Ils se demandent

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Qu'importe le medium pourvu qu'on ait l'ivresse ! J'aime écrire sur mes voyages et mes contemporains, avec une écriture incisive et pleine d'humour. J'écris autant des haïkus que des textes ... [+]

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Il se demande si elle a aimé. Cela fait longtemps qu'il n'avait pas fait l'amour. Il se fait vieux, il fatigue. Il devrait reprendre le sport. Il a bien essayé de cacher ses faiblesses en variant les plaisirs. Il se demande si elle a été dupe.

Elle se demande s'il va arriver à reprendre son souffle. Il paraissait s'épuiser plus que de raison. À un moment, elle a cru qu'il ne parviendrait pas jusqu'au bout. Il a quoi ? Quarante ans, au grand maximum ? Peut-être que s'il fumait moins, il lui aurait donné plus de plaisir. Après plusieurs semaines d'attente et de doutes, elle est un peu déçue. Elle se demande à quoi il pense.

Il pense que les femmes sont patientes et qu'elle ne lui en voudra pas. Depuis des semaines qu'ils se tournent autour, elle ne va pas tout abandonner comme ça. Mais quand même, il aurait dû faire des efforts. Il savait que ça allait arriver. Oui mais voilà, il pensait que ça ne s'oubliait pas, que c'était comme le vélo. Quand on sait pédaler une fois sans petites roulettes, c'est pour toujours. Mais l'âge vous rattrape, parfois. Ça faisait quoi ? Huit mois, peut-être. Il sait qu'il se ment. Ça fait bien un an, déjà. Tout s'oublie, et il s'est cruellement empâté. Il se demande si elle le voit.

Elle voit qu'il a plus de ventre qu'elle ne l'aurait cru. Un petit ventre, ce n'est pas grand-chose, se dit-elle, mais quand même, elle l'imaginait plus musclé. Elle pensait qu'il s'entretenait un peu. Mais après tout, elle n'est pas vraiment parfaite, non plus. Elle se demande s'il a remarqué ses vergetures.

Il a remarqué ses vergetures. Ça lui a fait un choc. Lui qui a tant fantasmé sur ses fesses ! Une fois le miracle dévoilé, il est tombé de haut. Non pas qu'il n'avait plus de désir, mais la déception lui a donné envie de finir vite fait son boulot. Et maintenant, il le regrette un peu. Il se demande s'il va continuer leur histoire.

Elle se demande si ça vaut le coup de continuer leur histoire. Elle espérait beaucoup, mais il ressemble trop à ces salauds qui ont partagé son lit. Le genre qui vous courtise gentiment et ne fait même pas d'effort pour vous faire l'amour correctement. D'un coup, vous n'existez plus. Elle voit bien qu'il évite de croiser son regard. Elle se demande s'il a seulement des états d'âme.

Il a des états d'âme. Il croyait qu'elle lui plaisait vraiment, que ça pouvait être le début de quelque chose. Mais c'est toujours ainsi que ça se passe. Une fois le corps dévoilé et consommé, le désir chute brutalement. Il sent qu'il se lassera vite de cette femme qui ne lui est plus inconnue. Et pourtant, il voudrait vouloir continuer. Il voudrait lui faire l'amour encore une fois. Il voudrait vouloir l'embrasser tendrement en lui disant doucement « Je t'aime » au creux de l'oreille. Il se demande comment il va bien pouvoir s'en aller sans se faire traiter de salaud.

Quel salaud ! Il ne lui dit pas un mot, mais elle sait à quoi il pense. Il regarde un peu trop la porte pour être honnête. Elle se dit qu'il pourrait au moins faire semblant, dormir ici, montrer un peu de tendresse à son égard, comme si à cet instant, elle comptait un peu, pour lui. Et après avoir passé la nuit à réfléchir, il lui dirait que ce n'était pas le moment, qu'il sortait d'une histoire compliquée et qu'il ne voulait pas la faire souffrir à cause de son passé. Elle se demande s'il va oser lui dire qu'il doit se lever tôt demain matin.

Il lui dit qu'il doit se lever tôt demain matin. Il est un peu embêté. Il aurait dû trouver une excuse un peu plus originale. Il sent qu'elle comprend. Il essaie de se justifier. Demain, c'est dimanche. Il prétexte qu'il a de la route à faire pour voir sa mère, à Orléans. Il se demande si elle va lui faire une scène.

Elle lui fait une scène. Non pas parce qu'elle lui en veut de la plaquer juste après, mais parce qu'il se fout de sa gueule. Et parce que c'est tout ce qui lui reste. Elle va lui donner une telle mauvaise conscience, que s'il va vraiment déjeuner chez sa mère, il aura du mal à digérer le poulet basquaise. Elle se demande s'il va s'excuser.

Il s'excuse comme il peut, mais il maintient sa version des faits. Il veut donner l'illusion de la vérité, que vraiment il ne peut pas rester. Que peut-être, il y aura une suite à leur histoire. Que peut-être, ils s'aimeront. Mais que cette nuit, ce n'est vraiment pas possible, il faut qu'il parte. C'est plus fort que lui. Une sorte de réflexe masculin indescriptible et irrépressible. Il se demande à quel moment il doit ouvrir la porte.

Elle se demande à quel moment il va ouvrir la porte.

Il se demande si elle va se mettre à pleurer.

Elle se demande si elle va se mettre à pleurer.

Il se demande s'il n'est pas en train de faire une connerie.

Elle se demande si elle ne va pas faire une connerie.

Il hésite.

Elle pleure.

Ils se demandent pourquoi ils ont fait l'amour ce soir.

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