Si au hasard d’un soir, tu ballades ton cafard, du côté d’l’Eden Bar,
Surtout laisse-toi guider par l’étrange fumet de... [+]
Je suis arrivé au lycée St Joseph pour des raisons disciplinaires. La religion n'y était pour rien. Je rentrais à La Rochefoucauld pour chaque vacances et passais le reste du temps à l'internat. Pierre et Claude furent rapidement mes meilleurs amis. Nous nous trouvions dans des situations similaires et un humour féroce nous rapprochait. Pierre nous invitât chez lui le temps d'un week-end. Il habitait au musée des Eysies dans une maison troglodyte. Pour accéder à sa chambre il fallait courber l'échine et se faufiler par une minuscule porte biscornue ouvrant sur une petite caverne éclairée par un trou percé jadis dans la paroi. A moins qu'il ne fut naturel? La pièce avait l'aspect d'une vieille cave aux murs voûtés et granuleux. Elle était toutefois propre et rangée comme la chambre d'un garçon de 16 ans. Quelques meubles, une malle et la chaîne stéréo. Une énorme peau d'ours blanc, à même le sol, faisait office de lit. On logeait à trois sans problème sur ces poils si épais que le matelas eût été superflu.
Le dîner se composait d'une tranche de bœuf épaisse, grasse, rouge que j'avais envie de dévorer à pleine bouche. Sa mère était prof de philo. Ses formes monumentales étaient recouvertes d'un gigantesque poncho de patchwork de laine. Son père était le directeur du musée. Son énorme tête rouge, ses cheveux longs, sa barbe blanche désordonnée et ses vêtements fripés foulaient aux pieds l'idée que je me faisais d'un directeur de musée. Les discussions me passaient légèrement au dessus de la tête. Trop de mots aux sens lointains ou de références culturelles, alors que les miennes se limitaient aux œuvres étudiées en classe et aux films de Bruce Lee. Nous buvions du vin et nous fumions en mangeant. Je sortis de ce repas métamorphosé. J'étais plus intelligent ! J'avais côtoyé des personnes capables de discuter de n'importe quel sujet. Elles y puisaient des questions qui ne m'avaient jamais effleuré l'esprit et se permettaient de rire de tout. Comment était- ce possible ?
Dans la chambre que nous regagnâmes en titubant d'ivresses diverses, Pierre posa un album de Klaus schulze sur la platine et nous nous étendîmes sur l'ours mort. Tout en faisant tourné un pétard que nous nommions joint, nous nous demandions si la sagesse était un but ou un chemin. La nuit s'étira lentement dans cette ambiance que mon éducation réprouvait mais à laquelle mon âme aspirait. A chaque instant je ressentais les modifications, les troubles, les espoirs que cette soirée suscitait. Je pourrais peut-être devenir comme eux : trouver les mots indiscutables qui expriment parfaitement ce que je pense.
J'ai du m'endormir sur ce genre de rêve. Ce voyage en tête inconnue dans lequel je bondissais d'une idée géniale à une autre plus sublime encore. Mes amis étaient des frères de philosophie et le monde était en passe de connaître un grand bouleversement de la pensée.
C'était la première fois que je me réveillais l'après-midi. C'était également la première fois que je ne ressentais pas cette sourde culpabilité d'être un bon à rien, un paresseux qui passait la nuit à faire la java et dormait le jour. On ne rigolait pas avec ça chez moi. La journée devait commencer tôt et être bien remplie.
Les parents de Pierre s'étaient absentés. Nous avalâmes les restes des repas de la semaine qui se trouvaient dans le réfrigérateur. Les discussions de la veille se mélangeaient dans ma tête. Les mots que je m'étais juré de retenir s'étaient pour la plupart envolés. Les idées qui m'avaient rendu intelligent se brouillaient à présent. Je n'osais pas leur en parler et je me demandais s'il en était de même pour eux.
Les parents rentrèrent. Il fallait partir pour le lycée. Le voyage fut silencieux. Chacun redoutait cette soirée du dimanche, toujours mélancolique et parfois douloureuse. Un dimanche soir d'interne.
Nous étions une petite dizaine, répartie en deux tables pour le dîner. Peu de mots, peu d'appétit et l'envie inhabituelle de se coucher tôt. Mon lit se trouvait au centre d'une rangée de douze. Claude était mon voisin, Pierre dormait dans une autre rangée.
