La Fureur de Vivre

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Oh seigneur

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Quand on rencontrait Dannie, on savait d'avance que les emmerdes n'étaient pas loin. La règle était simple : soit on mettait un genou à terre, soit on se tenait debout, à ses côtés. Rien de plus, rien de moins. Il fallait juste savoir où on voulait se trouver. Mais avec ce genre de nana, ce n'était pas aussi simple. Et la décision nous revenait rarement.

Dans l'usine désaffectée résonnait la clameur. La foule était déchaînée. C'étaient des lions affamés de chair et de sang, qui s'impatientaient du spectacle. Eden, lui, n'avait nullement envie que ça commence. Encore moins que ça se finisse. Il n'était pas du genre à avoir froid aux yeux, mais lorsqu'il s'agissait de Dannie, ses couilles se faisaient la malle. Malgré la répugnance à la voir dans cet endroit sordide, il venait. S'il ne pouvait l'en empêcher, il devait au moins s'assurer qu'elle n'était pas trop amochée.

Quand Dannie s'exposa enfin à la lumière, les cris redoublèrent. Eden resta impassible mais la colère et l'inquiétude martelaient son crâne. Encore une fois, la nuit s'apprêtait à être longue. Un cauchemar sans fin.

Dannie monta sur le ring. Elle enfila ses gants. Aucune protection sur son corps. Juste un survêt' ample qui facilitait ses mouvements. À la foule en délire, elle lui donna un sourire insolent. Toujours le même, celui qui en disait long sur son état, ses pensées. Tout comme eux, elle avait envie de sentir la chair meurtrie sous ses doigts. L'odeur du sang. C'était comme une drogue : elle avait un besoin irrépressible de frapper. Encore et encore.

Elle n'avait pas besoin de le voir pour savoir qu'il était là, à la toiser depuis les gradins. Quand leurs regards se croisèrent, elle en eut mal au cœur. Comme si c'était le moment. Dannie détestait sa présence ici. Elle détestait qu'Eden soit spectateur de sa chute. De sa folie. Elle détestait par-dessus tout la lueur enragée qui régnait dans ses iris sombres. Oh oui, ça elle l'avait toujours su : au même titre qu'Eden l'aimait, il haïssait ses combats illégaux.

La sonnerie, stridente, se répercuta sur les murs. Elle se détourna de lui.

Que le match commence !

Son adversaire était un homme. Large d'épaules, il devait peser trois fois son poids. Il s'appelait Rider. Dannie le connaissait pour l'avoir déjà vu combattre, et elle n'était pas certaine de s'en sortir sans une ou deux côtes cassées.

Ils se tournaient autour. Ils s'observaient. S'analysaient. Tentaient de savoir quand donner le premier coup. Quand passer à l'offensive.

Dannie se sentait bien. Dans son élément. Elle était à sa place, quand bien même tout le monde essayait de lui prouver le contraire. L'adrénaline palpitait dans ses veines. La fureur de vivre, de vaincre, détendait ses muscles. Bordel, c'que c'était jouissif d'être là !

Un uppercut prit en pleine face arrêta net ses pensées.

— Alors gamine, on trinque ? ricana le boxeur.

L'euphorie l'envahissait. Elle allait rendre coups sur coups. Rider tentait de la maîtriser au sol mais on ne peut maîtriser celle qui en veut à la vie. D'un coup de pied dans le ventre, elle se dégagea. Dannie, dans sa rage, lui asséna un crochet du droit qui envoya l'autre dans les filets. Ne jamais sous-estimer son adversaire.

Oh oui, pour être en colère, Dannie l'était. Elle commençait à l'envelopper, lentement. Elle voyait rouge. La haine l'aveuglait. C'était chaque fois le même scénario : chaque coup qu'elle prenait alimentait l'ombre tapie en elle. Elle grandissait. Grandissait. Grandissait. Jusqu'à ce que son adversaire ne soit plus un homme.

Mais la vie elle-même.

Dannie s'était redressée. Elle était somptueuse. Sauvage. Indomptable. Elle était debout face à ce colosse. Elle était debout face à la vie. Même dans les coups durs, même quand elle se prenait un coup de poing dans l'œil, elle n'avait jamais courbé l'échine. La vie ne l'avait pas épargnée ? Soit. Elle allait lui en faire voir de toutes les couleurs aussi.

Elle désirait mettre la vie à terre. La faire plier à ses pieds. Dannie voulait lui faire payer ce qu'elle avait enduré. Elle restera toujours debout lorsque la vie tentera de la lui faire à l'envers. De la mettre à terre par K.O. Dannie avait la rage de vivre. Mais Dannie avait aussi la rage contre la vie.

Mais défier la vie n'est pas sans conséquence. À trop jouer avec elle, on finit par se brûler les ailes.

Eden connaissait l'âme obscure de Dannie. Celle qui avait soif de vengeance. Il savait qu'à cet instant précis, c'était sa vie à elle qu'elle combattait sans relâche. Mais noyée dans sa haine, elle ne vit pas le couteau que sortit son assaillant. Trop tard.

La lame s'enfonça dans son abdomen. Le sang jaillit. Eden grinça des dents et se leva. Dans les combats clandestins, il n'y avait aucune règle. Aucune loi. La vie venait, encore une fois, de gagner la partie.

— Les flics vont débarquer ! hurla quelqu'un.

La panique enfla dans la foule qui se précipita vers la sortie. Eden allait à contre-courant. Il était décidé à retrouver Dannie et l'emmener loin d'ici. S'ils se faisaient prendre, ils risquaient la taule. Et cette option ne l'enchantait guère. La boxeuse était genou à terre. Elle ne pleurait pas. Ne se plaignait pas. Mais elle contractait les poings. Dannie était terrassée. La vie lui avait porté le coup fatal. Il savait qu'elle était à deux doigts de se déclarer vaincue.

Mais comme je le disais plus haut, quand on rencontrait Dannie, on savait d'avance que les emmerdes n'étaient pas loin.

La règle est simple : soit on met un genou à terre, soit on se tient debout, à ses côtés. Rien de plus, rien de moins. Il faut juste savoir où on veut se trouver. Mais avec ce genre de nana, ce n'est pas aussi simple. Et la décision nous revient rarement.

Mais aujourd'hui, je décidais. Je l'aimais à en crever cette nana. Alors je mis un genou à terre et l'aidai à se relever. Voilà, j'avais pris ma décision. Quand elle tomberait, je tomberais aussi. Mais je serai là pour la remettre sur ses deux pieds et on avancera ensemble. Debout face à la vie, quoi qu'il arrive.

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