Angine d'été
le soleil coincé au fond
de la gorge en feu
“Tu nous feras tous tuer !” Un mélange de peur et de colère brille dans ses yeux, alors qu’elle lui tend le sac à dos qu’elle vient de remplir.
Il fait encore nuit et les pierres roulent sous ses pieds. Des feuilles humides tapissent le sentier et manquent de le faire tomber à plusieurs reprises. Sans lumière, ce n’est pas facile d’avancer et le panier en osier accroché à une sangle du sac, lui tape le dos à chaque pas.
L’image de sa fille, endormie dans son petit lit, lui serre la gorge. Le souffle lui manque et il doit s’arrêter.
Il sourit.
Si les petits lapins délicatement sculptés sur les côtés lui ont donné beaucoup de mal, le plus compliqué a quand même été de fixer les roues... Mais il y est arrivé, fier de savoir que grâce à lui cet hiver, le petit lit pourra être facilement déplacé en fonction de la chaleur de la maison.
Les étoiles s’éteignent une à une et le jour se lève sur la chaîne de Belledonne. Bientôt, la rosée accrochée aux herbes des prés scintillera comme une multitude de petits diamants. Il reprend sa marche et se concentre sur son souffle. Il n’a pas beaucoup de temps, pas question de traîner.
Ça fait maintenant deux mois qu’environ tous les dix jours, il grimpe sur ce sentier caillouteux. Deux heures pour aller et une heure et demie pour revenir. Une pichenette pour le montagnard aguerri, mais un effort énorme pour le mari et le père de famille.
C’est l’heure où Sainte-Marie-du-Mont se réveille doucement et il sait que les femmes s’affairent déjà. Le lait pour les petits et le café pour les hommes chauffent sur les fourneaux. A cet instant, il donnerait beaucoup pour être assis tranquillement dans la cuisine et tremper un morceau de pain beurré dans son café brûlant.
Soigner les bêtes, rentrer du bois, cultiver les champs, rien que le quotidien à la fois rude et paisible d’un village de montagne niché au creux de la Chartreuse. Mais depuis quelques mois, une tension sourde crispe les visages et rend les hommes encore plus taiseux qu’à l’ordinaire.
Il arrive enfin à destination. Une petite cabane de fortune, coincée entre un rocher et la montagne en falaise. Elle n’est pas visible depuis le sentier. Il frappe trois coups vigoureux sur la porte faite de vieilles planches mal jointes. Un homme âgé entrebâille la porte et s’écarte pour le laisser entrer. Sans un mot, il déballe son chargement. Les provisions sont posées sur le banc en bois, à côté d’une jeune femme au visage émacié. Par bonheur, une source coule à proximité, il n’a pas besoin de leur amener de l’eau. Il dépose la couverture et quelques vêtements chauds sur le matelas posé à même le sol. Le vieil homme le remercie à voix basse.
Dans trois jours, on va venir les chercher. Le couple s’exprime difficilement en français, mais les sourires de reconnaissance illuminent la cabane sombre.
Il détache le panier et récupère le sac maintenant uniquement rempli de linge sale.
Alors qu’il entame la descente, le soleil brille et éclaire les rochers moussus. Il rejoint enfin le sentier qui offre une vue dégagée sur la vallée du Grésivaudan et Belledonne. Les crêtes vertes et grises du mois d’août sont aujourd’hui saupoudrées de neige. La campagne dans la vallée se colore de rouge et d’or. Il descend rapidement, d’un pas assuré. Il se sent soulagé, presque heureux..
Ils vont donc partir... Ces gens, il ne les connaît pas. Par ces temps troublés, il vaut mieux en savoir le moins possible. Il a juste fait ce qu’il avait à faire, rien de plus.
En approchant du village, un silence inhabituel le met en alerte. II dépose le sac derrière un sapin et continue son chemin, le panier à bout de bras. Arrivé au bout du sentier, la vision d'un camion militaire garé dans un champs lui glace le sang.
Il se précipite vers la maison. Par la fenêtre de la cuisine, il aperçoit sa femme assise sur une chaise et les silhouettes de deux soldats. Il entre brusquement et un des soldats le met en joue. Sur un ton menaçant et dans un français approximatif, le plus gradé lui pose une question qu’il ne comprend pas, mais dont il devine le sens. Il s’avance en silence et pour toute réponse, pose calmement le panier sur la table. L’officier le saisit et le renverse d’un coup. Une poignée de cèpes fraîchement cueillis s’étale sur le bois usé. Une odeur de forêt envahit la cuisine et se mélange aux effluves un peu écoeurantes de lait bouilli.
