L’incendie s’était déclaré dans la bibliothèque.
Roméo et Juliette gisaient, asphyxiés par les vapeurs toxiques. Le jeune Werthe... [+]
Dans la salle de spectacle construite par l’architecte Charles Duval en 1864, un peu d’histoire n’a jamais tué personne, assommé oui, mais tué non, dans le onzième arrondissement de Paris, se déroule en ce soir du 13 novembre 2015 un concert des Eagles, of Death Metal malheureusement, ou heureusement chacun ses goûts, encore que dans mon cas ce soit plutôt des préjugés, death metal = musique de bourrin, voyez l’ouverture d’esprit.
Caroline Langlade, une femme non-voilée, aux cheveux blonds comme les champs de blé qui ne s’étendent pas à perte de vue mais sur plusieurs milliers d’hectares, c’est déjà ça, en Bourgogne ou au nord-est de la Syrie, bouclés (les cheveux) comme les inscriptions quelques jours seulement après la mise en vente des places, est assise au balcon, du premier ou du deuxième étage, peu importe, en tout cas elle ne peut pas être en fosse, car alors Caroline n’aurait aucune chance de sortir vivante du Bataclan.
Profite-t-elle du spectacle ? C’est déjà plus délicat, elle-même n’en est peut-être pas sûre, en général ces questions-là, quand on se les pose, c’est que quelque chose manque, quoi ? quelque chose, alors il vaut mieux ne pas y penser, chut ! d’accord, j’arrête de parler.
Ca tombe bien, Jesse Hugues, le chanteur à la moustache bien fournie, secrètement je rêve un jour d’en avoir une comme la sienne, et au corps bodybuildé, ça, il ne le sera jamais, je peux toujours rêver, entonne avec le reste du groupe les premières notes de la chanson « Kiss the devil » ; quand on parle du diable, on en voit...
Prrrrrrrr, font les fusils d’assaut, j’ai toujours été très mauvais pour les bruitages, tout le monde se jette par terre, des hurlements retentissent, tout le monde sauf Caroline, plus d’autres au balcon, combien d’hommes et de femmes exactement je ne sais pas, désolé, si vous voulez arrêtez-là, vous êtes libres de partir, Caroline et allez, une quarantaine de personnes, se sont barricadées dans une loge de 9 mètres carrés, à l’aide d’un canapé et d’un frigo.
Un gorgée de Coca, un bouton en moins sur ma chemise, et je repose mes mains moites sur le clavier. Entre temps, alerté j’imagine par la sonnerie, inopportune, d’un téléphone car je ne peux pas croire qu’un soldat d’Allah, j’ai oublié de préciser l’identité des adversaires, autant pour moi, et leur nombre, ils sont trois, vêtus de noir de la tête au pied, des gothiques me direz-vous, sauf que non, ils ont une cagoule sur la tête et une ceinture d’explosifs autour du corps, je ne peux pas croire, disais-je, qu’un terroriste, puisqu’il faut bien appeler un chat un chat, puisse avoir suffisamment de neurones pour imaginer que peut-être des spectateurs se soient réfugiés dans les loges au moment des premiers coups de feu, le coup de téléphone paraît donc être ce qu’il y a de plus plausible, les premières notes du grand blond avec une chaussure noire, ou une sonnerie par défaut, l’écrivain a toujours tendance à vouloir rendre les choses plus palpitantes qu’elles ne le sont en vérité, ont résonné dans la loge, le propriétaire du téléphone a poussé des jurons, c’était plus fort que lui, en s’escrimant sur l’écran tactile qui, comme par hasard, a attendu cet instant précis, un instant dans tout une vie, pour se bloquer, ses compagnons d’infortune ont fait chuuuuut ! et en faisant cela, ont fait encore plus de bruit, le méchant, si vous voulez, les a repérés. Il ne tarde pas à donner le premier assaut, un violent coup d’épaule, ou de pied, ou encore avec la crosse de son fusil (il ne glisse pas une radio dans la porte, ça c’est sûr, ni ne compose le numéro d’un serrurier) et ramène un silence total dans la loge car après avoir gaffé, le grand blond s’est arrêté.
