La nuit noire

Psychologue du Travail et des Organisations, Écrivain et Blogueur.

— Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux, fit-t-il, tout tremblant, ruisselant de sueur et le nez coulant.
Coup d’œil dans le rétroviseur
Françoise d’Almeida était au bord du gouffre cet après-midi-là. Une peur atroce la faisait transpirer et trembler comme une feuille. La voiture qui la transportait venait de s’arrêter. Où l’avait-on amené ? Si au moins ces gens avaient daigné lui enlever le bandeau des yeux en cours de route !
— Allez, descendez ! entendit-elle d’une voix clairement menaçante.
— Je vous en supplie, laissez-moi partir ! pleurnichait-t-elle lorsqu’une main la tira hors de la voiture.
On la fit entrer dans un entrepôt où elle fut pieds et poings liés à une chaise. Ses ravisseurs ressortirent de l’entrepôt en fermant bruyamment la porte derrière eux. Elle sentit néanmoins qu’une personne était restée pour la surveiller.
— Que me voulez-vous ? Je suis une grande vigneronne, vous savez ? Je peux tout vous donner. Laissez-moi juste partir !
— Arrêtez de pleurnicher et fermez-là un moment, vous voulez ? Je n’ai même pas le droit de vous parler.
— Je dormais tranquillement dans mon lit, mon Dieu ! Pourquoi vous...
— J’ai dit la ferme ! s’emporta l’autre en l’assommant avec une énorme gifle.
Deux heures passèrent. Elle se réveilla et se débattit sur sa chaise.
— Pourquoi ne me laissez-vous pas voir votre visage ? Vous manquez de cran, c’est ça ?
— Vous ne savez rien de moi. Je n’hésiterai pas à vous coller une balle si vous me faites chier ; c’est clair ?
— C’est ça ; vous êtes un vrai lâche ! Regardez vous-même, je suis une femme, qui plus est, attachée à une chaise ; et pourtant vous n’osez pas me regarder dans les yeux.
Il lui arracha le bandeau des yeux. Françoise resta bouche bée lorsqu’elle s’aperçut que l’homme n’était en fait que celui qui lui avait changé la roue crevée de son véhicule sur le chemin rouge.
En effet, Françoise avait ce matin-là reçu une aide des plus précieuses. Un jeune homme du nom d’Arthur lui était venu au secours alors que son véhicule était en panne au beau milieu du chemin rouge. Ce chemin était réputé pour faire disparaître les gens. La rumeur courait que les malfrats enlevaient les personnes qui s’y aventuraient et vendaient leurs organes aux plus offrants. Après les présentations, Arthur, refusant toute offre en échange de son aide, avait provoqué une incroyable joie chez Françoise. Celle-ci lui avait même fait un bisou avant de s’éclipser.
— Seigneur ! fit Françoise. Comment un homme aussi aimable que vous se retrouve mêlé à un enlèvement ?!
— Quoi qu’on fasse, des personnes comme vous s’en foutront toujours des gens comme moi, voilà comment ! hurla-t-il. Il y a seulement quelques heures de cela, je vous ai apporté mon aide dans un endroit où vous étiez probablement en danger ! Et vous n’avez même pas reconnu ma voix ! Le pire, c’est que j’en étais persuadé avant même d’ouvrir la bouche. Vous étiez d’ailleurs aux anges ce matin quand j’ai affirmé ne rien vouloir en contrepartie de mon aide, malgré toute la fortune que vous devez avoir !
Françoise n’en revenait pas.
— Alors, vous...vous avez organisé tout ça pour me faire payer, c’est ça ?
— Croyez-le ou non, ce coup n’était pas mon idée. J’ai été juste recruté en ligne comme les autres. Personne n’a jamais vu la patronne. Tant mieux si la victime est une narcissique dans votre genre.
— La patronne ? C’est donc une femme qui est derrière tout ça ?
— Que croyiez-vous ? Sale effrontée de vigneronne !
Françoise fit la mine piteuse.
— Vous vous trompez énormément sur mon compte !
— Ah oui ? Dans ce cas, dites-moi comment je m’appelle ! Je vous ai bien donné mon nom ce matin, non ?
Elle le regarda tristement, les larmes aux yeux et dit :
— Vous vous appelez Arthur ; et vous êtes la plus belle personne que j’ai rencontrée de toute ma vie. La plupart de ceux que je rencontre ne s’intéresse qu’à mon argent, vous savez ? Vous m’avez montré ce matin que tous les hommes ne sont pas pareils. J’ai été tout de suite séduite. C’est pourquoi avant de vous quitter, j’ai glissé ma carte dans votre poche. J’espérais que vous me rappelleriez.
