Papy s'appelait Jean-Antoine Garrigou. Il était né au printemps 1909 en Aveyron, et avait passé toute sa vie dans ce département. Il évitait cependant d'utiliser ce nom d'Aveyron, et... [+]

Je vous recommande chaudement cette activité si vous trouvez que les poissons ont bien mérité de souffrir quelques heures avant de rendre leur petite âme à Poséidon.
Vous ne connaissez pas cette invention de l'homo sapiens ? Alors voilà.
Le jeu consiste à d'abord attraper un petit poisson blanc, ablette ou goujon. Si vous êtes pressé, vous pouvez en acheter chez le marchand d'articles de pêche avant de vous rendre au bord de la rivière. Vous demandez : « je voudrais des vifs ». C'est même pas la peine de rajouter poissons, avant vifs. Le vendeur est un professionnel : il sait. Comme ça, vous en avez quatre ou cinq dans un sachet d'eau et vous êtes opérationnel tout de suite en arrivant.
Vous choisissez le plus frétillant et, avec une aiguille spéciale, vous insérez un fil d'acier sur toute la longueur du dos de l'infortuné. Le fil se termine par un robuste hameçon à deux ou trois branches qui vient se caler juste contre la peau, les pointes en l'air. Vous attachez le tout au bout de votre ligne, et vous balancez votre appât dans l'eau.
Le but du jeu est donc d'avoir un petit poisson vivant qui va se dandiner devant les moustaches d'un gros brochet qui fait sa sieste. Si vous sentez que votre brochet doit bien être là, tapi à l'abri des remous, mais que soit il est miraud, soit il a la flemme, vous agitez bien la ligne pour finir par l'exciter. Idem quand votre vif devient mou du genou. Mais ce qui se passe alors réellement sous l'eau mérite qu'on s'y arrête un instant.
La petite ablette voit bien le gros carnassier et elle a la trouille de sa vie. Donc elle s'affole, et elle essaie de s'enfuir, malgré son mal de dos qui la gêne pour frétiller et l'élance jusque dans les arêtes. Mais impossible d'aller loin. Elle se sent retenue par quelque chose. L'impression de faire du sur place, comme dans les cauchemars de poursuite par un monstre – si vous en faites aussi, vous voyez exactement ce que je veux dire. Sauf que là, elle ne dort pas et ne peut pas compter sur le réveil pour que tout s'arrête. Et dès qu'elle a enfin fait un peu de distance, elle se sent ramenée juste sous le nez du gros que ça a l'air d'énerver à force. Comme elle n'a pas fait brochet première langue, elle ne peut pas lui expliquer dans quelle merde elle est, ni le supplier de l'épargner.
Côté gros brochet, qui a déjà déjeuné et qui roupillait tranquillement, chaque fois qu'il ouvre un œil, il voit cette andouille d'ablette qui transporte des bouts de ferraille sur son dos lui passer au ras des ouïes sans arrêt. Et vas-y que je frétille dans un sens, et vas-y que je me dandine dans l'autre, genre même pas peur de toi. Il n'en revient pas, parce que d'habitude, ces petites garces d'ablettes se barrent le plus loin et le plus vite possible dès qu'elles le voient arriver. Il est toujours obligé de se taper toute une course contre le courant pour arriver à en chopper deux ou trois pour le repas. Dans sa petite cervelle d'un pauvre centilitre, il essaie de comprendre ce qui se passe avec celle-là. Elle a vraiment l'air plus con que les autres.
Quand il a soudain l'illumination : elle veut se suicider et lui demande de l'aider un peu. Bon dieu, mais c'est bien sûr ! Un suicide assisté. Alors comme c'est pas un mauvais bougre, au fond, il dit OK et la goinfre illico en lâchant une grosse bulle qui remonte jusqu'à la surface.
Retour à la surface justement : quand vous voyez la grosse bulle qui éclate et que la ligne s'enfonce brutalement, vous n'avez plus qu'à tirer dessus un bon coup, pour lui planter toutes les branches de l'hameçon dans sa sale gueule. Une fois que vous avez réussi à le sortir, c'est-à-dire si vous n'avez pas été con comme un débutant en montant une ligne trop faible, vous couchez le bestiau sur le sol, et tchac, vous lui plantez votre couteau au milieu du crâne. Ça sera plus facile pour le décrocher, il ne bougera pas (attention aux dents quand même). En plus, ça évite qu'il raidisse une fois mort. De cette façon, il sera plus facile à préparer. Enfin, c'est du moins ce que mon père disait. Mais bon, mon père disait aussi : les poissons ça souffre pas, ça n'a pas de système nerveux sensitif. Il l'avait lu dans une revue bien connue pour son expertise en matière de souffrance animale : Le Chasseur Français.
Une exception au coup de couteau fatal : si vous voulez faire sécher la tête au gros sel et la vernir pour la mettre en déco du salon pour pouvoir la montrer aux invités, faut pas le faire, ça l'abime.
Le vif, lui, normalement il est complètement morflé. Pas forcément mort, hein, mais bien à l'agonie. On se demande bien pourquoi on continue à l'appeler le vif. Faut le jeter et en mettre un autre.

Pourquoi on a aimé ?
La pêche au vif, vous connaissez ? Non ? Pas de problème ! Grâce à cette satire – à peine masquée –, découvrez avec délectation cette
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