L’ombre d’une rencontre sur des murs interdits.
Les mots se vident la porte à peine close
Le feu s’éteint sous ton... [+]
Geneva Airport. 24 décembre. Je suis seule à prendre cet avion ou du moins à essayer. La neige s’est invitée jusque sur les pistes d’en bas. C’est beau ce blanc qui tombe sans vouloir s’arrêter, mais ça casse les ailes des avions. Ils ne peuvent plus voler et moi non plus par la même occasion. Un long-courrier d’heures que je patiente sans être traversée par le moindre agacement. Une autre chose étrange pour moi qui suis née sous le signe de l’impatience. Je ne cherche pas à comprendre. Le besoin n’est pas là. Le reste de l’Espace version années 2000 est partie par la route quelques jours auparavant, sans moi. Je devais finir mon travail, ils devaient commencer leurs vacances. Étrange cette sensation de vide ; agréable serait plus honnête. Un tête à tête avec moi-même sans qu’on me coupe la parole. Ça faisait si longtemps que mon cerveau avait oublié ce que c’est de se faire les questions et les réponses toute seule, voire de se faire la gueule et de ne pas se parler du tout.
La voix de l’hôtesse qui ne prend jamais l’air oscille à peine d’un demi-ton pour nous annoncer que les cadeaux vont avoir le temps d’une sur-congélation dans la soute à bagage. Elle résonne dans toute la salle d’attente cathédrale et vient briser définitivement ce monologue atone. Je me retrouve au beau milieu de ces vies posées entre deux destinations. Elles sont assises sur des sièges durs et froids, ou le regard collé aux immenses baies vitrées qui surplombent le tarmac ; en attente frémissante d’un départ, d’un retour, d’un ailleurs, de retrouvailles, d’espoirs. Moi je suis là, en train d’écrire des mots que j’emprisonne dans mon portable pour ne pas les laisser s’échapper, mais je n’attends rien. Je crois même que je pourrais rester un temps sans début ni fin dans cet endroit le regard vissé à mon écran tactile.
Aéroport de Genève. 24 décembre. Je suis seul à prendre cet avion ou du moins à essayer. La neige s’est invitée jusque sur les pistes d’en bas. J’ai quitté Montréal quelques heures auparavant, espérant quitter aussi son ère glaciaire. Ce ne sera pas pour cette escale. L’avion a froid, se gèle les ailes et me colle au sol par la même occasion. J’ai laissé femme, enfants, boules de neige et guirlandes de l’autre côté de l’Atlantique. Ça ne rentrait pas dans la valise. Ce devrait être une mauvaise nouvelle, mais pour être honnête ça ne l’est pas. Le besoin de se décoller de sa vie, de son quotidien, de leur peau, de leur amour pour réentendre battre un seul cœur, le mien et sans écho l’espace d’un jetlag.
La voix de l’hôtesse me casse les oreilles. Elle me suit partout, dans tous les aéroports, dans toutes les gares et c’est le plus souvent pour m’annoncer que je vais devoir m’enfoncer dans mon siège froid et dur pendant des heures sans même avoir le droit de quémander une explication. Ça devrait me mettre hors de moi, faire asseoir ma colère jusque la place d’à côté, mais non, rien ne sort. Tout est collé aux parois de mon corps, même ma bouche ferme sa gueule.
Le plafond nous apprend d’un message dépouillé que le repas de Noël est sur le point de se transformer en un sandwich sous-vide dans la zone Duty Free des pas perdus. Je ne réagis pas. L’homme assis près de moi non plus. Tous les autres se défroissent jusqu’à se lever et quitter l’attente en jetant leur colère sur les murs transparents. La salle se vide comme l’eau du bain évacuant en bas des escalators des torrents de déceptions.
Cette soudaine solitude ne me contourne pas. Je l’accueille en fouillant mon sac griffé bordel sans nom où s’entreposent des morceaux de ma vie et en sors ma dernière lecture laissée depuis la veille en suspens. Je l’ouvre et retrouve le marque page, souvenir de papier d’un moment que je ne veux jamais oublier. Je me pose tout en haut du coin gauche n°212, m’apprête à replonger dans les mots, puis prends mon élan qu’une voix masculine vient stopper net.
— Vous aimez ?
Je relève la tête et la tourne doucement dans sa direction. Une autre chute m’attire vers le vide. Vertigineux ce regard que je n’avais pas encore percuté. J’ai la quadrature bien entamée et pourtant je me retrouve comme dans une auto-tamponneuse en train de glisser sur un sol rayé par les sorties de route, bousculée de partout sans rien pouvoir retenir. Je ne choisis pas la direction, c’est elle qui m’entraîne vers les mains de celui qui réveille ma solitude. D’un ton que je ne me connais pas je réponds :
— Aimer quoi ?
— Pardon, j’oubliais l’introduction. Je parlais du livre.
— ...Ah, le livre. Oui, on peut dire que je l’aime. Et vous ? N’est-ce pas le même que... ?
— Oui, nous lisons bien le même roman. J’aime aussi. J’en suis au début du chapitre 5. Vous en êtes où ?
Entracte n°1 Je réponds.
— Je le termine.
— Vous savez donc ce que je ne sais pas encore.