Trop tard, songent sans doute, dévorés plutôt que morts d’inquiétude, Caroline et ses compagnons. Peut-être réservée d’ordinaire, elle tient la porte, le canapé, le frigo, tout cela à la fois au milieu d’une forêt de bras, pousse dans le sens inverse à chaque nouvel assaut du terroriste. La jeune femme de 31 ans, je me demande si c’est une cougar, si c’en est une, il y a de fortes chances pour qu’un minet de 20 ans dans mon genre lui plaise, je note cette idée dans un coin de ma tête au cas où elle s’en sortirait, en plus elle est venue seule, je parierais donc sur le fait qu’elle est célibataire, songe qu’à force de s’entrebâiller, à chaque coup donné, la porte permet au prédateur d’estimer combien ils sont, au loup de compter les moutons.
« Eteignez-la lumière ! » crie-t-elle à l’assistance, sans réfléchir, faisant fi de son éventuelle pudeur habituelle, ou quelque chose du même acabit, sans doute est-ce seulement « La lumière ! », en tout cas elle se fait comprendre. Idem pour les fenêtres.
Un long silence se passe, durant lequel chacun tente de recouvrer ses esprits. A l’extérieur, les coups de feu ont cessé. Que se dit Caroline à ce moment-là ? Qu’ils sont tirés d’affaire ? Non, probablement pas. Avisée comme je l’imagine, comme je la fantasme oui, me diront mes copains, elle sait qu’il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, qu’ils ne seront pas en sécurité tant que la BAC (Brigade anti-criminalité), la BRI (Brigade de recherche et d’intervention) ou le RAID (Recherche, assistance, intervention, dissuasion) n’aura pas pointé le bout de son nez. Et je peux difficilement lui donner tort.
D’autant que derrière la porte, notre soldat d’Allah a eu une idée lumineuse, pour changer. Et si il se faisait passer pour un membre du GIGN (Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale) ? Ni une ni deux, le terroriste travestit sa voix, et c’est d’une voix rauque de fumeur, ou d’une voix exagérément douce, ou encore d’une voix parfaitement neutre, je n’arrive pas bien à imaginer comment on peut imiter un membre du GIGN, ni même comment on peut avoir l’idée d’imiter un membre du GIGN et penser que ça va passer crème, qu’il s’exclame tout de go : « Ouvrez la porte, c’est le GIGN, je viens vous sauver. »
J’aimerais pouvoir vous dire que nos quarante loustics ne s’y sont pas laissés prendre, qu’ils ont immédiatement senti l’arnaque, flairé la douille. Hélas, le pot-aux-roses a bien failli fonctionner.
Le nom du héros nous est inconnu. En revanche, sa présence d’esprit ne va pas tarder à se révéler déterminante. Quelques minutes avant que notre stratège ne mette à exécution son plan, les plus simples sont souvent les meilleurs pourrait-on en conclure, le meilleur ami d’une des quarante personnes qui se livrent en ce moment à un vote à main levée pour savoir si oui non, on va ouvrir la porte à ce potentiel membre du GIGN, ou à ce potentiel terroriste se faisant passer pour un membre du GIGN, attention, à mon signal, tous ceux qui sont pour lèvent la main, ou alors le contraire, la baissent, a transmis son numéro au commissaire de la BRI de sorte qu’elle peut désormais entrer en contact avec eux. Alors que le « non » vient de l’emporter d’une courte tête, personnellement dans un moment pareil n’y a plus de démocratie qui tienne, le premier qui essaie d’ouvrir la porte, je le fume, majorité ou pas, une communication avec l’extérieur s’établit.
Un mot de passe leur est transmis, décliné à haute voix par les fonctionnaires de la brigade antigang à leur arrivée sur place, quelques heures plus tard, combien exactement ? quelques heures, le temps a dû être bougrement long, comme dans un train Intercités, désolé, j’ai vraiment essayé de me mettre à leur place mais l’empathie, ça n’est vraiment pas mon fort.