Délicatement, comme si c’était de l’or, la femme récupère les champignons et les met dans une passoire. Elle saisit un petit couteau et commence à les trier un à un. Elle paraît très calme et son mari est le seul à remarquer que ses doigts tremblent sous le filet d’eau glacée. Les soldats repartent sans fermer la porte. Le bébé ne s’est pas réveillé.
Il fait un froid de canard. Le soleil est passé derrière la montagne depuis un moment déjà. Seule la neige éclaire la route d’une lumière blafarde. La maison a été vendue et il a fallu finir de débarrasser. Il ne restait pas grand chose, tout ce qui avait un peu de valeur a été volé ou cédé à des brocanteurs. Dans la camionnette, il a chargé un vieux lit d’enfant en bois avec des lapins sculptés. Il pourra peut-être trouver preneur sur le Bon Coin. Il gardera le panier en osier, ça lui fera un souvenir. Le seul en fait.
Sur le siège à côté de lui, une vieille enveloppe avec le nom et l’adresse de son grand-père. A l’intérieur, plusieurs feuilles remplies d’une écriture élégante, une écriture d’autrefois. La lettre n’est pas en français et le timbre a été soigneusement découpé. Si la signature est illisible, juste en dessus, MERCI, le seul mot écrit en français et en majuscules se détache sur le papier jauni.
Il a failli tout jeter, mais quelque chose l’a retenu. Sa mère aura peut-être une idée de l’identité de l’expéditeur. La camionnette descend lentement vers la vallée du Grésivaudan qui s’assombrit peu à peu. Les étoiles s’allument une à une.
D’après une histoire vraie qui s’est déroulée à Sainte-Marie-du Mont, en Isère dans les années quarante.
Il fait encore nuit et les pierres roulent sous ses pieds. Des feuilles humides tapissent le sentier et manquent de le faire tomber à plusieurs reprises. Sans lumière, ce n’est pas facile d’avancer et le panier en osier accroché à une sangle du sac, lui tape le dos à chaque pas.
L’image de sa fille, endormie dans son petit lit, lui serre la gorge. Le souffle lui manque et il doit s’arrêter.
Il sourit.
Si les petits lapins délicatement sculptés sur les côtés lui ont donné beaucoup de mal, le plus compliqué a quand même été de fixer les roues... Mais il y est arrivé, fier de savoir que grâce à lui cet hiver, le petit lit pourra être facilement déplacé en fonction de la chaleur de la maison.
Les étoiles s’éteignent une à une et le jour se lève sur la chaîne de Belledonne. Bientôt, la rosée accrochée aux herbes des prés scintillera comme une multitude de petits diamants. Il reprend sa marche et se concentre sur son souffle. Il n’a pas beaucoup de temps, pas question de traîner.
Ça fait maintenant deux mois qu’environ tous les dix jours, il grimpe sur ce sentier caillouteux. Deux heures pour aller et une heure et demie pour revenir. Une pichenette pour le montagnard aguerri, mais un effort énorme pour le mari et le père de famille.
C’est l’heure où Sainte-Marie-du-Mont se réveille doucement et il sait que les femmes s’affairent déjà. Le lait pour les petits et le café pour les hommes chauffent sur les fourneaux. A cet instant, il donnerait beaucoup pour être assis tranquillement dans la cuisine et tremper un morceau de pain beurré dans son café brûlant.
Soigner les bêtes, rentrer du bois, cultiver les champs, rien que le quotidien à la fois rude et paisible d’un village de montagne niché au creux de la Chartreuse. Mais depuis quelques mois, une tension sourde crispe les visages et rend les hommes encore plus taiseux qu’à l’ordinaire.
Il arrive enfin à destination. Une petite cabane de fortune, coincée entre un rocher et la montagne en falaise. Elle n’est pas visible depuis le sentier. Il frappe trois coups vigoureux sur la porte faite de vieilles planches mal jointes. Un homme âgé entrebâille la porte et s’écarte pour le laisser entrer. Sans un mot, il déballe son chargement. Les provisions sont posées sur le banc en bois, à côté d’une jeune femme au visage émacié. Par bonheur, une source coule à proximité, il n’a pas besoin de leur amener de l’eau. Il dépose la couverture et quelques vêtements chauds sur le matelas posé à même le sol. Le vieil homme le remercie à voix basse.
