Un jeune acacia trône au centre de son jardin. André l'adore. Le contempler peut constituer pour lui une activité à part entière. Il lui parle, le touche, s'en occupe. Il le considère comme un... [+]
Un clignotement pourpre dans les ténèbres. Stan fume une cigarette sur le trottoir, sous l'enseigne du bar-tabac. Souvenirs d'une époque révolue. Une alarme stridente retentit. Stan se réveille. Pas de fumée, mais quelle chaleur. L'alerte rouge est déclenchée. Il se redresse. Une fine pellicule de sueur recouvre son corps émacié, et parsemé de plaques écarlates. Il se lève. La tête appuyée sur les barreaux de sa cellule, il guette un quelconque signe d'activité dans la coursive. Rien. Il aperçoit la main tatouée de son voisin.
- Hé, Max... C'est quoi ce bordel ?
- Aucune idée, mec. Un gardien est passé en courant il y a dix minutes. C'est tout ce que j'sais. Vu le four que c'est ici, j'pencherais bien pour un incendie.
Plus loin dans le couloir, un codétenu crie :
- Gardien ! La clim' !
Des rires lui répondent, d'autres se mettent à gueuler à sa suite. "Un ventilo, putain !"
Stan s'assoit. Il ne croit pas trop à l'incendie. Pas de flammes, pas de fumée... Dans l'espace, on connaît le danger du feu, et les systèmes de sécurité des vaisseaux sont contrôlés toutes les semaines, si ce n'est tous les jours. Une panne électrique est envisageable, mais contrairement à l'idée reçue, elle entraînerait une coupure du chauffage, et non d'éventuels climatiseurs : ils seraient tous en train de se geler les miches à l'heure qu'il est. Sauf s'ils se rapprochaient du soleil...
Dix nouvelles minutes s'écoulent. La touffeur s'intensifie. D'ailleurs, ses compagnons d'infortune ont cessé de s'agiter. L'alerte continue de lui vriller les tympans à intervalles réguliers.
- Hé, Stan ?
- Ouais ?
- J'crois qu'ils ont coupé l'eau... Tu peux vérifier si ça coule de ton côté ?
Il se retourne sur son lit, dans une économie maximale de mouvements, pour activer le robinet. Trois gouttes s'en échappent, puis plus rien. Il prend une longue inspiration pour garder son calme. Il vérifie sa bouteille : il lui en reste la moitié.
- C'est coupé chez moi aussi. Tiens, prends quelques gorgées, mais vas-y mollo, on sait pas quand ils vont la rétablir.
Il lui tend sa flasque à travers les barreaux.
- Merci vieux... La vache... Tu vois pas qu'on y reste ? Ce serait ballot, quand même... Juste avant une réintégration.
- Ouais...
Stan préfère ne pas y penser. Crever de chaud dans la dernière ligne droite. Ce serait d'une féroce injustice, et d'une ironie mordante, après 17 ans de travaux forcés sur une planète glacière. Non, le destin ne s'acharnerait pas sur lui à ce point. Il a payé sa dette, ils voyagent vers la Terre, il va bientôt revoir sa fille. Et qui sait, peut-être même qu'il est grand-père, maintenant. Ils en avaient ri avec Sybellius. Il se demande d'ailleurs si son pote va s'en sortir. Sa crise d'hier les avait tous impressionnés : ses hurlements, son visage déformé par la douleur, son corps plié en deux. C'était le deuxième atteint depuis le départ de Ganymède, sans compter les trois au confinement pour fièvre.
Des pas rapprochés l'arrachent à ses pensées. Deux gardiens passent en courant dans le couloir. Il tente de les interpeller.
- Gardiens ! Qu'est-ce qui se passe ? Dites-le nous, c'est nos vies, bordel !
Pas de réponse. Une goutte de sueur lui brûle les yeux. Il s'éponge le front. Il fait plus de 40 à présent, et les signes sont préoccupants. Deux minutes après, il perçoit de nouvelles enjambées dans le couloir. Max lui souffle : "prépare-toi !" Dans l'instant suivant, sa main surgit de la cellule et saisit la cheville du maton en pleine course. Avec l'élan, il s'effondre devant Stan, qui l'empoigne par le col. Les jambes en appui contre la grille, il le tire vers lui avec force, et lui écrase la tête contre la porte métallique. Il l'attrape alors derrière la nuque et lui comprime le visage contre les barreaux. Les dents serrées, il ordonne :
- Ouvre, ou j'te crève !
