– Maman, je peux avoir un bonbon, maintenant ?
– Enlève tes pieds pleins de boue de la couverture ! Tu vas la salir !
Daphné, en se relevant, dut plaquer son chapeau de paille sur sa tête pour que le vent ne l'emporte pas. Elle ôta ses lunettes de soleil et farfouilla dans son sac à dos à la recherche du traditionnel paquet de bonbons qui accompagnait la famille lors de chacune de ses randonnées.
– Tiens. Et donnes-en un à ta sœur, aussi.
Ethan, brandissant triomphalement les sucreries, courut vers le ruisseau, où Fiona pourchassait des grenouilles avec un bâton. Il lui tendit sa part du butin avant de s'intéresser à la sienne. Il tira sur les deux extrémités de l'emballage et la friandise tourna sur elle-même avant d’apparaître. Le garçon la décolla du plastique à l'aide de ses ongles noircis par une bonne heure de jeu dans la terre, et la fourra dans sa bouche. Quant à l'emballage, il le laissa tomber à ses pieds.
Sa sœur, elle, plaça le bonbon entre ses dents pour le croquer. Une grimace apparut sur son visage alors qu’elle forçait la carapace de sucre. Celle-ci céda avec un craquement sonore et Fiona lança le papier plastique qui lui était resté en main dans le ruisseau avant de retourner à sa chasse à la grenouille. Le petit rectangle multicolore flottait désormais à la surface, entraîné par le courant.
– Les enfants ? On y va ! Récupérez vos affaires et n'oubliez rien.
Daphné tentait de faire rentrer la couverture, les anoraks et le reste des provisions qui n’avaient pas été dévorées lors du pique-nique dans les deux plus grands sacs à dos. Mais si l'ensemble y avait tenu sans difficulté pour l'ascension, il rechignait désormais à s’y laisser comprimer. A tel point que Daphné se demanda si les sacs n'avaient pas rétréci.
Marc, pendant ce temps, terminait de photographier la dent de Crolles, le sommet qui les surplombait, avec son tout nouveau Canon EOS 6D Mark II. Cet appareil photo lui avait coûté presque la moitié de son salaire. Daphné avait ronchonné en apprenant la nouvelle. Il va l’utiliser seulement deux fois par an, avait-elle pensé, pour faire des photos pendant les vacances et les anniversaires des gamins. Mais forcément, il fallait qu'il achète le dernier cri destiné aux professionnels...
– Maman, t'as oublié un sac.
Fiona pointait du doigt un sac en plastique d'un blanc éclatant, abandonné dans l’herbe à l'emplacement-même où la famille avait pris son repas.
– Laisse. C'est la poubelle.
A peine les randonneurs eurent-ils commencé à s'éloigner sur le sentier que le vent renversa le sac, répandant son contenu dans l'herbe.
Une nouvelle bourrasque souleva le paquet de chips vide qui figurait parmi les détritus et l'envoya décorer les branches d'un arbre. Les pots de yaourt et la boîte de thon à la catalane, quant-à-eux, roulèrent sur le sol.
Le chemin qui descendait à Saint-Hilaire, où la famille avait laissé la voiture, serpentait dans la forêt parmi les sapins, les hêtres et les épicéas.
– Eh maman ! Regarde, y a une panthère !
Fiona s’était immobilisée au milieu du chemin. Ni sa mère ni son père ne prirent la peine de regarder dans la direction que son doigt pointait.
– Quoi ? Arrête de dire des bêtises. Les panthères vivent en Afrique, corrigea Daphné.
– Mais si, regarde. J’te dis qu’y a une panthère. Toute noire.
– C’est seulement un arbre. Allez, continue d’avancer.
– Il y a des loups, dans la vallée, remarqua Marc.
– Arrête de dire des choses pareilles, tu vas faire peur aux enfants.
Daphné posa sa main sur l’épaule de sa fille, dont le regard fixe ne quittait plus l’endroit où elle avait aperçu le présumé fauve, et la poussa avec insistance pour qu’elle continue à avancer. Cette forêt dense, que le soleil n’éclairerait plus très longtemps, semblait soudain bien inquiétante.
Tout en pressant le pas, Daphné se tourna pour jeter un œil dans la direction qu’avait pointée sa fille. Derrière deux arbres centenaires se trouvait un énorme rocher. Et derrière ce rocher, une tache sombre. Avec deux yeux jaunes, qui la fixaient.