— Je n’en sais pas beaucoup plus. Je n’ai que quelques phrases d’avance.
Entracte n°2. Il reprend.
— Je pourrais vous rejoindre.
— Je pourrais vous attendre.
Le ciel, imperturbable, continue de recouvrir la terre. L’avion n’a plus envie de décoller.
La voix de l’hôtesse qui ne prend jamais l’air oscille à peine d’un demi-ton pour nous annoncer que les cadeaux vont avoir le temps d’une sur-congélation dans la soute à bagage. Elle résonne dans toute la salle d’attente cathédrale et vient briser définitivement ce monologue atone. Je me retrouve au beau milieu de ces vies posées entre deux destinations. Elles sont assises sur des sièges durs et froids, ou le regard collé aux immenses baies vitrées qui surplombent le tarmac ; en attente frémissante d’un départ, d’un retour, d’un ailleurs, de retrouvailles, d’espoirs. Moi je suis là, en train d’écrire des mots que j’emprisonne dans mon portable pour ne pas les laisser s’échapper, mais je n’attends rien. Je crois même que je pourrais rester un temps sans début ni fin dans cet endroit le regard vissé à mon écran tactile.
Aéroport de Genève. 24 décembre. Je suis seul à prendre cet avion ou du moins à essayer. La neige s’est invitée jusque sur les pistes d’en bas. J’ai quitté Montréal quelques heures auparavant, espérant quitter aussi son ère glaciaire. Ce ne sera pas pour cette escale. L’avion a froid, se gèle les ailes et me colle au sol par la même occasion. J’ai laissé femme, enfants, boules de neige et guirlandes de l’autre côté de l’Atlantique. Ça ne rentrait pas dans la valise. Ce devrait être une mauvaise nouvelle, mais pour être honnête ça ne l’est pas. Le besoin de se décoller de sa vie, de son quotidien, de leur peau, de leur amour pour réentendre battre un seul cœur, le mien et sans écho l’espace d’un jetlag.
La voix de l’hôtesse me casse les oreilles. Elle me suit partout, dans tous les aéroports, dans toutes les gares et c’est le plus souvent pour m’annoncer que je vais devoir m’enfoncer dans mon siège froid et dur pendant des heures sans même avoir le droit de quémander une explication. Ça devrait me mettre hors de moi, faire asseoir ma colère jusque la place d’à côté, mais non, rien ne sort. Tout est collé aux parois de mon corps, même ma bouche ferme sa gueule.
Le plafond nous apprend d’un message dépouillé que le repas de Noël est sur le point de se transformer en un sandwich sous-vide dans la zone Duty Free des pas perdus. Je ne réagis pas. L’homme assis près de moi non plus. Tous les autres se défroissent jusqu’à se lever et quitter l’attente en jetant leur colère sur les murs transparents. La salle se vide comme l’eau du bain évacuant en bas des escalators des torrents de déceptions.
Cette soudaine solitude ne me contourne pas. Je l’accueille en fouillant mon sac griffé bordel sans nom où s’entreposent des morceaux de ma vie et en sors ma dernière lecture laissée depuis la veille en suspens. Je l’ouvre et retrouve le marque page, souvenir de papier d’un moment que je ne veux jamais oublier. Je me pose tout en haut du coin gauche n°212, m’apprête à replonger dans les mots, puis prends mon élan qu’une voix masculine vient stopper net.
— Vous aimez ?
Je relève la tête et la tourne doucement dans sa direction. Une autre chute m’attire vers le vide. Vertigineux ce regard que je n’avais pas encore percuté. J’ai la quadrature bien entamée et pourtant je me retrouve comme dans une auto-tamponneuse en train de glisser sur un sol rayé par les sorties de route, bousculée de partout sans rien pouvoir retenir. Je ne choisis pas la direction, c’est elle qui m’entraîne vers les mains de celui qui réveille ma solitude. D’un ton que je ne me connais pas je réponds :
— Aimer quoi ?
— Pardon, j’oubliais l’introduction. Je parlais du livre.
— ...Ah, le livre. Oui, on peut dire que je l’aime. Et vous ? N’est-ce pas le même que... ?
— Oui, nous lisons bien le même roman. J’aime aussi. J’en suis au début du chapitre 5. Vous en êtes où ?
Entracte n°1 Je réponds.
— Je le termine.
— Vous savez donc ce que je ne sais pas encore.
— Je n’en sais pas beaucoup plus. Je n’ai que quelques phrases d’avance.
Entracte n°2. Il reprend.
— Je pourrais vous rejoindre.
— Je pourrais vous attendre.
Le ciel, imperturbable, continue de recouvrir la terre. L’avion n’a plus envie de décoller.
Heureuse de te voir en finale, Matine :o)
Tu peux me retrouver aussi en finale avec http://short-edition.com/oeuvre/poetik/le-coq-et-le-faisan
Merci également pour l'invitation.
J'ai une pie, charmeuse mais chapardeuse, qui peut vous plaire, ici : http://short-edition.com/oeuvre/poetik/la-pie-5
Merci pour l'invitation :)
Je suis aussi en finale avec mon Cancre et le Père Noël. Si vous avez un moment pour passer les voir, ils seraient ravis... Merci pour eux.