Le geôlier s'exécute en se contorsionnant. À peine la porte ouverte, Stan le projette contre le mur. Puis l'enchaînement classique : direct du droit dans le nez, crochet du gauche au foie. Il s'empare ensuite de son pistolet. La transpiration suinte de tous les pores de sa peau. L'homme lève la main vers lui.
- Fais pas le con, Stan...
- J'en ai pas l'intention. On va juste aller faire un tour, toi, moi, et quelques amis. Commence par me raconter ce qui se trame à bord de ce vaisseau.
- J'en ai pas la moindre idée, je te le jure.
Mutinerie : Remise en cause vigoureuse de l'autorité au sein d'un groupe réglé par la discipline.
Ils sont bientôt une cinquantaine de prisonniers à parcourir les coursives de l'Ikarus en direction du poste de pilotage. Tous les captifs devant lesquels ils passent, et dont l'état de forme le permet, rejoignent le groupe.
La cage de l'escalier B est une étuve, la chaleur y est insoutenable. La horde se réduit, des hommes s'évanouissent, d'autres les soutiennent, et certains abandonnent purement et simplement leur course en s'asseyant sur les marches, à bout de souffle. En tête du groupe, la bouche sèche, la respiration rauque, Stan stoppe soudain la procession d'un signe de la main. Des détonations retentissent. Elles viennent de la passerelle de commandement, leur destination. Ils poursuivent leur progression, jusqu'à parvenir à la plate-forme d'accès.
Là, le spectacle est saisissant. Une quarantaine de gardiens et membres d'équipage, ne leur portant strictement aucune attention, tentent en vain d'ouvrir les portes de la timonerie, poussant, tirant, frappant.
Assis au sol, l'un des techniciens regarde ces hommes, l'air absent, résigné. Stan l'interpelle.
- Qu'est-ce qui se passe, ici ?
- Vous ne comprenez pas ? Nous nous précipitons vers le Soleil. C'est terminé. Trop tard. Même en déviant maintenant...
Soudain, un éclat extrême les aveugle. Les portes ont cédé. Au travers de la coupole d'observation du poste de commandement, la fusion perpétuelle de leur étoile, les arabesques embrasées d'éruptions solaires infinies. L'Ikarus fond bel et bien sur l'Astre.
Les rétines brûlent, les corps s'affaissent. La vision trouble, Stan observe la scène. L'amiral et l'une de ses escortes gisent au sol, au poste de pilotage, les armes à la main. À proximité sont étendus les corps d'autres gardes prétoriens. C'est ici qu'a eu lieu la véritable mutinerie, celle qui a compté, celle qui a décidé de leur destin. Mais qui a échoué.
Stan s'approche alors de l'amiral que la vie ne semble pas avoir totalement abandonné. Il se penche vers le visage déterminé.
- Pourquoi ?
Dans un souffle, le vieil homme répond :
- Pour sauver notre espèce.
Cinq heures auparavant, l'amiral recevait le rapport de l'équipe scientifique à bord de l'Ikarus.
Voici un extrait de ce rapport.
"L'activité humaine sur Ganymède a entraîné la fonte d'une partie du pergélisol, libérant un virus jusqu'alors inconnu. Nous l'avons baptisé CT-01. Le Cheval de Troie.
Il pénètre l'organisme par les voies respiratoires, ce qui le rend particulièrement contagieux. Il infecte ensuite les cellules du foie. Il se dissémine alors dans l'organisme via les hématocytes, se soustrayant ainsi à la surveillance du système immunitaire. Sa multiplication est par conséquent extrêmement rapide, et provoque des dégâts cellulaires irréversibles. Des petites taches rouges à peine visibles apparaissent sur divers endroits du corps. S'ensuivent une fièvre de quelques jours, légère à forte en fonction du métabolisme du sujet, et une période de latence des symptômes, avec une amélioration illusoire de l'état du patient, durant de un à trois jours. Puis la destruction cellulaire se manifeste, entraînant un dysfonctionnement de la moelle épinière, et une tornade immunitaire : l'organisme acculé détruit à la fois les cellules infectées et les cellules saines. Les vaisseaux sanguins deviennent poreux, les organes sont attaqués, la douleur est insoutenable. La mort survient dans les heures ou jours qui suivent.