Un sentiment de vide me submergea soudain. Pourquoi étais-je si triste ? Je me persuadais que ce monde ne serait jamais mien, qu'il resterait inaccessible. Que les mots si beaux de la veille étaient à jamais perdus. Je me mis sur le dos et forçais mon attention sur les événements du week- end. Je tentais de me repasser chaque scène, chaque regard échangé, chaque attitude qui petit à petit me ramenaient dans la situation vécue. Des idées se formèrent. Elles prenaient la voix de leurs auteurs, elles fumaient, buvaient, riaient et se développaient parfois au ralenti. Les mots revenaient peu à peu mais leur sens était encore incertain. Peu m'importait car la matière était là. Il suffisait de la malaxer, de forcer sa mémoire et le film se déroulait. Je devais sourire. Je dormis comme un bienheureux.
Le dîner se composait d'une tranche de bœuf épaisse, grasse, rouge que j'avais envie de dévorer à pleine bouche. Sa mère était prof de philo. Ses formes monumentales étaient recouvertes d'un gigantesque poncho de patchwork de laine. Son père était le directeur du musée. Son énorme tête rouge, ses cheveux longs, sa barbe blanche désordonnée et ses vêtements fripés foulaient aux pieds l'idée que je me faisais d'un directeur de musée. Les discussions me passaient légèrement au dessus de la tête. Trop de mots aux sens lointains ou de références culturelles, alors que les miennes se limitaient aux œuvres étudiées en classe et aux films de Bruce Lee. Nous buvions du vin et nous fumions en mangeant. Je sortis de ce repas métamorphosé. J'étais plus intelligent ! J'avais côtoyé des personnes capables de discuter de n'importe quel sujet. Elles y puisaient des questions qui ne m'avaient jamais effleuré l'esprit et se permettaient de rire de tout. Comment était- ce possible ?
Dans la chambre que nous regagnâmes en titubant d'ivresses diverses, Pierre posa un album de Klaus schulze sur la platine et nous nous étendîmes sur l'ours mort. Tout en faisant tourné un pétard que nous nommions joint, nous nous demandions si la sagesse était un but ou un chemin. La nuit s'étira lentement dans cette ambiance que mon éducation réprouvait mais à laquelle mon âme aspirait. A chaque instant je ressentais les modifications, les troubles, les espoirs que cette soirée suscitait. Je pourrais peut-être devenir comme eux : trouver les mots indiscutables qui expriment parfaitement ce que je pense.
J'ai du m'endormir sur ce genre de rêve. Ce voyage en tête inconnue dans lequel je bondissais d'une idée géniale à une autre plus sublime encore. Mes amis étaient des frères de philosophie et le monde était en passe de connaître un grand bouleversement de la pensée.
C'était la première fois que je me réveillais l'après-midi. C'était également la première fois que je ne ressentais pas cette sourde culpabilité d'être un bon à rien, un paresseux qui passait la nuit à faire la java et dormait le jour. On ne rigolait pas avec ça chez moi. La journée devait commencer tôt et être bien remplie.
Les parents de Pierre s'étaient absentés. Nous avalâmes les restes des repas de la semaine qui se trouvaient dans le réfrigérateur. Les discussions de la veille se mélangeaient dans ma tête. Les mots que je m'étais juré de retenir s'étaient pour la plupart envolés. Les idées qui m'avaient rendu intelligent se brouillaient à présent. Je n'osais pas leur en parler et je me demandais s'il en était de même pour eux.
Les parents rentrèrent. Il fallait partir pour le lycée. Le voyage fut silencieux. Chacun redoutait cette soirée du dimanche, toujours mélancolique et parfois douloureuse. Un dimanche soir d'interne.
Nous étions une petite dizaine, répartie en deux tables pour le dîner. Peu de mots, peu d'appétit et l'envie inhabituelle de se coucher tôt. Mon lit se trouvait au centre d'une rangée de douze. Claude était mon voisin, Pierre dormait dans une autre rangée.
Un sentiment de vide me submergea soudain. Pourquoi étais-je si triste ? Je me persuadais que ce monde ne serait jamais mien, qu'il resterait inaccessible. Que les mots si beaux de la veille étaient à jamais perdus. Je me mis sur le dos et forçais mon attention sur les événements du week- end. Je tentais de me repasser chaque scène, chaque regard échangé, chaque attitude qui petit à petit me ramenaient dans la situation vécue. Des idées se formèrent. Elles prenaient la voix de leurs auteurs, elles fumaient, buvaient, riaient et se développaient parfois au ralenti. Les mots revenaient peu à peu mais leur sens était encore incertain. Peu m'importait car la matière était là. Il suffisait de la malaxer, de forcer sa mémoire et le film se déroulait. Je devais sourire. Je dormis comme un bienheureux.