Un point d’ombre subsiste. Et ce mot de passe, alors, quel est-il ? Une suite de chiffres ? Une série de lettres ? « Tea for two », comme dans le film La Grande Vadrouille ? Ou encore, comme le titre de la chanson des Eagles of Death Metal devenue tristement célèbre, « embrasse le diable », Kiss the devil ?
Caroline Langlade, une femme non-voilée, aux cheveux blonds comme les champs de blé qui ne s’étendent pas à perte de vue mais sur plusieurs milliers d’hectares, c’est déjà ça, en Bourgogne ou au nord-est de la Syrie, bouclés (les cheveux) comme les inscriptions quelques jours seulement après la mise en vente des places, est assise au balcon, du premier ou du deuxième étage, peu importe, en tout cas elle ne peut pas être en fosse, car alors Caroline n’aurait aucune chance de sortir vivante du Bataclan.
Profite-t-elle du spectacle ? C’est déjà plus délicat, elle-même n’en est peut-être pas sûre, en général ces questions-là, quand on se les pose, c’est que quelque chose manque, quoi ? quelque chose, alors il vaut mieux ne pas y penser, chut ! d’accord, j’arrête de parler.
Ca tombe bien, Jesse Hugues, le chanteur à la moustache bien fournie, secrètement je rêve un jour d’en avoir une comme la sienne, et au corps bodybuildé, ça, il ne le sera jamais, je peux toujours rêver, entonne avec le reste du groupe les premières notes de la chanson « Kiss the devil » ; quand on parle du diable, on en voit...
Prrrrrrrr, font les fusils d’assaut, j’ai toujours été très mauvais pour les bruitages, tout le monde se jette par terre, des hurlements retentissent, tout le monde sauf Caroline, plus d’autres au balcon, combien d’hommes et de femmes exactement je ne sais pas, désolé, si vous voulez arrêtez-là, vous êtes libres de partir, Caroline et allez, une quarantaine de personnes, se sont barricadées dans une loge de 9 mètres carrés, à l’aide d’un canapé et d’un frigo.
Un gorgée de Coca, un bouton en moins sur ma chemise, et je repose mes mains moites sur le clavier. Entre temps, alerté j’imagine par la sonnerie, inopportune, d’un téléphone car je ne peux pas croire qu’un soldat d’Allah, j’ai oublié de préciser l’identité des adversaires, autant pour moi, et leur nombre, ils sont trois, vêtus de noir de la tête au pied, des gothiques me direz-vous, sauf que non, ils ont une cagoule sur la tête et une ceinture d’explosifs autour du corps, je ne peux pas croire, disais-je, qu’un terroriste, puisqu’il faut bien appeler un chat un chat, puisse avoir suffisamment de neurones pour imaginer que peut-être des spectateurs se soient réfugiés dans les loges au moment des premiers coups de feu, le coup de téléphone paraît donc être ce qu’il y a de plus plausible, les premières notes du grand blond avec une chaussure noire, ou une sonnerie par défaut, l’écrivain a toujours tendance à vouloir rendre les choses plus palpitantes qu’elles ne le sont en vérité, ont résonné dans la loge, le propriétaire du téléphone a poussé des jurons, c’était plus fort que lui, en s’escrimant sur l’écran tactile qui, comme par hasard, a attendu cet instant précis, un instant dans tout une vie, pour se bloquer, ses compagnons d’infortune ont fait chuuuuut ! et en faisant cela, ont fait encore plus de bruit, le méchant, si vous voulez, les a repérés. Il ne tarde pas à donner le premier assaut, un violent coup d’épaule, ou de pied, ou encore avec la crosse de son fusil (il ne glisse pas une radio dans la porte, ça c’est sûr, ni ne compose le numéro d’un serrurier) et ramène un silence total dans la loge car après avoir gaffé, le grand blond s’est arrêté.
