Jour de fête à Arausio

Il y eut d'abord le bruit sourd qui se fit entendre de plus en plus fort ; cela attira l'attention des habitants d'Arausio qui, en ce jour de fête, s'étaient déployés sur la grand-place. Puis le groupe de légionnaires romains apparut, vêtus d'armure et de casque à plumet, armés de lances et de boucliers colorés. Les hommes avançaient du même pas cadencé, le visage fermé, la mâchoire serrée, sans quitter des yeux le centurion Marcus qui les menait. En ce début septembre la température, encore élevée, faisait couler la transpiration sur leur peau et la fatigue leur donnait le souffle court.
L'imposant théâtre antique étalait son large mur de pierres sur une centaine de mètres de long et les légionnaires durent franchir le parvis et la porte royale pour accéder au campement établi au pied du monument. D'être enfin arrivés leur apporta un fort soulagement. Ils se débarrassèrent de leurs lourdes cuirasses et se laissèrent tomber sur le sol.
Un légionnaire alla empoigner un seau et montra du doigt, à une courte distance, un cygne de pierre qui crachait de l'eau en continu par le bec.
– Marcus, avec l'eau de la Baussenque on va pouvoir se rafraîchir. Je meurs de soif !
– Hé, regarde là-haut, Luerius ! Tu as vu la taverne ? On y trouvera toute la bière qu'on voudra !
– D'accord, Marco, pardon Marcus. Je me perds avec ces drôles de noms.
Les deux hommes se levèrent et se dirigèrent vers une vaste grotte taillée en hauteur, dans la falaise.
Tandis que les légionnaires s'élançaient à l'assaut des nombreuses et hautes marches, des prêtres, portant la toge bordée de pourpre, s'affairaient sous une large tente rouge aux franges dorées. Une cérémonie aurait lieu en l'honneur de l'empereur Auguste et tout devait être prêt pour sa venue. Une statue de Jupiter, dieu de l'Empire romain, avait été dressée sur un autel et d'épais tapis recouvraient le sol afin de protéger chaque intervenant de la poussière qu'un fort mistral avait déposé la veille.
– Quand notre empereur sera-t-il là ?
– Auguste, en personne, décidera de son arrivée dans notre belle ville d'Arausio. Nous devons nous préparer à l'accueillir,  Titouan !
– Non, tu dois dire « Titus ». Je suis encore romain jusqu'à ce soir, minuit.

A l'extérieur du théâtre antique, sur la grand-place, on assistait à une grande agitation. Des femmes, vêtues de robes aux couleurs fades, leur chevelure nouée de rubans, s'affairaient. L'une d'elles tissait une longue écharpe de tissu sur une vieille machine en bois. Une autre vendait, pour quelques pièces de monnaie, des flacons d'huile parfumée et des petits coffrets emplis de poudre rose à de riches romaines, portant colliers et bracelets en nombre autour de leur cou et de leurs poignets.
– Cette huile provient de mon champ de lavande, se vantait la marchande. Elle adoucira votre peau et parfumera vos belles robes de mousseline.
Un peu plus loin, assis sur un siège de bois, les pieds dans la paille, un potier utilisait une motte de glaise pour façonner une large écuelle. Elle permettrait de servir sur la table, à l'instant du repas, le poulet au miel et l'épeautre dont les romains raffolaient. A ses côtés, quelques hommes s'intéressaient aux grandes jarres qu'ils rempliraient de vin.

Ce n'est qu'en début d'après-midi que l'empereur Auguste pénétra dans la ville, se tenant fièrement sur son char de guerre attelé de deux chevaux blancs, et conduit par un aurige. Tirant sur les rênes, celui-ci arrêta le char et l'empereur descendit devant le théâtre. Une couronne de lauriers posée sur ses cheveux, vêtu d'une tunique courte et d'un manteau bordeaux brodé d'or retenu sur l'épaule droite par une fibule, Auguste salua, déclenchant les cris de joie du peuple.
Un jeune garçon couvert d'une chemise et d'un pantalon en tissu gris et sa mère, habillée toute de toile jaune, assistaient à sa venue.
– Maman, c'est lui l'empereur ?
– Mais oui, Kevinus. Regarde, il nous fait signe de la main !
– Je préfère mon papa, je voudrais jouer avec lui.
– Ton père ne peut pas, Kevinus. Il est archer, il combattra tout à l'heure. Viens, allons assister aux combats !

Tous deux longèrent le mur et allèrent prendre place dans les gradins. Sur la scène, entouré de ses hauts dignitaires, l'empereur s'était installé sur un confortable siège. A l'instant où les trompettes retentirent, il leva le bras, puis l'abaissa, ordonnant ainsi que commencent les jeux. Les gladiateurs entrèrent dans l'arène.
Vêtus d'un simple short, le torse nu, portant un casque, les hommes se placèrent face à face, l'un brandissant un bouclier et un poignard, l'autre armé d'un trident et d'un solide filet. Un cri puissant retentit et les adversaires se jetèrent l'un contre l'autre. Ils simulèrent des combats féroces qui ne cessèrent que lorsque l'un des deux, épuisé, mette un genou à terre, acceptant sa défaite.
La mère de Kevin applaudit les gladiateurs qui, sans plus attendre, abandonnèrent le terrain. Ils furent remplacés par des valets qui apportaient des cibles de bois et les mettaient en place.
N'apercevant toujours pas son père, l'enfant s'inquiéta :
– L'empereur va faire lâcher des lions contre mon papa ? Ils vont le dévorer tout cru ?
– Mais non, le rassura sa mère. Ce sont les archers qui vont faire des démonstrations.
– Je peux y aller, maman ?
– Aller où, Kevinus ? Je ne comprends pas !
– Là-bas, devant la cible. Je mettrai une pomme sur ma tête et je me tiendrai debout, bien droit, dit l'enfant en exhibant une jolie pomme rouge. Et mon papa va tirer une flèche qui la fera éclater en mille morceaux. Baaam ! J'y vais !
Kevinus partit en courant rejoindre son père, poursuivi par sa mère, affolée par ses propos.

La démonstration des archers vient de se terminer et ils cèdent la place aux enfants qui, se transforment en petits légionnaires. Pour leur plus grand plaisir, ils vont effectuer la plus célèbre manœuvre militaire de l'antiquité : la formation en tortue. Ils se placent en carré et, protégés par de petits boucliers devant eux, derrière eux, sur leurs flancs et sur leur tête, ils deviennent la redoutable « tortue romaine » qui fait trembler l'ennemi et, souvent, le fait fuir. Cette belle démonstration se terminera sous les chaleureux applaudissements du public enthousiasmé par cette grande fête romaine.

Le ciel s'assombrit lentement, la lune paraît et la nuit tombe sur Arausio. Dans les rues se déroule la cérémonie aux flambeaux, un beau spectacle, où simples Orangeois, robustes légionnaires, empereur arborant avec fierté sa couronne de laurier et petits romains fatigués par leur longue journée savourent ces heures étonnantes qu'ils garderont, à jamais, en mémoire.

Un aurige : un conducteur de char
une fibule : agrafe pour maintenir un vêtement