Elle sursauta. Quand elle regarda à nouveau, la tache sombre était toujours là. Mais pas les yeux. Elle comprit alors que ce qu’elle avait pris pour un animal n’était en réalité que l’ombre infiltrée dans l’espace entre l’énorme rocher et un autre, plus petit.
En pensée, elle se traita elle-même d’andouille et reprit la marche. Alors qu’elle jetait un dernier regard aux rochers, elle se cogna à son mari. Celui-ci, campé au milieu du chemin, semblait paralysé. En le contournant, Daphné comprit la raison de cet arrêt brutal : sur le sentier, à une trentaine de mètre en aval, un gigantesque félin les attendait. Fiona ne s’était pas trompée, il s’agissait bien d’une panthère, même si elle était bien plus massive que ce que laissaient paraître les documentaires animaliers. En fait, ce félin ressemblait plutôt à un chat noir, mais de la taille d’un ours.
Le fauve lança à la famille un regard mauvais. Avec sa gueule, il ramassa un objet blanc devant lui, un sac, et s’avança calmement. Daphné attrapa ses enfants et s’interposa. Arrivée à environ deux mètres, la panthère lâcha le sac, qui s’ouvrit. A l’intérieur se trouvaient le paquet de chips, les pots de yaourt et le reste des déchets du pique-nique des quatre randonneurs. L’animal poussa un rugissement tonitruant à leur encontre, qui résonna jusque loin dans la vallée, puis chargea.
Daphné n’eut que le temps de fermer les yeux et mettre ses mains en bouclier. Alors qu’elle s’attendait à finir dévorée, elle ne sentit qu’un léger courant d’air. La bête avait traversé la famille sans la blesser. A présent, elle s’éloignait en bondissant sans porter plus d’attention aux humains qu’elle venait de terroriser. Marc, hagard, ramassa le sac poubelle et enjoignit ses enfants à descendre au pas de course.
La panthère, qui avait repris sa forme humaine, celle d’une jeune femme aux cheveux brun clair, les observa depuis la forêt.
– J’espère que vous avez retenu la leçon, bande d’abrutis ! marmonna-t-elle pour elle-même.
– Enlève tes pieds pleins de boue de la couverture ! Tu vas la salir !
Daphné, en se relevant, dut plaquer son chapeau de paille sur sa tête pour que le vent ne l'emporte pas. Elle ôta ses lunettes de soleil et farfouilla dans son sac à dos à la recherche du traditionnel paquet de bonbons qui accompagnait la famille lors de chacune de ses randonnées.
– Tiens. Et donnes-en un à ta sœur, aussi.
Ethan, brandissant triomphalement les sucreries, courut vers le ruisseau, où Fiona pourchassait des grenouilles avec un bâton. Il lui tendit sa part du butin avant de s'intéresser à la sienne. Il tira sur les deux extrémités de l'emballage et la friandise tourna sur elle-même avant d’apparaître. Le garçon la décolla du plastique à l'aide de ses ongles noircis par une bonne heure de jeu dans la terre, et la fourra dans sa bouche. Quant à l'emballage, il le laissa tomber à ses pieds.
Sa sœur, elle, plaça le bonbon entre ses dents pour le croquer. Une grimace apparut sur son visage alors qu’elle forçait la carapace de sucre. Celle-ci céda avec un craquement sonore et Fiona lança le papier plastique qui lui était resté en main dans le ruisseau avant de retourner à sa chasse à la grenouille. Le petit rectangle multicolore flottait désormais à la surface, entraîné par le courant.
– Les enfants ? On y va ! Récupérez vos affaires et n'oubliez rien.
Daphné tentait de faire rentrer la couverture, les anoraks et le reste des provisions qui n’avaient pas été dévorées lors du pique-nique dans les deux plus grands sacs à dos. Mais si l'ensemble y avait tenu sans difficulté pour l'ascension, il rechignait désormais à s’y laisser comprimer. A tel point que Daphné se demanda si les sacs n'avaient pas rétréci.
Marc, pendant ce temps, terminait de photographier la dent de Crolles, le sommet qui les surplombait, avec son tout nouveau Canon EOS 6D Mark II. Cet appareil photo lui avait coûté presque la moitié de son salaire. Daphné avait ronchonné en apprenant la nouvelle. Il va l’utiliser seulement deux fois par an, avait-elle pensé, pour faire des photos pendant les vacances et les anniversaires des gamins. Mais forcément, il fallait qu'il achète le dernier cri destiné aux professionnels...
– Maman, t'as oublié un sac.
