade, mes mains dégoulinaient de vie. La lumière n’était plus, la phalène y avait plongé ses ailes, et l’avait étouffée. Maintenant, le sombre papillon de nuit agonise et le rêve est brisé. J’avais revu Phébus, je l’aimais ; lui voulait, me vendre à la bête.