Hier soir, j'étais un garçon

Suis-je dans le noir ou ai-je fermé les yeux ? Peut-être les deux parce que quelqu’un a embrassé mon âme et les ténèbres dans ma tète ne cesse de se foutre de ma gueule. Un prénom : Gabriel. L’illusion Gabriel. Sourire aux lèvres et dents blanches. Et puis je suis tombé sous le charme de la bête. De cette bête au regard un peu sauvage, qui sent le bois de santal. Et j’ai peur. De moi-même. De lui. De ce qui se cache sous son sourire. De cette grâce féline qui fait battre mon cœur. L’ange déchu. Le noir totale de mon existence. Pour lui, je peux confirmer que je passe, depuis plus de quatre mois, tout mes mercredis et vendredis soirs assise sur un tabouret de bar que je déteste. Je suis patiente. Je ne l’ai jamais été avant son regard, avant son sourire. Je crois que je l’ai trouvé : l’amour de ma vie qui ne connaitra jamais mon existence. Nora dit que je suis obsédé. Nora plus connu sous le nom de ‘ma meilleure amie’. Je sais que vous penserez pareillement en lisant mon histoire. Peut-être même direz-vous que je suis un peu psychopathe sur les bords. Mais chers amis, je ne suis pas obsédé. Je suis amoureuse d’un serveur qui s’appelle Gabriel qui ne peut pas s’empêcher de sourire à tout le monde.
Vendredi. 17h pile. Happy Hour. Ponctuel. Comme d’habitude. Il salue ses collègues avant de se rendre aux vestiaires réservés au personnel et moi je commande un jus de canneberge parce que je ne tiens pas très bien l’alcool. Le brouhaha commence. Il prend sa première commande, tout sourire, parce que c’est lui et son odeur couvre celle de la bière. Ensuite il disparait dans les cuisines.
Quelqu’un vient s’assoir a ma droite. Il me salue et je lui souris. Il porte un pull en été et je me dis qu’il y a peut-être plus fou que moi. Je fais semblant de regarder cette télé sans son. Pourquoi ont-ils mis un match de boxe ? Je sirote mon verre en respirant cette bonne odeur de pizza et une fille vient s’assoir a ma gauche. Elle ne me salue pas et je décide de la détester. A la radio ils passent cette musique reggae d’un célèbre haïtien qui date de 2005 : Jah Nesta, vini avè’m. Elle a un petit effet sur les différents groupes de personnes qui se sont amassés un peu partout dans la salle. L’ambiance est cool, zen. Les gens discutent, s’embrassent et s’amusent dans cette salle spacieuse et bien aérée, avec ses chaises artisanales faites de pailles et ses quelques tableaux de peintres caribéens pas super célèbres. Je pense au joint que j’ai roulé dans les toilettes de la fac ce matin et a Gabriel qui, en faisant ses allers retours, me frôle le dos sans le faire exprès et je me dis « Tu es trop bien là. Si cool, si relax. Commande toi un petit verre de whiskey, ca ne peut pas faire de mal »
Une heure s’écroule. Le garçon à ma droite appelle mon petit serveur par son prénom. Ça capte mon attention, direct. Il me semble étonné de le voir ici. Ils se serrent la main et se font la conversation :
- Wow Gab ! Comment vas-tu vieux frère ?
- Ça va, ça va. Ça fait un bail non ? Ça roule?
- On fait aller. Tu travailles ici ?
- Oui ça va faire un an maintenant. Et toi ? Tu fais quoi dans la vie ? Tu as finis tes études ?
- Je travaille à la banque nationale. Et toi ? Tu ne t’étais pas inscrit en Droit à la fac des Gonaïves ?
- Ouais grave, je suis en dernière année.
Etudiant en Droit ? Je ne l’aurais jamais deviné et j’ai l’impression qu’il y à plein d’autres trucs sur lui que j’ignore.