Dans trois jours, on va venir les chercher. Le couple s’exprime difficilement en français, mais les sourires de reconnaissance illuminent la cabane sombre.
Il détache le panier et récupère le sac maintenant uniquement rempli de linge sale.
Alors qu’il entame la descente, le soleil brille et éclaire les rochers moussus. Il rejoint enfin le sentier qui offre une vue dégagée sur la vallée du Grésivaudan et Belledonne. Les crêtes vertes et grises du mois d’août sont aujourd’hui saupoudrées de neige. La campagne dans la vallée se colore de rouge et d’or. Il descend rapidement, d’un pas assuré. Il se sent soulagé, presque heureux..
Ils vont donc partir... Ces gens, il ne les connaît pas. Par ces temps troublés, il vaut mieux en savoir le moins possible. Il a juste fait ce qu’il avait à faire, rien de plus.
En approchant du village, un silence inhabituel le met en alerte. II dépose le sac derrière un sapin et continue son chemin, le panier à bout de bras. Arrivé au bout du sentier, la vision d'un camion militaire garé dans un champs lui glace le sang.
Il se précipite vers la maison. Par la fenêtre de la cuisine, il aperçoit sa femme assise sur une chaise et les silhouettes de deux soldats. Il entre brusquement et un des soldats le met en joue. Sur un ton menaçant et dans un français approximatif, le plus gradé lui pose une question qu’il ne comprend pas, mais dont il devine le sens. Il s’avance en silence et pour toute réponse, pose calmement le panier sur la table. L’officier le saisit et le renverse d’un coup. Une poignée de cèpes fraîchement cueillis s’étale sur le bois usé. Une odeur de forêt envahit la cuisine et se mélange aux effluves un peu écoeurantes de lait bouilli.
Délicatement, comme si c’était de l’or, la femme récupère les champignons et les met dans une passoire. Elle saisit un petit couteau et commence à les trier un à un. Elle paraît très calme et son mari est le seul à remarquer que ses doigts tremblent sous le filet d’eau glacée. Les soldats repartent sans fermer la porte. Le bébé ne s’est pas réveillé.
Il fait un froid de canard. Le soleil est passé derrière la montagne depuis un moment déjà. Seule la neige éclaire la route d’une lumière blafarde. La maison a été vendue et il a fallu finir de débarrasser. Il ne restait pas grand chose, tout ce qui avait un peu de valeur a été volé ou cédé à des brocanteurs. Dans la camionnette, il a chargé un vieux lit d’enfant en bois avec des lapins sculptés. Il pourra peut-être trouver preneur sur le Bon Coin. Il gardera le panier en osier, ça lui fera un souvenir. Le seul en fait.
Sur le siège à côté de lui, une vieille enveloppe avec le nom et l’adresse de son grand-père. A l’intérieur, plusieurs feuilles remplies d’une écriture élégante, une écriture d’autrefois. La lettre n’est pas en français et le timbre a été soigneusement découpé. Si la signature est illisible, juste en dessus, MERCI, le seul mot écrit en français et en majuscules se détache sur le papier jauni.
Il a failli tout jeter, mais quelque chose l’a retenu. Sa mère aura peut-être une idée de l’identité de l’expéditeur. La camionnette descend lentement vers la vallée du Grésivaudan qui s’assombrit peu à peu. Les étoiles s’allument une à une.
D’après une histoire vraie qui s’est déroulée à Sainte-Marie-du Mont, en Isère dans les années quarante.
moi j 'ai , 'le chasseur alpin ' si vous aimez
Voici ma version des paysages isérois si vous voulez y jeter un coup d’œil : https://short-edition.com/fr/oeuvre/tres-tres-court/blanc-bleu-et-jaune
Une histoire actuelle sur le triste sort d'un migrant : https://short-edition.com/fr/oeuvre/poetik/mumba Bonne journée à vous.
Une invitation à découvrir “Ses lèvres rougissent” et “Isère en Mouvement” ! Merci d’avance !
"Comprendre"vous plaira peut-etre.
Pour moi l'Isère, c'est un poème https://short-edition.com/fr/oeuvre/poetik/isere-de-neige-et-de-fleurs
http://short-edition.com/fr/oeuvre/poetik/you-hanoi-me-part-2