La maison me déplut d’emblée. Pas seulement à cause de son aspect lugubre, mais parce qu’il s’en dégageait quelque chose de malsain, comme si un venin l’imbibait jusqu’aux poutres... [+]
Emmitouflé dans une grosse parka rouge, l’inspecteur Killy réfléchissait. À ses pieds, Grenoble macérait lourdement dans ses brumes. Il était tôt, très tôt. Devant lui, au contraire, les montagnes baignaient dans un air frais et limpide. La neige avait fondu, et le pâle soleil de mars commençait à se promener sur les roches glacées. Il se baissa pour caresser l’herbe froide et cueillir une toute petite fleur de fin d’hiver dont il ignorait le nom. Jean-Marc avait besoin d’altitude pour prendre de la hauteur, ce n’était pas un esprit raffiné mais il avait du flair. D’habitude, la vue sur l’agglomération grouillante et polluée lui permettait de s’arracher quelques instants à sa condition d’homme et de résoudre bien des enquêtes. Seulement cette fois-ci, rien, rien de rien. Peut-être qu’il était trop impliqué, ou que le mode opératoire du criminel était trop dégueulasse, toujours est-il qu’il sentait son esprit alourdi par la rage et de vagues ruminations plus personnelles. Il essaya de respirer plus amplement, par le ventre, comme dans les magazines, mais son souffle restait court et nerveux. Foutaises de magazines à la con ! Poings dans les poches, il fit quelques pas sous le télésiège en direction du sommet. Les seules pensées qui lui venaient étaient que l’Homme avait non seulement bousillé la vallée, il n’y avait qu’à voir les usines grises et fumantes, mais aussi la montagne en y plantant des remontées mécaniques, raides et immobiles. Non, décidemment, ça n’allait pas, pas le jour pour une enquête.
Voici ce que Jean-Marc Killy trimballait sous son crâne en arrivant en haut. Il avait marché deux bonnes heures sans s’en rendre compte. Un soleil magnifique éclatait dans le ciel pur, le grand téléski scintillait, les pentes herbeuses s’amollissaient et la ville était nettoyée de son brouillard habituel. C’était vraiment splendide. Tellement beau qu’il n’y avait pas moyen de réfléchir à cette p***** d’enquête. Décidemment, il devenait trop vieux, trop mou, trop pantouflard. L’inspecteur se place face au soleil et ferma les yeux. Une délicieuse sensation de chaleur se glissait dans son corps, il ne voyait que du rouge, son sang, qui voilait ses paupières.
Cette sensation étrange ramena à la surface de son esprit les ruminations sourdes de son inconscient qui travaillait sans cesse. Les rouages compliqués et épars de son enquête se rassemblèrent et s’emboîtèrent en belle mécanique bien huilée qui roula comme une bobine de cinéma.
– Bien sûr ! Cria-t-il, le tueur est aveugle, comment n’y ai-je pas songé avant ? Et s’il est aveugle, ça ne peut être que Paul Diemoz, l’égorgeur multirécidiviste !
Évidemment, son portable passait pas dans ces foutues montagnes et il avait une bonne heure de marche pour rejoindre sa voiture. Il se mit en route rapidement, concentré sur les différentes façons d’interpeller le suspect. Une présence, imperceptible, se fit sentir, ou plutôt, une gêne. À mesure qu’il descendait, cette sensation se fit plus palpable, plus oppressante. Il avait beau se retourner, regarder partout autour de lui, il n’y avait rien que la prairie et un peu de vent. Aucun arbre ni buisson pour se cacher, mais alors, qu’est-ce que c’était que cette chose qui lui rôdait autour ? À mi-chemin, il voulut en avoir le cœur net. Il se ramassa sur lui-même et attendit. Les rumeurs de Grenoble commençaient à lui parvenir, tous ces bruits familiers des citadins, et lui, seul dans la montagne. Enfin seul, ça restait à prouver... Lassé d’attendre, il se remit en chemin. La présence était là, indéfinissable et menaçante.