- En couple ?
- Non, je n’ai pas encore trouvé l’homme de ma vie.
- Ah ! Bon succès mais je peux te dire que c’est très difficile a trouvé.
L’autre garçon grimace en sortant sa dernière phrase, à ce moment précis, j’ai l’impression que quelque chose vient de se passer. C’est seulement quand Gabriel se met à rigoler que mon monde s’effondre...
J’ai envie de taper sur quelqu’un. J’ai envie de crier, de pleurer, de me rouler en boule sur le sol et de crever là. Et puis je me dis que c’est moi qui suis trop conne. Je me dis que j’aurais dû le voir venir. Petite taille et beau garçon. Sourire angélique, cul démoniaque. J’aurais dû deviner qu’il était de ce bord là. L’envie de le cogner me force à fuir. A fuir sous le préau a l’arrière, où je me cache pour fumer mon joint. Enfin après une énième taffe je sens ma tension chuter petit à petit. Un motard freine devant moi. Viril, parfait. Mais mes pensées se redirigent vers lui. Gabriel le gay. Gabriel l’homosexuel. Le garçon dont je suis folle. Comment quelqu’un peut-il briser mon cœur alors qu’il ignore tout de moi, jusqu’à mon existence ? Mon cerveau est en train de partir en couille et je retourne à l’intérieur après avoir pris la décision de ne plus jamais remettre les pieds dans ce bar pourri. Le gars derrière son comptoir me sourit en me rendant ma monnaie. Son sourire est moqueur, comme s’il connaissait ma douleur, comme s’il savait ce que je ressentais pour son collègue. La weed me conseille de passer au petit coin avant de prendre la route et j’obéis en tournant à gauche. Je rentre dans quelqu’un en voulant vérifier l’heure sur mon téléphone.

- Je suis désolé. Ça va ?

Cette voix.
- Coucou, je suis là-haut chéri.
Je prend mes jambes à mon cou. La voix me suit jusque devant la porte des toilettes.

- Hey toi avec les lunettes. Pourquoi tu es si méprisant ? J’ai dis que j’étais désolé.
Méprisant ? Hein ?

- C’est à moi que tu parles ?
Je me retourne pour lui faire face.

- Oui toi le beau jeune homme aux yeux de coquillages.
Beau jeune homme ? Des yeux de coquillages ? Suis-je en train de rêver ? Je crois que j’ai trop fumé pour aujourd’hui. Je pousse la porte des toilettes des filles et me passe un peu d’eau sur le visage. Un petit coup d’œil a mon reflet et je me fige. Dites-moi que je rêve putain !

- Calme-toi et ne crie pas. Ne crie pas c’est juste un rêve. Personne ne peut se transformer en garçon du jour en lendemain. C’est impossible.
Mon souffle se saccade. Je m’assoie par terre.

- C’EST QUOI CE PUTAIN DE BORDEL !
Je crie sans pouvoir me contrôler et quelqu’un rentre. Cette odeur. Je vois flou. Il me parle je n’entends pas.

- Gabriel, je murmure.
- Je suis la. Regarde-moi. Je suis la. Ça va, ça va. Tu fais une crise de panique.
- Je viens de fumer un joint.
- Oh !
Je rage contre moi-même. Je rage contre l’univers. Que se passe t-il ? Est-ce que je suis morte ?

- Regarde-moi.
Je le regarde et son visage s’illumine. Mon cœur arrête de battre pendant une seconde.

- Tu t’appelles comment joli garçon ?
Julia. Je m’appelle Julia mais je ne peux pas lui dire. Je suis un garçon ce soir. Je suis un garçon pour Gabriel.

- Julien.
- Enchanté Julien, je suis Gabriel.
Je ris.

- Je sais très bien qui tu es.
- Normal, je suis une star beauté.
Mon cœur s’emballe.

- Tu viens souvent ici Julien ?
- Oui très.
- Alors dis-moi pourquoi je ne t’ai jamais aperçu avant aujourd’hui ?
Il s’assoie à coté de moi, son odeur envahi mon espace et c’est le meilleur rêve que je n’ai jamais faites.

- Je l’ignore.
- Tu fais quoi dans la vie mon petit Julien ?
- Je suis en fac de médecine.
- Un futur médecin ? Miam miam je suis fan.
- Moi aussi je suis fan.
Sa bonne humeur déteint sur moi.

- Sinon dis-moi, pourquoi tu es dans les toilettes des filles ?
Parce que je suis une fille.

- Je suis désolé, je me suis trompé de porte.
- Je te pardonne chaton.
Il me fait un câlin. C’est tendre, c’est sensuel, c’est mignon. C’est le monde.

- Je peux avoir ton numéro Gab ?
- Mais oui, aucun problème. Passe-moi ton portable, je te l’enregistre.
Je sens quelqu’un me secouer brusquement. C’est quoi ce bordel ?

- EH ! On va fermer mademoiselle. Réveillez-vous.
J’ai envie de cogner cette personne.

- EH ! réveillez-vous maintenant. Vous devez partir.
On continue de me secouer et je sursaute. Je ne sais plus où je suis.

- PUTAIN!
- Vous devez partir, on va fermer mademoiselle.
Je me touche l’entrejambe. Pas de bite. Ce n’était qu’un rêve.

- Putain, j’ai envie de vomir.
Gabriel est en face de moi. Pourquoi il me sourit ?

- Les toilettes sont par là mademoiselle.
Et surtout, pourquoi il est toujours si gentil ce fils de pute ?