La coiffeuse et le gynéco

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  • Littérature générale
Vous avez raison, le titre de cette histoire n'est pas très sexy, on aurait du mal à en faire un Disney ou un Pixar. Pourtant ne vous méprenez pas, c'est une belle histoire d'amour, de celles qui font soupirer, de celles qui font frémir. Elle vaut largement ses quatre minutes de lecture, vous ne les regretterez pas. Il y avait cette coiffeuse, donc, et ce gynéco. Ils se plaisaient follement. On peut même dire qu'ils s'aimaient d'un amour éperdu. Mais secret. Car ils ne se voyaient que dans le cadre de leurs obligations professionnelles, et les seuls mots qu'ils échangeaient ne concernaient que des histoires capillaires ou utérines. C'était donc loin d'être gagné pour faire germer entre eux l'embryon d'une romance. Dans un film oui, dans un film à l'eau de rose ça se ferait tout seul. Le beau médecin dirait à sa patiente : « Je vous prescris des cachets trois fois par jour... et un verre avec moi ce soir au petit restaurant en bas de la rue » avec un sourire d'une blancheur aveuglante et ce serait parti, boum, le premier rendez-vous, les fleurs, tout le tralala. Il la ferait rire, elle rirait, il rirait, le serveur rirait, ce serait hilarant. Puis la conversation dériverait sur leurs blessures affectives passées, ce qui les ferait par un raccourci aussi curieux qu'inéluctable sauter le dessert pour passer directement à la scène de sexe torride à même la moquette de son appartement. Mais là c'était la vraie vie, et ce genre d'approche brutale aurait sonné aussi glauque qu'incongru dans la bouche de notre héros. Faut dire que le baratin, ce n'était pas trop son truc à ce gynéco. Et vu qu'elle n'avait aucune prédisposition pour la séduction... Vous voyez le topo : il aurait pu se faire cinquante brushings et elle cinquante palpations, jamais ils n'auraient brisé la glace des politesses d'usage, ce putain de plafond de verre de frustration inamovible. Pourtant ! Un jour, l'improbable miracle eut lieu.

C'était l'aube. Une aube grise et froide d'un mois où il fait gris et froid. Novembre ? Février ? Peu importe. Il était entré chez la coiffeuse avec l'intention de se faire une coupe simple homme. Comme tous les mois depuis dix ans. Il y avait du monde ce jour-là, il y avait toujours du monde chez la coiffeuse. D'ailleurs elles étaient trois. Trois coiffeuses, toutes habillées pareil, des professionnelles qui s'y connaissaient pour tailler le bout de gras sans couper le cheveu en quatre, voire vice-versa. Bien sûr, le gynéco n'avait pas craqué sur les trois, non, juste sur celle qu'il avait également comme patiente dans son cabinet. Mais ça n'avait aucun rapport, enfin je crois. Bref. Ce jour-là, coup de chance, il avait hérité de son aimée pour lui caresser les poils du crâne. Moi j'étais dans le fauteuil d'à côté, occupé à me faire raser la boule à zéro suite à un bête pari perdu. Voilà pour le décor.

Leur conversation commença de façon très ennuyeuse. Pour tout vous avouer, je n'ai pas ressenti la tension sexuelle tout de suite. Mais, en tendant l'oreille, j'ai commencé à percevoir les signes : la gravité qu'ils mettaient involontairement à formuler chaque banalité, les ponctuations pleines de désir réprimé qui s'éternisaient à la fin de leurs phrases... Et puis comme ça, de but en blanc, sans qu'il l'ait vraiment décidé, il lui a dit :
— Vous êtes sublime. 

Et là je vous jure, tout le salon de coiffure s'est tu. Instinctivement, clients et coiffeuses avaient perçu la singularité qui venait de se produire et avaient suspendu leurs mouvements comme un troupeau de biches face aux phares d'une voiture. La fille qui s'occupait de moi avait arrêté net la tondeuse en plein milieu de ma nuque. Mais je m'en foutais. La scène qui était en train de se jouer sur le fauteuil d'à côté m'avait happé, moi aussi.

Bien sûr, le gynéco s'était rendu compte de l'énormité de sa déclaration et déjà il s'apprêtait à bredouiller des excuses confuses. Mais elle fut plus prompte :
— Moi je vous trouve... magnifique.

Il se passa bien une minute sans qu'une mouche ne volât, sans qu'une respiration ne fût reprise ou échangée dans le salon. Nous étions tous pendus à ce rare moment de romantisme ingénu, ciseaux et peignes en l'air, oreilles tendues à nous en faire des lobes liftés. Tout naturellement, la suite de leur conversation se fit en vers.

— Madame vous n'êtes pas sérieuse, je ne suis qu'un rebut.
— Que nenni, vous me plaisez beaucoup, vous m'avez toujours plu.
— Vous avez le nez dans mon hideux début de calvitie !
— Et alors ? Vous avez bien vu ma vulve défraîchie.
— Vous nagez dans mes pellicules, mes pilosités nasales...
— Vous avez contemplé mon herpès génital !
— Ne sentez-vous donc point mon haleine de chacal ?
— Est-elle vraiment pire que mes senteurs vaginales ?

À ce stade, ce furent le bruit et l'odeur qui interrompirent la conversation. En effet, tous les occupants du salon, moi y compris, s'étaient mis à vomir d'une seule gerbe. Le romantisme ingénu c'était bien beau mais on en était encore à l'heure du café-croissant, bordel ! Je peux vous affirmer qu'aucun estomac, qu'aucun petit-déjeuner ne fut épargné par cet échange d'amabilités. Mais ils s'en foutaient, bien sûr. La connexion inespérée était faite et ils se tamponnaient le coquillard de ce que le reste du monde pouvait en penser. Alors que les occupants du salon se remettaient de leur nausée, le gynéco se leva et prit la main de sa belle. Émus, ils se mirent en marche et, esquivant d'un même pas les flaques de vomissures, ils sortirent affronter l'aube et toutes les choses de la vie.

Sympathique, pas vrai ? Je vous avais dit que vous ne le regretteriez pas. Comment ? Vous en voulez plus ? Bon, très bien, installez-vous confortablement... Je vais maintenant vous raconter l'histoire du boulanger et de la proctologue.

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