Arthur resta bouche bée à son tour. Il mit la main dans la poche de sa chemisette et y sortit effectivement la carte de Françoise.
— J’hallucine !
— J’ai failli épouser quelqu’un l’année dernière, mais il a finalement disparu avec une bonne partie de ma fortune. Aucun homme ne m’a jamais vraiment aimé. C’est fou comme j’ai toujours eu l’impression d’être maudite.
Arthur la regardait complètement désemparée, tellement ses yeux inondés de larmes reflétaient de la pitié ! Il lui délia les liens. Françoise, surprise, arbora un air d’incompréhension lorsqu’il saisit délicatement sa tête, la fixa un instant puis entraîna ses lèvres dans un tendre baiser.
— On peut se tutoyer ?
Françoise fit oui de la tête.
— Tu n’es pas maudite, Françoise d’Almeida.
Il l’entraîna ensuite vers le sol et ils y firent l’amour.
Environ une heure plus tard, Arthur se réveilla.
— Hé, princesse, il faut y aller !
— Quoi ! fit Françoise en se réveillant.
— Des hommes seront bientôt là pour te soutirer des informations pouvant leur permettre d’accéder à tes biens. Il faut que nous partions maintenant !
Ils sortirent de l’entrepôt et coururent vers une petite forêt à l’ouest. Un moment après, ils étaient à l’abri au pied d’un manguier, dégustant amoureusement ses fruits. A quelques mètres de l’arbre, ils tombèrent sur une rivière. Françoise courut vers l’eau et invita Arthur à plonger avec lui.
— Non, princesse, il faut avertir la police. Les autres doivent en ce moment-même nous chercher !
La dame feignit d’abdiquer ; mais elle le poussa dans la rivière, le rejoignit tout en ricanant et l’invita à faire l’amour une seconde fois.
Il sourit et ne se fit pas prier.
A peine sortaient-ils de l’eau qu’ils aperçurent trois hommes et une femme, tous armés, marchant dans leur direction.
Ils coururent se cacher. Françoise s’enquit :
— L’organisation recrute aussi des femmes ?
— Pas que je sache. Celle-là peut très bien être la patronne. On l’a souvent décrite comme étant très belle mais sans pitié. Tu dois être vraiment importante pour la faire sortir de sa cachette !
Arthur finissait à peine sa phrase qu’il sentit une arme pointée sur sa nuque. Il leva les deux mains et se leva doucement. Françoise s’écarta un peu de son côté et leva aussi les mains. Arthur se retourna brusquement, frappa l’arme de la main de l’agresseur. Celle-ci retomba devant Françoise. Elle la ramassa et la pointa dans leur direction.
— Fais attention, Françoise ! Vise-le bien avant. Je pourrais prendre la balle sinon.
Les quatre autres qu’ils fuyaient arrivèrent à leur niveau. Ils dépassèrent Arthur, s’arrêtèrent devant Françoise et firent avec révérence :
— Bonsoir, patronne.
Ils allèrent ensuite tous la rejoindre, laissant Arthur seul face à eux. Stupéfait, le jeune homme avait la bouche ouverte et les yeux grandement écarquillés. Son cœur battait à tout rompre. C’était incroyable ce qu’il se passait là ! Celle avec qui il venait de faire l’amour à deux reprises, celle qu’il protégeait au péril de sa propre vie, se trouve être la patronne en personne ?!
— Tu ne vas pas me tuer !
— Je suis la patronne, Arthur. Et tu as vu mon visage. Je fais toujours ce qu’il faut. Il me faut des gens loyaux pour un coup du siècle. Ceci était un test de recrutement ; et tu as largement échoué.
Arthur laissa une larme couler sur la joue droite.
— Tu as tout organisé depuis le chemin rouge ?!
La patronne fit signe à un de ses fidèles qui assomma Arthur d’un coup sec sur la nuque. On le traîna à l’entrepôt où on l’enferma dans un coffre. Un instant après, il était réveillé, coincé dans la boîte.
— Oh, mon Dieu ! Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux, fit-t-il, tout tremblant, ruisselant de sueur et le nez coulant.
— Adieu, Arthur.
Le coffre fut à l’instant-même enflammé.
— Non... ! cria-t-il de toutes ses forces en ouvrant brusquement les yeux et haletant.
Ce n’était qu’un rêve.