P.S : Amiral, je me dois d'ajouter que l'ensemble des occupants de l'Ikarus est concerné par le précepte dit des 3C. Aucune issue heureuse ne peut être envisagée."
3C : Contaminés. Contagieux. Condamnés.
- Hé, Max... C'est quoi ce bordel ?
- Aucune idée, mec. Un gardien est passé en courant il y a dix minutes. C'est tout ce que j'sais. Vu le four que c'est ici, j'pencherais bien pour un incendie.
Plus loin dans le couloir, un codétenu crie :
- Gardien ! La clim' !
Des rires lui répondent, d'autres se mettent à gueuler à sa suite. "Un ventilo, putain !"
Stan s'assoit. Il ne croit pas trop à l'incendie. Pas de flammes, pas de fumée... Dans l'espace, on connaît le danger du feu, et les systèmes de sécurité des vaisseaux sont contrôlés toutes les semaines, si ce n'est tous les jours. Une panne électrique est envisageable, mais contrairement à l'idée reçue, elle entraînerait une coupure du chauffage, et non d'éventuels climatiseurs : ils seraient tous en train de se geler les miches à l'heure qu'il est. Sauf s'ils se rapprochaient du soleil...
Dix nouvelles minutes s'écoulent. La touffeur s'intensifie. D'ailleurs, ses compagnons d'infortune ont cessé de s'agiter. L'alerte continue de lui vriller les tympans à intervalles réguliers.
- Hé, Stan ?
- Ouais ?
- J'crois qu'ils ont coupé l'eau... Tu peux vérifier si ça coule de ton côté ?
Il se retourne sur son lit, dans une économie maximale de mouvements, pour activer le robinet. Trois gouttes s'en échappent, puis plus rien. Il prend une longue inspiration pour garder son calme. Il vérifie sa bouteille : il lui en reste la moitié.
- C'est coupé chez moi aussi. Tiens, prends quelques gorgées, mais vas-y mollo, on sait pas quand ils vont la rétablir.
Il lui tend sa flasque à travers les barreaux.
- Merci vieux... La vache... Tu vois pas qu'on y reste ? Ce serait ballot, quand même... Juste avant une réintégration.
- Ouais...
Stan préfère ne pas y penser. Crever de chaud dans la dernière ligne droite. Ce serait d'une féroce injustice, et d'une ironie mordante, après 17 ans de travaux forcés sur une planète glacière. Non, le destin ne s'acharnerait pas sur lui à ce point. Il a payé sa dette, ils voyagent vers la Terre, il va bientôt revoir sa fille. Et qui sait, peut-être même qu'il est grand-père, maintenant. Ils en avaient ri avec Sybellius. Il se demande d'ailleurs si son pote va s'en sortir. Sa crise d'hier les avait tous impressionnés : ses hurlements, son visage déformé par la douleur, son corps plié en deux. C'était le deuxième atteint depuis le départ de Ganymède, sans compter les trois au confinement pour fièvre.
Des pas rapprochés l'arrachent à ses pensées. Deux gardiens passent en courant dans le couloir. Il tente de les interpeller.
- Gardiens ! Qu'est-ce qui se passe ? Dites-le nous, c'est nos vies, bordel !
Pas de réponse. Une goutte de sueur lui brûle les yeux. Il s'éponge le front. Il fait plus de 40 à présent, et les signes sont préoccupants. Deux minutes après, il perçoit de nouvelles enjambées dans le couloir. Max lui souffle : "prépare-toi !" Dans l'instant suivant, sa main surgit de la cellule et saisit la cheville du maton en pleine course. Avec l'élan, il s'effondre devant Stan, qui l'empoigne par le col. Les jambes en appui contre la grille, il le tire vers lui avec force, et lui écrase la tête contre la porte métallique. Il l'attrape alors derrière la nuque et lui comprime le visage contre les barreaux. Les dents serrées, il ordonne :
- Ouvre, ou j'te crève !
Le geôlier s'exécute en se contorsionnant. À peine la porte ouverte, Stan le projette contre le mur. Puis l'enchaînement classique : direct du droit dans le nez, crochet du gauche au foie. Il s'empare ensuite de son pistolet. La transpiration suinte de tous les pores de sa peau. L'homme lève la main vers lui.
- Fais pas le con, Stan...