– Il y a quelqu’un ? Je suis de la police, répondez ! Il avait dit ça pour se donner du courage, mais sa voix résonnait, étrange, dans l’alpage. Il remarqua à sa droite, dissimulée derrière un rocher, une bergerie en pierre à moitié délabrée. Il hésita. Bien sûr il fallait aller voir, ça ne pouvait provenir que de là. Pourtant quelque chose en lui s’y refusait, il avait de l’instinct pour ces choses. S’il retournait tranquillement à sa voiture, personne n’en saurait rien après tout. Oh et puis merde ! J’y vais ! Il ramassa un gros caillou tranchant et le serra dans son poing. L’inspecteur avisa une petite ouverture sur la façade et vis distinctement deux yeux braqués sur lui. L’homme était sans doute armé, prudence... Killy commença par faire un détour, puis essaya de couper sa trajectoire pour surprendre son homme, mais les yeux le suivaient où qu’il aille.
L’inspecteur Killy a été enterré dans le petit cimetière qu’il aimait tant, derrière la vieille église de La Grave, là où les torrents rafraîchissent les promeneurs avant d’aller fleurir les prairies. Les sources brillent et les montagnes veillent en silence. Sur sa tombe, est gravé : « Mort mystérieusement, tout ne peut s’expliquer ».
Voici ce que Jean-Marc Killy trimballait sous son crâne en arrivant en haut. Il avait marché deux bonnes heures sans s’en rendre compte. Un soleil magnifique éclatait dans le ciel pur, le grand téléski scintillait, les pentes herbeuses s’amollissaient et la ville était nettoyée de son brouillard habituel. C’était vraiment splendide. Tellement beau qu’il n’y avait pas moyen de réfléchir à cette p***** d’enquête. Décidemment, il devenait trop vieux, trop mou, trop pantouflard. L’inspecteur se place face au soleil et ferma les yeux. Une délicieuse sensation de chaleur se glissait dans son corps, il ne voyait que du rouge, son sang, qui voilait ses paupières.
Cette sensation étrange ramena à la surface de son esprit les ruminations sourdes de son inconscient qui travaillait sans cesse. Les rouages compliqués et épars de son enquête se rassemblèrent et s’emboîtèrent en belle mécanique bien huilée qui roula comme une bobine de cinéma.
– Bien sûr ! Cria-t-il, le tueur est aveugle, comment n’y ai-je pas songé avant ? Et s’il est aveugle, ça ne peut être que Paul Diemoz, l’égorgeur multirécidiviste !
Évidemment, son portable passait pas dans ces foutues montagnes et il avait une bonne heure de marche pour rejoindre sa voiture. Il se mit en route rapidement, concentré sur les différentes façons d’interpeller le suspect. Une présence, imperceptible, se fit sentir, ou plutôt, une gêne. À mesure qu’il descendait, cette sensation se fit plus palpable, plus oppressante. Il avait beau se retourner, regarder partout autour de lui, il n’y avait rien que la prairie et un peu de vent. Aucun arbre ni buisson pour se cacher, mais alors, qu’est-ce que c’était que cette chose qui lui rôdait autour ? À mi-chemin, il voulut en avoir le cœur net. Il se ramassa sur lui-même et attendit. Les rumeurs de Grenoble commençaient à lui parvenir, tous ces bruits familiers des citadins, et lui, seul dans la montagne. Enfin seul, ça restait à prouver... Lassé d’attendre, il se remit en chemin. La présence était là, indéfinissable et menaçante.
– Il y a quelqu’un ? Je suis de la police, répondez ! Il avait dit ça pour se donner du courage, mais sa voix résonnait, étrange, dans l’alpage. Il remarqua à sa droite, dissimulée derrière un rocher, une bergerie en pierre à moitié délabrée. Il hésita. Bien sûr il fallait aller voir, ça ne pouvait provenir que de là. Pourtant quelque chose en lui s’y refusait, il avait de l’instinct pour ces choses. S’il retournait tranquillement à sa voiture, personne n’en saurait rien après tout. Oh et puis merde ! J’y vais ! Il ramassa un gros caillou tranchant et le serra dans son poing. L’inspecteur avisa une petite ouverture sur la façade et vis distinctement deux yeux braqués sur lui. L’homme était sans doute armé, prudence... Killy commença par faire un détour, puis essaya de couper sa trajectoire pour surprendre son homme, mais les yeux le suivaient où qu’il aille.
L’inspecteur Killy a été enterré dans le petit cimetière qu’il aimait tant, derrière la vieille église de La Grave, là où les torrents rafraîchissent les promeneurs avant d’aller fleurir les prairies. Les sources brillent et les montagnes veillent en silence. Sur sa tombe, est gravé : « Mort mystérieusement, tout ne peut s’expliquer ».
P.S. Découvrez Fred Vargas, vous ne le regretterez pas !