En bas de ma rue, il y a un homme qui passe tous les matins. Il fait toujours, l’air de rien, un drôle de bruit quand il passe. Comme des griffures sur le trottoir. C’est qu’il a entre les mains un vieux balai aux poils drus, qu’il traîne dans son sillage. Ça racle, à l’aveugle. Ça attrape, sans le faire exprès, des filtres de cigarettes, des papiers en tous genres, des ordures qui passent. Quand il s’en rend compte, il s’arrête, se baisse et les retire avec patience et résignation. Tous les matins. Je ne l’ai pas remarqué tout de suite parce qu’il a l’air d’un Monsieur normal, avec son long manteau noir et son parapluie des jours gris. J’ai même du mal, d’un jour sur l’autre, à me rappeler son visage... Et puis, un jour, alors que j’allais à la boulangerie, je me suis trouvé sur le passage de son balai. J’ai trébuché. Lui et moi, on s’est regardés, comme surpris que nos chemins se soient rentrés dedans. Je crois bien que le balai m’a dit pardon.
Un jour, alors que l’hiver était arrivé, et avec lui la neige, le vent et les pas qui se pressent sur les trottoirs, je l’ai vu passer, comme tous les matins. Son balai grattait toujours, chassant la neige, créant une cicatrice noirâtre sur le chemin blanc. N’y tenant plus, je suis allé vers lui, et je lui ai demandé pourquoi. Il m’a contemplé, désarmé.
- Mais pour effacer mes traces, voyons.
Ça vous avait un ton d’évidence. Il avait même l’air surpris et vaguement blessé que j’ignore le pourquoi du comment. Pour toute réponse, avec l’air de m’excuser, je lui ai montré la trace qu’il laissait, noire comme une accusation, derrière lui. Il y pose les yeux, l’air navré, l’air de ne pas vouloir comprendre.
- Vous comprenez, je ne veux pas gêner. Je n’ai trouvé que ça. C’est mon devoir ici, je la remplis de mon mieux. Maintenant, si vous permettez...
Il a repris son chemin, le balai remplissant toujours son office. J’ai l’impression de le voir coincé dans un monde qui n’est pas exactement le nôtre, répétant inlassablement sa tâche, se sachant seul pris dans un purgatoire invisible aux autres. Je me suis surpris à me demander ce qu’il tenait tant à effacer ; ce qui, au contraire, s’inscrivait si profondément dans la rue – sillon d’ordures et de neige balayée.
Et je l’ai regardé s’éloigner, dans les flocons qui soupirent d’aise, avec son parapluie des mauvais jours et son grand manteau.
Un jour, alors que l’hiver était arrivé, et avec lui la neige, le vent et les pas qui se pressent sur les trottoirs, je l’ai vu passer, comme tous les matins. Son balai grattait toujours, chassant la neige, créant une cicatrice noirâtre sur le chemin blanc. N’y tenant plus, je suis allé vers lui, et je lui ai demandé pourquoi. Il m’a contemplé, désarmé.
- Mais pour effacer mes traces, voyons.
Ça vous avait un ton d’évidence. Il avait même l’air surpris et vaguement blessé que j’ignore le pourquoi du comment. Pour toute réponse, avec l’air de m’excuser, je lui ai montré la trace qu’il laissait, noire comme une accusation, derrière lui. Il y pose les yeux, l’air navré, l’air de ne pas vouloir comprendre.
- Vous comprenez, je ne veux pas gêner. Je n’ai trouvé que ça. C’est mon devoir ici, je la remplis de mon mieux. Maintenant, si vous permettez...
Il a repris son chemin, le balai remplissant toujours son office. J’ai l’impression de le voir coincé dans un monde qui n’est pas exactement le nôtre, répétant inlassablement sa tâche, se sachant seul pris dans un purgatoire invisible aux autres. Je me suis surpris à me demander ce qu’il tenait tant à effacer ; ce qui, au contraire, s’inscrivait si profondément dans la rue – sillon d’ordures et de neige balayée.
Et je l’ai regardé s’éloigner, dans les flocons qui soupirent d’aise, avec son parapluie des mauvais jours et son grand manteau.
Sisyphe c'est toi, c'est lui, c'est moi ? J'ai du mal à imaginer tout ce petit monde heureux.