- J'en ai pas l'intention. On va juste aller faire un tour, toi, moi, et quelques amis. Commence par me raconter ce qui se trame à bord de ce vaisseau.
- J'en ai pas la moindre idée, je te le jure.
Mutinerie : Remise en cause vigoureuse de l'autorité au sein d'un groupe réglé par la discipline.
Ils sont bientôt une cinquantaine de prisonniers à parcourir les coursives de l'Ikarus en direction du poste de pilotage. Tous les captifs devant lesquels ils passent, et dont l'état de forme le permet, rejoignent le groupe.
La cage de l'escalier B est une étuve, la chaleur y est insoutenable. La horde se réduit, des hommes s'évanouissent, d'autres les soutiennent, et certains abandonnent purement et simplement leur course en s'asseyant sur les marches, à bout de souffle. En tête du groupe, la bouche sèche, la respiration rauque, Stan stoppe soudain la procession d'un signe de la main. Des détonations retentissent. Elles viennent de la passerelle de commandement, leur destination. Ils poursuivent leur progression, jusqu'à parvenir à la plate-forme d'accès.
Là, le spectacle est saisissant. Une quarantaine de gardiens et membres d'équipage, ne leur portant strictement aucune attention, tentent en vain d'ouvrir les portes de la timonerie, poussant, tirant, frappant.
Assis au sol, l'un des techniciens regarde ces hommes, l'air absent, résigné. Stan l'interpelle.
- Qu'est-ce qui se passe, ici ?
- Vous ne comprenez pas ? Nous nous précipitons vers le Soleil. C'est terminé. Trop tard. Même en déviant maintenant...
Soudain, un éclat extrême les aveugle. Les portes ont cédé. Au travers de la coupole d'observation du poste de commandement, la fusion perpétuelle de leur étoile, les arabesques embrasées d'éruptions solaires infinies. L'Ikarus fond bel et bien sur l'Astre.
Les rétines brûlent, les corps s'affaissent. La vision trouble, Stan observe la scène. L'amiral et l'une de ses escortes gisent au sol, au poste de pilotage, les armes à la main. À proximité sont étendus les corps d'autres gardes prétoriens. C'est ici qu'a eu lieu la véritable mutinerie, celle qui a compté, celle qui a décidé de leur destin. Mais qui a échoué.
Stan s'approche alors de l'amiral que la vie ne semble pas avoir totalement abandonné. Il se penche vers le visage déterminé.
- Pourquoi ?
Dans un souffle, le vieil homme répond :
- Pour sauver notre espèce.
Cinq heures auparavant, l'amiral recevait le rapport de l'équipe scientifique à bord de l'Ikarus.
Voici un extrait de ce rapport.
"L'activité humaine sur Ganymède a entraîné la fonte d'une partie du pergélisol, libérant un virus jusqu'alors inconnu. Nous l'avons baptisé CT-01. Le Cheval de Troie.
Il pénètre l'organisme par les voies respiratoires, ce qui le rend particulièrement contagieux. Il infecte ensuite les cellules du foie. Il se dissémine alors dans l'organisme via les hématocytes, se soustrayant ainsi à la surveillance du système immunitaire. Sa multiplication est par conséquent extrêmement rapide, et provoque des dégâts cellulaires irréversibles. Des petites taches rouges à peine visibles apparaissent sur divers endroits du corps. S'ensuivent une fièvre de quelques jours, légère à forte en fonction du métabolisme du sujet, et une période de latence des symptômes, avec une amélioration illusoire de l'état du patient, durant de un à trois jours. Puis la destruction cellulaire se manifeste, entraînant un dysfonctionnement de la moelle épinière, et une tornade immunitaire : l'organisme acculé détruit à la fois les cellules infectées et les cellules saines. Les vaisseaux sanguins deviennent poreux, les organes sont attaqués, la douleur est insoutenable. La mort survient dans les heures ou jours qui suivent.
P.S : Amiral, je me dois d'ajouter que l'ensemble des occupants de l'Ikarus est concerné par le précepte dit des 3C. Aucune issue heureuse ne peut être envisagée."
3C : Contaminés. Contagieux. Condamnés.
J'ai aimé et je me suis abonné.
C'est très joli comme histoire.
Cela pourrait bien donner lieu à un joli film.
Je vous invite à lire: "" DIGOINAISES CORPS ET ÂME""