Trop tard, songent sans doute, dévorés plutôt que morts d’inquiétude, Caroline et ses compagnons. Peut-être réservée d’ordinaire, elle tient la porte, le canapé, le frigo, tout cela à la fois au milieu d’une forêt de bras, pousse dans le sens inverse à chaque nouvel assaut du terroriste. La jeune femme de 31 ans, je me demande si c’est une cougar, si c’en est une, il y a de fortes chances pour qu’un minet de 20 ans dans mon genre lui plaise, je note cette idée dans un coin de ma tête au cas où elle s’en sortirait, en plus elle est venue seule, je parierais donc sur le fait qu’elle est célibataire, songe qu’à force de s’entrebâiller, à chaque coup donné, la porte permet au prédateur d’estimer combien ils sont, au loup de compter les moutons.
« Eteignez-la lumière ! » crie-t-elle à l’assistance, sans réfléchir, faisant fi de son éventuelle pudeur habituelle, ou quelque chose du même acabit, sans doute est-ce seulement « La lumière ! », en tout cas elle se fait comprendre. Idem pour les fenêtres.
Un long silence se passe, durant lequel chacun tente de recouvrer ses esprits. A l’extérieur, les coups de feu ont cessé. Que se dit Caroline à ce moment-là ? Qu’ils sont tirés d’affaire ? Non, probablement pas. Avisée comme je l’imagine, comme je la fantasme oui, me diront mes copains, elle sait qu’il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, qu’ils ne seront pas en sécurité tant que la BAC (Brigade anti-criminalité), la BRI (Brigade de recherche et d’intervention) ou le RAID (Recherche, assistance, intervention, dissuasion) n’aura pas pointé le bout de son nez. Et je peux difficilement lui donner tort.
D’autant que derrière la porte, notre soldat d’Allah a eu une idée lumineuse, pour changer. Et si il se faisait passer pour un membre du GIGN (Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale) ? Ni une ni deux, le terroriste travestit sa voix, et c’est d’une voix rauque de fumeur, ou d’une voix exagérément douce, ou encore d’une voix parfaitement neutre, je n’arrive pas bien à imaginer comment on peut imiter un membre du GIGN, ni même comment on peut avoir l’idée d’imiter un membre du GIGN et penser que ça va passer crème, qu’il s’exclame tout de go : « Ouvrez la porte, c’est le GIGN, je viens vous sauver. »
J’aimerais pouvoir vous dire que nos quarante loustics ne s’y sont pas laissés prendre, qu’ils ont immédiatement senti l’arnaque, flairé la douille. Hélas, le pot-aux-roses a bien failli fonctionner.
Le nom du héros nous est inconnu. En revanche, sa présence d’esprit ne va pas tarder à se révéler déterminante. Quelques minutes avant que notre stratège ne mette à exécution son plan, les plus simples sont souvent les meilleurs pourrait-on en conclure, le meilleur ami d’une des quarante personnes qui se livrent en ce moment à un vote à main levée pour savoir si oui non, on va ouvrir la porte à ce potentiel membre du GIGN, ou à ce potentiel terroriste se faisant passer pour un membre du GIGN, attention, à mon signal, tous ceux qui sont pour lèvent la main, ou alors le contraire, la baissent, a transmis son numéro au commissaire de la BRI de sorte qu’elle peut désormais entrer en contact avec eux. Alors que le « non » vient de l’emporter d’une courte tête, personnellement dans un moment pareil n’y a plus de démocratie qui tienne, le premier qui essaie d’ouvrir la porte, je le fume, majorité ou pas, une communication avec l’extérieur s’établit.
Un mot de passe leur est transmis, décliné à haute voix par les fonctionnaires de la brigade antigang à leur arrivée sur place, quelques heures plus tard, combien exactement ? quelques heures, le temps a dû être bougrement long, comme dans un train Intercités, désolé, j’ai vraiment essayé de me mettre à leur place mais l’empathie, ça n’est vraiment pas mon fort.
Un point d’ombre subsiste. Et ce mot de passe, alors, quel est-il ? Une suite de chiffres ? Une série de lettres ? « Tea for two », comme dans le film La Grande Vadrouille ? Ou encore, comme le titre de la chanson des Eagles of Death Metal devenue tristement célèbre, « embrasse le diable », Kiss the devil ?
la mort pour tous ceux qui n'ont pas trouvé de porte "écran" contre la violence
merci pour elles