Il était une fois, une vie

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermé ? peut-être les deux.
Je ne sais pas quand est ce que je me suis égaré, ce que je sais c’est que je suis bel et bien perdu. Comme si ce noir abyssale était la seule réalité et pourtant vaguement j’ai conscience qu’un monde plus lumineux git quelque part.
Je m’appelle Camille, et si j’étais dans les groupes de soutiens des films, on me dirait « bonjour Camille », mais je suis seule dans ma chambre dans le noir.


-Hey ! Réveille-toi ! On me secoue trop violemment, ma conscience ne revient encore que par à-coup.
-Miséricorde ! Mais qu’est-ce que tu fous ? Dis-je d’une voix pâteuse et encore endormie.
-Mais secoue toi bon-sang ! Ton patient est en train de passer l’arme à gauche !
-Mon patient, mais quel patient ? Oh non !!! Antsa ma camarade de classe me fait revenir brutalement à la réalité. Je suis une étudiante en 5ème année de médecine et on est de garde en pédiatrie. Et ce patient en question doit être le petit prématuré de ce matin souffrant de bronchiolite grave ! Alors je bondis de mon siège comme si ma vie en dépendais, mais après tout n’est-ce pas le cas ? Mon Dieu faites qu’il ne parte pas !
Presque hystériques, moi et Antsa nous fonçons.
-S’il te plait va courir au rez-de-chaussée pour prévenir l’interne qui est aux couveuses ! Sans la moindre hésitation, elle bifurque tout de suite à ma gauche pour joindre l’escalier qui mène au rez-de-chaussée, nous sommes au premier étage du bâtiment de la pédiatrie de Befelatanana de l’un des plus grand CHU de Madagascar.
Quant à moi je cours vers une des salles bondées où se trouve 6 petits patients avec leurs mamans. Elles ont toutes un regard graves, des cernes à ne plus en finir, parmi elle se trouve celle qui panique le plus. Pourtant dans sa détresse, elle masse le plus délicatement possible le torse de son tout petit
-Reste avec moi dit-elle perdue, ne t’en vas pas ! En ce même instant ses larmes mouillaient son tout petit bébé au teint bleuté.
-Ne t’en va pas...
Tous les espoirs et toutes les prières dans une si petite phrase, prononcé avec autant d’amour et d’angoisse, une vraie complainte vivante. Une formule qui doit marcher.
Mais il est parti comme tant d’autre avant lui. On a tout fait, tout essayé, sa mère comprend-elle cela ? Je ne crois pas. Car elle a crié, pleuré et maudit avec hystérie. Comme si on avait nous-même tué son bébé. Je suis assise sous le bas d’un escalier sans issue, le corps en sueur, les membres endoloris. Les lueurs du matin caresseront bientôt le ciel. Et pourtant pour certaines personnes aucunes lumières ne les illumineront plus, tel est mon cas.

-Ta da dam ! Viens danser s’il te plait, allez viens ! Dis mon meilleur ami. Il est si beau, sa main si belle, tellement bien sculptée. Furtivement je fixe ses lèvres. Il s’appelle Andry et il est le major de ma promotion.
-Non je ne peux pas ! J’ai encore un tas de cours à rattraper !
-Mais c’est ton anniversaire ! Me dit-il avec un air boudeur et effaré, Oui je sais que c’est mon anniversaire me dis-je en penser, en ce jour j’ai 24 ans, je suis une interne des hôpitaux. Et sans ma permission ils m’ont fait une fête.
-Non je ne peux pas, je ne veux pas descendre à l’étage, je vous ai interdit de faire une fête mais vous l’avez faite quand même, dis-je tout en le fixant droit dans les yeux.
-Arrête Camille ! Je ne te reconnais plus.

Mon crâne fait des coups impossibles, en des milliers de coups de massue, ma gorge me brule. Miséricorde ! Je me suis soûler hier. Qui eut cru qu’un jour j’aurai assez de moyen pour gouter à de tels breuvages aux noms élaborés : Mojito, cosmopolitan, vodka... Qu’importe. Je me relève difficilement du lit, trop fatiguant pour moi, du coup je remonte le drap sur ma tête et me recouche. Et une pensée me vient en flèche.
Je suis de garde !
Une femme médecin avec l’allure de chiffonnière, je crois que je vais faire jaser pour plusieurs semaines encore !
Mais de toute manière ma célébrité n’est plus à faire, mon titre en tant que poupée de Dr Njarason me colle déjà à la peau.
Ce fameux libertin et énervant Dr Njarason, aucun n’ignore sa terrible renommer mais si seulement les gens comprenaient à quel point il est antipathique. Mais j’en passe.
J’essaie de me remémorer le reste de la soirée. Oh ! Je ne me souviens plus et de toute manière je suis de garde ! Misère !

Pim ! Pim ! Nous ne sommes que 18h et j’ai déjà entubé 4 patients, cool ! Ma gueule de bois me porte bonheur, avec comme supplément un traumatisé cérébral qui se trouve dans la réanimation neurochirurgicale. Quant aux autres patients, ils se trouvent ici dans une des salles de la réanimation chirurgicale du CHU HJRA d’Ampefiloha. Je suis le médecin de garde, spécialiste en anesthésie réanimation.
Mes patients ont tous l’air si gentils. Or ils risquent tous de ne plus voir un lever de soleil. Parfois je me demande quel mal ai-je pu faire dans mes vies antérieures pour avoir la décision de vie et de mort d’autrui. Mais au fond est ce le cas? Ils partent sans demander la permission.

Si des âmes meurent au même endroit, se tiennent-ils tous la main pour aller au lieu du jugement suprême ? Ou est ce qu’ils font comme les vivants, partant chacun de leur côté sans un regard sur la détresse des autres ? C’est à ma deuxième tequila que les questions se tarissent. Peut-être ai-je besoin de Whisky !

Le lendemain je me retrouve endolorie de partout, nu, avec du sang sur les draps et une case en moins dans la mémoire car je ne me souviens de rien !
Cool, c’est officiel je suis devenu une soularde. Docteur Camille Rafenohasina, ivrogne professionnel, spécialiste en trou noir et en tâche de sang à l’âge de 28 ans !
Finalement ma vie ressemble à cela, un amoncellement d’ombres et de vides. Assise dans la partie la plus sombre de ma chambre, tête sur les genoux j’essaie à nouveau de me souvenir de cette nuit, de celle où j’ai été dans les bras de quelqu’un. Mais au final cela ne compte pas car j’ai été dans les bras de l’ivresse. En plus j’ai un mal de chien au plus profond de mon anatomie, les premières fois sont toutes douloureuses si je me souviens bien. J’expire mais sincèrement je ma gorge est noué, j’essaie d’analyser la situation or mon cerveau refuse de collaborer.
Ainsi mon existence n’a jamais été qu’une teinte de gris, ai-je fermé les yeux ou ai-je emprunté un chemin sombre. Je me demande si ce n’est pas probablement les deux. Je suis fatigué, si fatigué.
J'ai sûrement fermé les yeux sur tout, je me suis laissé sombré. En sachant que je n’ai jamais rien demandé de compliqué pour ma vie. Si seulement les ombres n’existaient pas et que mes yeux étaient toujours grands ouverts.
Je m’appelle Camille, et le groupe imaginaire me répond « bienvenue Camille »