Fiona pointait du doigt un sac en plastique d'un blanc éclatant, abandonné dans l’herbe à l'emplacement-même où la famille avait pris son repas.
– Laisse. C'est la poubelle.
A peine les randonneurs eurent-ils commencé à s'éloigner sur le sentier que le vent renversa le sac, répandant son contenu dans l'herbe.
Une nouvelle bourrasque souleva le paquet de chips vide qui figurait parmi les détritus et l'envoya décorer les branches d'un arbre. Les pots de yaourt et la boîte de thon à la catalane, quant-à-eux, roulèrent sur le sol.
Le chemin qui descendait à Saint-Hilaire, où la famille avait laissé la voiture, serpentait dans la forêt parmi les sapins, les hêtres et les épicéas.
– Eh maman ! Regarde, y a une panthère !
Fiona s’était immobilisée au milieu du chemin. Ni sa mère ni son père ne prirent la peine de regarder dans la direction que son doigt pointait.
– Quoi ? Arrête de dire des bêtises. Les panthères vivent en Afrique, corrigea Daphné.
– Mais si, regarde. J’te dis qu’y a une panthère. Toute noire.
– C’est seulement un arbre. Allez, continue d’avancer.
– Il y a des loups, dans la vallée, remarqua Marc.
– Arrête de dire des choses pareilles, tu vas faire peur aux enfants.
Daphné posa sa main sur l’épaule de sa fille, dont le regard fixe ne quittait plus l’endroit où elle avait aperçu le présumé fauve, et la poussa avec insistance pour qu’elle continue à avancer. Cette forêt dense, que le soleil n’éclairerait plus très longtemps, semblait soudain bien inquiétante.
Tout en pressant le pas, Daphné se tourna pour jeter un œil dans la direction qu’avait pointée sa fille. Derrière deux arbres centenaires se trouvait un énorme rocher. Et derrière ce rocher, une tache sombre. Avec deux yeux jaunes, qui la fixaient.
Elle sursauta. Quand elle regarda à nouveau, la tache sombre était toujours là. Mais pas les yeux. Elle comprit alors que ce qu’elle avait pris pour un animal n’était en réalité que l’ombre infiltrée dans l’espace entre l’énorme rocher et un autre, plus petit.
En pensée, elle se traita elle-même d’andouille et reprit la marche. Alors qu’elle jetait un dernier regard aux rochers, elle se cogna à son mari. Celui-ci, campé au milieu du chemin, semblait paralysé. En le contournant, Daphné comprit la raison de cet arrêt brutal : sur le sentier, à une trentaine de mètre en aval, un gigantesque félin les attendait. Fiona ne s’était pas trompée, il s’agissait bien d’une panthère, même si elle était bien plus massive que ce que laissaient paraître les documentaires animaliers. En fait, ce félin ressemblait plutôt à un chat noir, mais de la taille d’un ours.
Le fauve lança à la famille un regard mauvais. Avec sa gueule, il ramassa un objet blanc devant lui, un sac, et s’avança calmement. Daphné attrapa ses enfants et s’interposa. Arrivée à environ deux mètres, la panthère lâcha le sac, qui s’ouvrit. A l’intérieur se trouvaient le paquet de chips, les pots de yaourt et le reste des déchets du pique-nique des quatre randonneurs. L’animal poussa un rugissement tonitruant à leur encontre, qui résonna jusque loin dans la vallée, puis chargea.
Daphné n’eut que le temps de fermer les yeux et mettre ses mains en bouclier. Alors qu’elle s’attendait à finir dévorée, elle ne sentit qu’un léger courant d’air. La bête avait traversé la famille sans la blesser. A présent, elle s’éloignait en bondissant sans porter plus d’attention aux humains qu’elle venait de terroriser. Marc, hagard, ramassa le sac poubelle et enjoignit ses enfants à descendre au pas de course.
La panthère, qui avait repris sa forme humaine, celle d’une jeune femme aux cheveux brun clair, les observa depuis la forêt.
– J’espère que vous avez retenu la leçon, bande d’abrutis ! marmonna-t-elle pour elle-même.
https://short-edition.com/fr/oeuvre/tres-tres-court/le-sommet-des-animaux
à l'occasion passez lire mon "paysage" et les autres merci.
Je n'y manquerai pas.^^
Votre texte délivre un message qu'il faut retenir et cette famille ne l'oubliera pas .
Je crois qu'il faudra encore un moment avant que la peur de la panthère du Grésivaudan change les comportements, mais il faut bien commencer quelque-part, haha !